Faut-il abroger le Code noir ?

Libres propos par Pierre NOUAL ? docteur en droit et avocat

La Semaine Juridique Edition Générale n° 25, 23 juin 2025, act. 769

Le Code noir est aujourd'hui considéré comme l'acte fondateur du droit colonial français et des rapports entre maîtres et esclaves En affirmant qu'aucun texte n'avait formellement aboli le Code noir, l'engagement du Premier ministre à l'abroger n'est pas sans interroger légitimement sur la permanence possible de sa légalité entre droit et mémoire

 

« Texte juridique le plus monstrueux qu'aient produit les Temps modernes » (L. Sala-Molins, Le Code Noir ou le Calvaire de Canaan : PUF, 4e éd., 1996, p. 5), le Code noir est considéré comme l'acte fondateur du droit colonial français et des rapports entre maîtres et esclaves. Celui-ci conserve presque autant de rayonnement - certes négativement - que le Code civil, et face à la prégnance toujours plus forte des revendications mémorielles ayant trait à l'esclavage,iln'est pas anodin que ce Code noir ait fait un brusque retour sur la scène juridique et médiatique lors de la séance d'actualité au Gouvernement du 13 mai 2025. À cette occasion, le député Laurent Panifous a interpellé le Premier ministre François Bayrou en affirmant qu'aucun texte n'avait formellement aboli le Code noir. En toute humilité, le locataire de l'hôtel de Matignon a répondu : « Je découvre cette réalité juridique que j'ignorais absolument, et j'imagine tous ceux qui sont autour de nous, que le Code noir n'a pas été aboli en 1848 comme nous le croyions ». Puis d'ajouter : « Je prends l'engagement, au nom du Gouvernement, qu'un texte actant l'abolition du Code noir sera présenté au Parlement ». Pour autant, en droit et en mémoire, une telle promesse n'est pas sans interroger légitimement sur la permanence possible de la légalité de ce Code noir.

 

Qu'est-ce que le Code noir ? - À l'origine se trouve le texte « fondateur » constitué de l'édit de mars 1685 sur la police des îles d'Amérique destiné et applicable à la Guadeloupe, à la Martinique et à Saint-Christophe, avant d'être étendu à Saint-Domingue (1687) et à la Guyane (1704) (sur ce texte, V. J.-F. Niort, Le Code noir, idées reçues sur un texte symbolique : Le Cavalier Bleu, 2023. - A. Castaldo (préf. Ch. Taubira), Codes noirs de l'esclavage aux abolitions : Dalloz, 2006. - Sur une note musicale, songeons au « Code noir », opéra-comique de Louis Clapisson sur un livret d'Eugène Scribe (1842 ; L'Harmattan, rééd. 2018). - E. Saulnier-Cassia, Le Code noir ou la représentation lyrique du statut des esclaves des colonies françaises d'outre-mer au XIXe siècle : LPA 23 janv. 2020, n° 150z7, p. 18). Initié par Colbert - qui meurt en septembre 1683 - c'est son fils le marquis de Seignelay qui achève le travail et appose sa signature sur ce texte (pour cette raison certains souhaiteraient déboulonner la statue de Colbert devant l'Assemblée nationale : P. Noual, Faut-il déboulonner nos statues ? : JCP A 2020, act. 409). Celui-ci sera repris en substance dans des édits applicables aux îles Bourbons et de France en 1723 (îles de La Réunion et Maurice), et pour la Louisiane en 1724. Ce sont donc l'ensemble de ces textes législatifs distincts qui sont parfois appelés par la pratique le « Code noir » - le terme n'apparaît qu'en 1718 dans l'édition privée de Saugrain - à l'image du « Code Louis » (ordonnance sur la procédure civile de 1667) ou du « Code criminel » (ordonnance sur la procédure criminelle de 1670). Il faut ici relever que les manuels de droit colonial expliquaient ce droit ; mais, en « creusant », il est possible d'apercevoir que - dans la logique du Code noir - ils cherchaient aussi à « encadrer » ce droit, notamment par la notion d'ordre public colonial (V. Colonie, in Éd. Fuzier-Herman (dir.), Répertoire général alphabétique de droit français : Larose, t. 11, 1894, p. 307. - D. Penant, Deuxième répertoire de droit colonial en toutes matières françaises et indigènes et de droit maritime : Administration du Recueil, 1913. - L. Rolland et P. Lampue, Précis de législation coloniale (Colonies, Algérie, Protectorats, Pays sous mandat) : Dalloz, 1931. - F. Luchaire, Manuel de droit d'Outre-Mer : Sirey, 1949. - Au-delà, V. B. Durand, Introduction historique au droit colonial : Economica, 2015. - J.-Ph. Bras (dir.), Faire l'histoire du droit colonial : Karthala, 2015. - J.-P. Royer et a., Histoire de la justice en France du XVIIIe siècle à nos jours : PUF, 5e éd., 2016, n° 499). Ceci explique, au moins formellement, que ce Code noir ait mis fin au droit de vie et de mort (jus necis) du maître : réglementer c'est limiter (V. not. J. Boudon, L'esclavage de la Révolution à l'Empire : Droits, 2011, n° 53, p. 3. - J.-J. Aubert, L'esclave en droit romain ou l'impossible réification de l'homme : Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2012, n° 10, p. 19. - P. Jaubert, Le Code Noir et le droit romain, in Mél.Jean Imbert : PUF, 1989, p. 281. - F. Charlin, La relecture du Code Noir sous l'angle du droit romain, in P. Ghaleh-Marzban, C. Delplanque et P. Chevalier (dir.), La Cour de cassation et l'abolition de l'esclavage : Dalloz, 2014, p. 93).

