Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 5 février 2020
N° de pourvoi: 19-11.864
Publié au bulletin Cassation
Mme Batut (président), président
SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP de Nervo et Poupet, avocat(s)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 février 2020
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 105 F-P+B+I
Pourvoi n° P 19-11.864
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 FÉVRIER 2020
1°/ Mme D... P..., épouse T...,
2°/ M. W... T...,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° P 19-11.864 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2019, rectifié par arrêt du 5 février 2019, par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la commune de Sailly-Laurette, représentée par son maire en exercice, domicilié [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme T..., de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la commune de Sailly-Laurette, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Amiens, 15 janvier et 5 février 2019), M. et Mme T... sont propriétaires, sur le territoire de la commune de Sailly-Laurette (la commune), d'une parcelle qui était clôturée par une haie végétale d'une longueur de trente-sept mètres, située en bordure d'une route départementale. Après les avoir informés que des véhicules avaient été endommagés du fait de la présence de cette haie, la commune a fait procéder, le 5 juillet 2014, à son arrachage sur toute sa longueur.
2. Soutenant n'avoir donné leur accord que pour un arrachage sur une longueur de quinze mètres, et sous réserve d'une participation financière de la commune à l'achat des matériaux nécessaires à la construction d'un mur, M. et Mme T... ont obtenu en référé la désignation d'un expert, puis, invoquant l'existence d'une voie de fait ou d'une emprise irrégulière, ont saisi la juridiction judiciaire aux fins de réparation de leurs préjudices. La commune a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. M. et Mme T... font grief à l'arrêt du 15 janvier 2019 de rejeter leur demande, alors « que la voie de fait ne peut être écartée en raison d'un accord entre la personne publique et les propriétaires sur l'opération portant extinction du droit de propriété de ces derniers que si cet accord est certain ; qu'en l'espèce, en jugeant que M. et Mme T... avaient donné leur accord à l'opération d'arrachage de leur haie sans rechercher si, comme elle y était invitée et comme il ressortait du rapport de l'expert, M. et Mme T... n'avaient pas donné leur accord pour l'arrachage de la haie sur une longueur de quinze mètres, de sorte que la mairie, en procédant à un arrachage sur une longueur de trente-sept mètres, avait outrepassé l'autorisation qui lui avait été donnée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
4. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, l'accord du propriétaire exclut l'existence d'une voie de fait ou d'une emprise irrégulière, à moins que l'action de l'administration n'ait excédé substantiellement les limites prévues par cet accord.
5. Pour rejeter la demande en réparation du préjudice résultant de la destruction de la haie litigieuse, l'arrêt retient qu'il ressort des déclarations faites par M. T... au cours de la mesure d'expertise que les arbres ont été arrachés en sa présence et avec son accord et que, dès lors, la compétence du juge judiciaire est exclue.
6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, en procédant à l'arrachage de la haie sur toute sa longueur, la commune n'avait pas outrepassé l'autorisation qui lui avait été accordée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur la quatrième branche du moyen
Enoncé du moyen
7. M. et Mme T... font le même grief à l'arrêt du 15 janvier 2019, alors « que l'arrachage par une commune sur le terrain d'une personne privée d'arbres appartenant à cette dernière avec l'édification d'un mur à la place de ces arbres conduit à l'extinction du droit de propriété de la personne privée sur ces arbres ; qu'en l'espèce, le tribunal de grande instance a jugé que l'opération d'arrachage de la haie, si elle constituait une atteinte au droit de propriété de M. et Mme T..., n'avait pas pour effet d'éteindre ce droit ; qu'en statuant par ce motif présumé adopté, quand l'opération d'arrachage des arbres, racines comprises, avait conduit à ce que M. et Mme T... soient définitivement dépossédés de leur droit de propriété sur les arbres arrachés, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 544 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article 544 du code civil :
8. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.
9. Pour statuer comme il a été dit, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que, si elle constitue une atteinte au droit de propriété de M. et Mme T..., l'intervention de la commune n'a pas eu pour effet d'éteindre ce droit.
10. En statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la commune avait procédé à l'arrachage de la haie, constituée d'arbres, sur toute sa longueur, et causé ainsi l'extinction du droit de propriété de M. et Mme T... sur ces végétaux, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 15 janvier 2019 entraîne l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt du 5 février 2019, qui l'a rectifié.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus les 15 janvier et 5 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la commune de Sailly-Laurette aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Pas de contribution, soyez le premier