Le Conseil d’Etat, saisi par la ligue des droits de l’Homme (LDH), et le comité contre l’Islamophobie en France (CCIF), s’est prononcé, le 26 aout 2016, contre l’arrêté de Villeneuve Loubet, interdisant le « port de tenues considérées comme manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse » lors des baignades sur les plages de la commune de Villeneuve Loubet.

 L’ordonnance du tribunal administratif de Nice datée du 22 aout 2016, qui avait validé cet arrêté, a ainsi été annulée par le Conseil d’Etat, par décision en date du 26 aout 2016.

Cette décision était très attendue au vu de la polémique qui a été engendrée par le port de « Burkini » (combinaison de bain recouvrant l’ensemble du corps, des cheveux jusqu’aux chevilles) dans plusieurs communes de France relançant le débat sur le respect du principe de la laïcité en France.

Ainsi, la question dont s’est saisie le Conseil d’Etat concernant le port du Burkini impliquait, de manière plus globale, la question de l’équilibre entre deux libertés fondamentales : les potentielles menaces à l’ordre public causées par le port du « Burkini » et le principe de laïcité.

I. Les origines de la décision du Conseil d’Etat : Entre respect du principe de laïcité et potentielles menaces à l’ordre public       

1. Circonstances et contexte du litige portant sur le burkini

Le 5 aout 2016, le maire de Villeneuve Loubet a pris un arrêté en vue de règlementer l’usage des plages concédées à la commune. Cet arrêté comportait un nouvel article 4.3 dont l’objet était d’interdire le port de tenues considérées comme manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuses lors de baignades sur les plages appartenant à la commune de Villeneuve Loubet.

La ligue des droits de l’Homme (LDH), deux particuliers ainsi que l’association de défense des droits de l’Homme, collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) ont alors formé un référé liberté pour demander au juge des référés du tribunal administratif d’annuler l’article 4.3 de l’arrêté en cause.

La procédure du référé liberté, prévue à l’article L.521-2 du code de justice administrative, permet au juge des référés d’ordonner dans un délai de quarante huit heures toutes les mesures nécessaires au respect d’une liberté fondamentale, qui serait violée par une autorité administrative.

Par ordonnance prise en date du 22 aout 2016, le Tribunal administratif de Nice statuant en formation collégiale de trois juges des référés a rejeté la présente requête aux motifs que « l’interdiction était nécessaire, adaptée et proportionnée » pour éviter les troubles à l’ordre public, après la succession d’attentats subis en France, dont celui de Nice le 14 juillet 2016.6

2. L’ordonnance du tribunal administratif de Nice : La primauté de l’ordre public face à la laïcité

Si, dans l’ordonnance de référé, les juges n’ont pas contesté la coexistence de religions comme élément constitutif de la laïcité, ceux-ci ont cependant relevé que, dans le contexte actuel du fondamentalisme religieux en France, le port d’un vêtement religieux pouvait être perçu comme l’expression d’une revendication identitaire. Les juges ont alors souligné, que le port d’un vêtement sur les plages « peut être ressenti par certains comme une défiance ou une provocation exacerbant les tensions ressenties par la population à la suite de la succession d’attentats subis en France dont celui de Nice le 14 juillet 2016 et le dernier du 26 juillet 2016 en l’église de Saint Etienne du Rouvray qui a directement visé la religion chrétienne ».

De ce fait, le Tribunal administratif de Nice a considéré que, dans un Etat laïque, les plages n’ont pas vocation à être érigées en lieux de culte et doivent rester un lieu de neutralité religieuse.

Enfin, l’ordonnance souligne que les dispositions de l’arrêté litigieux, s’appliquent à l’ensemble des usagers de la plage, quelque soit leur confession, et qu’il n’y a donc aucune discrimination opposable à l’arrêté contesté.

En se fondant sur le fondamentalismereligieux et les récents attentats commis en France, le Tribunal administratif de Nice a ainsi entendu éviter toute tension et menace à l’ordre public en maintenant cet arrêté et limitant l’exercice de pratiques religieuses.