 

Tuer l'esclavage. - En affirmant que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 va conceptuellement tuer l'esclavage (V. spéc. G. Bigot, Esclavage, in S. Rials et D. Alland (dir.), Dictionnaire de la culture juridique : PUF-Lamy, 2003, p. 641). Dans cette logique, la Convention va formellement abolir l'esclavage dans toutes les colonies (sans délai ni indemnisation pour les colons) par un décret - aussi laconique qu'imprévoyant - du 16 pluviôse an II ou 4 février 1794 (Y. Bénot, Comment la Convention a-t-elle voté l'abolition de l'esclavage en l'an II ? : Annales historiques de la Révolution française, 1991, n° 293 et 294, p. 349). Face à l'échec de l'expédition en Égypte, Napoléon Bonaparte se tourne vers l'Amérique dont il souhaite faire du golfe du Mexique « une mer française » puisque, par le traité d'Amiens de mars 1802, le gouvernement britannique a restitué à la France les colonies de la Martinique, de Tobago et de Sainte-Lucie. Pour s'imposer dans la région, Napoléon Bonaparte estime nécessaire de rétablir l'ordre dans les colonies. Cela sera chose faite par la loi du 30 floréal an X (20 mai 1802) qui réinstaure l'esclavage dans ces colonies, mais ne le sera en Guadeloupe que par un bien embarrassant arrêté consulaire du 27 messidor an X (16 juillet 1802) qui ne sera publié en catimini qu'en 1803. Si le traité de Vienne de 1815 va mettre fin à la traite négrière par une loi du 15 avril 1815 - l'Angleterre, ayant supprimé la traite dès 1807, avait exigé une mesure similaire de la France lors des négociations de paix - l'esclavage dans les colonies françaises ne sera définitivement aboli que par le décret du 27 avril 1848, grâce à l'action de Victor Schoelcher et d'Alexis de Tocqueville (V. not. N. Schmidt et Victor Schoelcher : Fayard, 1994. - W. Mastor, Abolition de l'esclavage, in W. Mastor et a. (dir.), Les grands discours de la culture juridique : Dalloz, 2e éd., 2020, p. 673). Par la suite, l'abolition de l'esclavage sera placée dans la Constitution de la IIe République et sera même confirmée, sous le Second Empire, par un sénatus-consulte du 3 mai 1854 (sur tout cela, M. Dorigny, Les abolitions de l'esclavage : PUF, 2018. - V. également les écrits de O. Grenouilleau : Qu'est-ce que l'esclavage ? Une histoire globale : Gallimard, 2014. - La révolution abolitionniste : Gallimard, 2017).

 

À ce titre, l'histoire de l'abolition est édifiante car elle est liée à la question générale de la différenciation des personnes (A. Gogos-Gintrand, Les statuts des personnes, étude de la différenciation des personnes en droit : IRJS, 2011, spéc. p. 265 et s.). Cela explique que le Code noir soit devenu l'un des symboles les plus marquants de l'esclavage mais après une longue période d'oubli, la question a fait l'objet d'un important processus mémoriel, entamé dans les années 1980, notamment par l'instauration d'une commémoration de l'abolition de l'esclavage et un hommage aux victimes par la loi n° 83-550 du 30 juin 1983. Près de 20 ans seront nécessaires pour que le législateur reconnaisse enfin par la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 - menée par Christiane Taubira - que la traite et l'esclavage perpétrés du XVIe au XIXe siècles constituent des crimes contre l'humanité (V. spéc. Ch. Taubira, Égalité pour les exclus : le politique face à l'histoire et à la mémoire coloniales : Temps Présent, 2009. - M. Manville, L'esclavage est-il un crime contre l'humanité au regard de la jurisprudence du tribunal de Nuremberg ?, in I. Castro-Henriques et L. Sala-Molins (dir.), Déraison, esclavage et droit : les fondements idéologiques et juridiques de la traite négrière et de l'esclavage : Unesco, 2002, p. 179).

 

Abrogation en débat. - En suivant ce cheminement temporel, il est alors possible de revenir à l'interrogation originelle : le Code noir a-t-il été abrogé ? Il faut se souvenir que l'abrogation, qui est une sorte de « mort » ou d'« abolition » de la loi, est l'opération par laquelle la loi est privée de force obligatoire seulement pour l'avenir, mais non pour le passé - et se distingue ainsi de l'annulation de loi, ainsi de l'ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine (V. not. B. Beignier et A.-L. Thomat-Raynaud, Introduction au droit : LGDJ, 9e éd., 2024, n° 143. - Ph. Malaurie et P. Morvan, Introduction au droit : LGDJ, 10e éd., 2024, n° 215. - F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit : Dalloz, 16e éd., 2024, n° 555. - Au-delà, V. P. Noual, Vichy, l'État et la République : RFD const. 2021, p. 95). Aussi, l'abrogation est dite « expresse » quand le texte nouveau précise que le texte antérieur est abrogé. C'est ainsi que l'article 7 de la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804), qui a promulgué le Code civil, a abrogé de façon expresse les anciennes lois dans les matières composant le Code civil - ce qui explique que certains textes de l'ancien droit ont conservé force obligatoire, à l'instar de l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539 (en ce sens CE, 22 nov. 1985, n° 65105, Quillevère : Lebon, p. 333).

 

Or, celui de 1685 n'a pas été abrogé expressément par la promulgation du Code civil : ces deux codes ont cohabité en toute « légalité » dans les colonies pendant un peu moins d'un demi-siècle. Cela a d'ailleurs conduit la Cour de cassation, en particulier sous la Monarchie de Juillet, à reconnaitre une personnalité juridique de l'esclave - qui était en germe dans le Code noir - d'autant que les arrêts ne « visaient » pas le Code noir, preuve qu'il n'était plus en vigueur mais dont les juges s'en servaient comme d'un simple argument de motivation (V. les travaux éclairants du doyen Carbonnier sur la question : Flexible droit : LGDJ, 2001 (rééd. 2013), p. 247. - V. égal. J.-F. Niort, Homo servilis. Essai sur l'anthropologie et le statut juridique de l'esclave dans le Code noir de 1685 : Droits, 2009, n° 50, p. 119. - F. Charlin, La condition juridique de l'esclave sous la monarchie de Juillet : Droits, 2010, n° 52, p. 45. - P. H. Boulle, L'évolution de la condition juridique des Noirs en France métropolitaine, de l'Ancien Régime à 1848, in P. Ghaleh-Marzban, C. Delplanque et P. Chevalier (dir.), préc., p. 213. - M. Pécharman, Esclavage, in J. Andriantsimbazovina et a. (dir.), Dictionnaire des Droits de l'Homme : PUF, 2008, p. 300. - D. Roets, Esclavage, servitude et travail forcé, in ibid., p. 302. - En ce sens Cass. crim., 8 févr. 1839 : S. 1839, 1, p. 612). Il n'est d'ailleurs pas inintéressant d'observer que, sous l'empire de l'ancien droit, le Parlement de Paris avait toujours refusé de reconnaître la validité juridique du Code noir - la Coutume de Paris étant applicable dans les colonies depuis 1664 - et prononça même, au XVIIIe siècle, plusieurs décisions judiciaires d'affranchissement d'esclaves amenés par leurs maîtres à Paris sur le fondement du principe général selon lequel « le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche », lui-même issu de l'édit du 3 juillet 1315 de Louis X « le Hutin » (S. Peabody, La question raciale et le « sol libre de France » : l'affaire Furcy : Annales, histoire, sciences sociales, 2009, n° 64, p. 1305).