II. La décision du Conseil d’Etat : L’annulation d’un arrête contraire aux libertés fondamentales

1. La décision du Conseil d’Etat : La suspension de l’article 4 de l’arrêté litigieux pour atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales  

Faisant suite au rejet de leur requête par le Tribunal administratif de Nice, les requérants ont fait appel de l’ordonnance auprès du juge des référés du Conseil d’Etat.

La Haute juridiction, statuant en formation collégiale de trois juges, a rendu sa décision le 26 aout 2016 aux termes de laquelle elle suspend l’arrêté pris par le maire de Villeneuve Loubet en date du 5 aout 2016.

A titre liminaire, le Conseil d’Etat a rappelé que, conformément à une jurisprudence constante depuis plus d’un siècle, la Maire doit concilier l’accomplissement de sa mission de maintien de l’ordre dans la commune avec le respect des libertés garanties par la loi. De ce fait, les mesures édictées par les maires de communes situées sur le littoral, concernant l’accès aux plages, doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules exigences de l’ordre public.

Le Conseil d’Etat a précisé à cet égard que les mesures édictées ne doivent pas prendre en compte d’autres considérations que les mesures nécessaires à l’accès aux plages, à l’hygiène ou la sécurité.

De ce fait, le Conseil d’Etat tient à relever « qu’il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés de menaces à l’ordre public ».

Ainsi, les juges des référés du Conseil d’Etat justifient la suspension de l’arrêté contesté en relevant que les risques à l’ordre public ne peuvent résulter d’une tenue vestimentaire adoptée lors de baignades. Le Conseil d’Etat ajoute que l’émotion engendrée par les différents attentats perpétrés récemment en France ne saurait suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée.

Dans ce contexte, le Conseil d’Etat conclut que l’article 4.3 de l’arrêté contesté a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d’aller et venir, liberté de conscience et liberté personnelle, toutes considérées comme des libertés fondamentales en France.

La situation d’urgence étant par ailleurs caractérisée, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Nice et a ordonné la suspension de l’article 4.3 de l’arrêté contesté.

2. La limitation de la portée de la  décision du Conseil d’Etat : Vers une proposition de loi contre le burkini?

Malgré la décision du Conseil d’Etat du 26 aout 2016 ordonnant la suspension immédiate de l’article 4.3 de l’arrêté contesté, le Maire de la commune concernée, a annoncé, quelques heures après l’annonce de la décision, qu’il ne suspendrait pas la disposition litigieuse et que son groupe parlementaire déposerait une proposition de loi contre le burkini.

Deppuis, de nombreuses personnalités politiques se sont sont prononcées en faveur du au vote d’une loi contre le burkini, même si cela devait entraîner un amendement de la Constitution. 

Outre, le débat engendré par une proposition de loi qui porterait atteinte au principe constitutionnel de la liberté de conscience et la liberté religieuse, la valeur même de la décision du Conseil d’Etat en est limitée. En effet, encore aujourd’hui, le 20 septembre 2016, deux australiennes portant le burkini auraient été forcées de quitter la plage de Villeneuve Loubet.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Ordonnance du Conseil d'Etat du 26 août 2016: http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/CE-ordonnance-du-26-aout-2016-Ligue-des-droits-de-l-homme-et-autres-association-de-defense-des-droits-de-l-homme-collectif-contre-l-islamophobie-en-France

Ordonnance du TA de Nice du 22 août 2016: http://nice.tribunal-administratif.fr/content/download/69800/641111/version/1/file/1603508%20et%201603523%20%20r%C3%A9f%C3%A9r%C3%A9%20libert%C3%A9%20plages%20Villeneuve-Loubet.pdf

Sur la procédure de référés: http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Dossiers-thematiques/Le-juge-des-referes

Actualité: http://www.lci.fr/societe/villeneuve-loubet-une-australienne-en-burkini-chassee-d-une-plage-2003781.html