 

En revanche, l'abrogation peut aussi être « tacite » ou « implicite » et résulte soit de la contradiction du nouveau texte avec l'ancien, soit de son incompatibilité avec le texte ancien. Le texte nouveau prévaut et les dispositions antérieures qui sont incompatibles sont considérées comme abrogées, ce que le président Odent nomme le « principe de pérennité » (R. Odent, Contentieux administratif : Dalloz, t. 1, 2007, p. 426 et s. - V. spéc. J. et L. Boré : La cassation en matière civile : Dalloz, 6e éd., 2023, n° 61. - La cassation en matière pénale : Dalloz, 5e éd., 2024, n° 101. - Plus largement : O. Pluen, L'abrogation implicite des actes et dispositions réglementaires ou législatives « périmés » : RDP 2016, p. 1809. - Ch.-É. Senac, Le « constat » juridictionnel de l'abrogation implicite d'une loi par la Constitution : RDP 2008, p. 1081. - Ceci explique la loi n° 2019-1332 du 11 décembre 2019 tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes). Aussi, il est certain que la loi de 1794 a bien aboli - une première fois - le texte de 1685, par le biais d'une abrogation tacite. De la même manière, le décret de 1848 ainsi que la Constitution de la IIe République, en ayant aboli l'esclavage, ont aboli tacitement - une seconde fois - le texte de 1685. Le constat est simple : le Code noir est bien abrogé de facto et de jure ! Et si par extraordinaire aucune « abrogation » n'était survenue, de deux choses l'une : 1) a-t-on utilisé les dispositions du Code noir depuis 1848 (argument a contrario) ? non ; 2) quel serait l'effet de l'invoquer (argument ab absurdo) ? très certainement une contrariété avec le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation issu du Préambule de la Constitution de 1946. Après tout, « l'esclavage est par sa nature même, incompatible avec le droit, avec l'idée du droit » pour Christian Atias (Philosophie du droit : PUF, 4e éd., 2016, n° 66. - V. égal. M. Pécharman, La vie ou la liberté ? Le droit d'esclavage dans le droit naturel moderne : Droits, 2009, n° 50, p. 89. - O. Pluen, 1315-1946 : le mythe d'un « Empire » français sans esclaves : Histoire de la justice, 2021, n° 31, p. 19. - En ce sens Cons. const., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC) !

 

Enjeu mémoriel. - Pour autant, sur un plan mémoriel, la question n'en conserve pas moins un intérêt. Il est vrai que le droit et la mémoire sont indubitablement liés, peut-être parce que le droit est un discours - pouvant en lui-même être une réparation symbolique - qui permet de fixer la mémoire collective (V. spéc. S. Ledoux, Le devoir de mémoire, une formule et son histoire : CNRS, 2016. - J. Michel, Le devoir de mémoire : PUF, 2018). Les lois mémorielles se réfèrent à un évènement du passé, « non pour punir rétroactivement ses auteurs, mais pour établir entre le passé et le présent un lien de “reconnaissance”, dans toutes les significations de ce mot : le constat d'une réalité, l'expression d'une gratitude ou au contraire la contraction d'une dette » (B. Accoyer, Questions mémorielles, rassembler une nation autour d'une mémoire partagée : CNRS, 2009, p. 33), bien que dépourvues de toute portée juridique : la loi ne peut refaire l'histoire mais elle peut la contempler. Doté de messages vertueux, ces lois symboliques sont toutefois trompeuses puisqu'elles sont le résultat d'un exercice instrumentalisé de l'action législative, davantage préoccupé par l'expression de valeurs que par la considération de leurs effets concrets (O. Laroque, Les lois symboliques : Panthéon-Assas, 2021. - V. également C. Vivant, L'historien saisi par le droit, contribution à l'étude des droits de l'histoire : Dalloz, 2007. - F. Terré et N. Molfessis, préc., n° 118).

 

C'est ainsi qu'avec la loi Taubira de 2001 - paradigme de la loi symbolique - la France a qualifié l'esclavage et la traite négrière de crimes contre l'humanité. Cependant, en n'envisageant qu'une réparation morale, elle a délaissé la réflexion sur les dédommagements matériels : la Cour de cassation a refusé une application rétroactive de la loi (Cass. 1re civ., 8 nov. 2018, n° 18-13.894 : D. 2018, p. 2019, note K. Picard ; D. 2018, p. 1789, obs. S. Gargoullaud ; RSC 2019, p. 352, obs. Y. Mayaud), même si elle semble admettre l'idée d'un préjudice transgénérationnel des descendants d'esclaves (Cass. 1re civ., 5 juill. 2023, n° 22-13.457 : D. 2023, p. 1954, note M. Cormier, M. Eliphe et B. Moron-Puech ; JCP G 2023, 1124, note J. Knetsch). À cela, il faut ajouter que l'article 218 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté a abrogé l'ordonnance de 1825 sur l'indemnité imposée à Haïti (qui en demande aujourd'hui le remboursement à l'État français) et que l'article 219 a abrogé la loi du 30 avril 1849 relative à l'indemnité accordée aux colons par suite de l'abolition de l'esclavage. Là réside assurément l'ambition du débat, faut-il « absolument » une nouvelle loi symbolique pour abroger le Code noir au risque d'étouffer ou de faire renaître l'éternel débat sur la question des réparations de l'esclavage (V. spéc. M. Bessone, Les réparations au titre de l'esclavage colonial : l'impossible paradigme judiciaire : Droit et Société, 2019, n° 102, p. 357. - A. Garapon, Peut-on réparer l'histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah : Odile Jacob, 2008) ? La question mérite d'être posée face à l'inflation normative soumise au Parlement car comme le rappelait le doyen Carbonnier : « N'accepte de faire de loi que si tu y crois, non pas à la loi, mais à la nécessité d'en faire une. Et dis-toi bien qu'en acceptant tu te feras autant d'ennemis qu'il y avait de tes semblables capables d'en faire autant » (J. Carbonnier, Essais sur les lois : LGDJ, 1994 (rééd. 2014), p. 115. - V. également J.-D. Combrexelle, Les Normes à l'assaut de la démocratie : Odile Jacob, 2024). Si tel était le cas, la loi ne saurait se départir d'une approche globale puisque le texte de 1685 - qui a été largement repris et modifié - ne doit pas exempter les nombreux autres écrits qui se sont rapportés à l'esclavage colonial jusqu'en 1848.

 

Entre mythe et réalité. - Le débat sur l'abrogation du Code noir ne serait-il, pour reprendre les propos d'André Castaldo, que « l'une des cibles faciles des belles âmes contemporaines en quête de repoussoir » ? En effet, « stigmatiser aujourd'hui avec violence l'ordonnance sur la police des îles d'Amérique a pourtant bien peu de mérite : qui, dans la France contemporaine, admettrait l'esclavage ? En revanche bien peu des pourfendeurs actuels du Code noir s'ils avaient vécu au XVIIe siècle, ou même encore au XVIIIe siècle, n'auraient bien probablement rien trouvé à lui redire » (A. Castaldo, préc., p. 3. - Du parallèle avec le régime de Vichy, il n'y a qu'un pas : P. Noual, La déportation et le droit : Droits, 2021, n° 72, p. 179). Sous couvert d'une abrogation symbolique, le risque n'est-il pas de redonner une nouvelle verdeur à un Code noir qui a souillé l'histoire de la France .