Le Conseil d'État, saisi par le ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire des questions suivantes :

1° Quelles mesures peuvent prendre les maires lorsque la présence régulière ou épisodique d'un ours sur le territoire de la commune crée un risque pour la sécurité des personnes ? Les dispositions de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, notamment de son article 12, et celles de l'article L. 411-1 du Code de l'environnement, qui interdisent la « perturbation intentionnelle » des espèces protégées, font-elles obstacle à ce que soient conduites des actions d'effarouchement destinées à éloigner l'animal des zones où sa présence fait courir un risque pour la sécurité des personnes ou des biens ?

2° Dans quelles hypothèses et sur quel fondement la responsabilité des agents de l'État ou celle des maires pourrait-elle être recherchée ou engagée en cas de dommages causés par un ours ou à celui-ci ? Quelles dispositions ou mesures seraient de nature, dans le respect du droit communautaire et des textes internationaux, à limiter le risque d'engagement de la responsabilité de ces personnes ?

Vu la Convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, notamment ses articles 6 et 9 et son annexe II ;

Vu la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, notamment ses articles 12 et 16 et son annexe IV ;

Vu le Code de l'environnement, notamment ses articles L. 411-1 et L. 411-2 ;

Vu le Code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 2122-21, L. 2123-34, L. 2212-1 et L. 2212-2 ;

Vu le Code pénal, notamment ses articles 121-3 et 223-1 ;

Vu le Code rural, notamment son article L. 211-11 ;

Vu l'arrêté du 9 juillet 1999 fixant la liste des espèces de vertébrés protégées menacées d'extinction et dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département ;

Vu l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

Est d'avis de répondre aux questions posées dans le sens des observations suivantes :

1° Aux termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration ; (...) d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos... ». L'article 16 de la même directive prévoit que : « 1) À condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : (...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur (...) ».

Pour la transposition de ces dispositions, les articles L. 411-1 à L. 411-4 et R. 411-1 et suivants du Code de l'environnement confient aux autorités de l'État le pouvoir de décider, par dérogation et dans des conditions exceptionnelles, les opérations de destruction, de capture ou d'effarouchement visant l'ours, lequel figure sur la liste des mammifères protégés établie par l'arrêté du 23 avril 2007 qui a remplacé et abrogé l'arrêté du 17 avril 1981.

2° Les pouvoirs de police spéciale attribués aux ministres et aux préfets ne font pas obstacle à l'exercice des compétences de police reconnues aux maires par la loi, notamment pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Toutefois, eu égard au statut de protection et aux caractéristiques de l'ours brun dans le massif pyrénéen, les maires ne peuvent faire usage à son encontre ni des pouvoirs de police spéciale de destruction des animaux nuisibles prévus au 9° de l'article L. 2122-21 du Code général des collectivités territoriales, l'ours ne pouvant être classé dans cette catégorie, ni des pouvoirs définis aux articles L. 211-11 et suivants du Code rural pour traiter les animaux dangereux et errants, dès lors que l'ours dans son aire de répartition naturelle n'est la chose d'aucun propriétaire ou gardien auquel le maire aurait à se substituer.

En revanche, les maires disposent, pour assurer la sécurité publique à l'égard de l'ours sur le territoire de leur commune, des pouvoirs de police générale que leur confère l'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, notamment son 7° relatif à la divagation des animaux malfaisants ou féroces.

3° Dans l'exercice de ces pouvoirs de police générale, les mesures que les maires peuvent édicter ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de faire obstacle aux actions de protection de l'ours décidées par les autorités de l'État ni être incompatibles avec les obligations communautaires de la France. Elles doivent, en outre, être strictement nécessaires à la sécurité des personnes et des biens et proportionnées aux risques avérés. Il est admis que ces risques pour les personnes concernent pour l'essentiel les hypothèses peu fréquentes de rencontres avec une ourse suitée par son ourson, de dérangements de l'ours dans son aire de repos ou de comportements atypiques de certains individus.

Dans ce cadre, les principales mesures à prendre sont de prévention en coordination avec les autres acteurs locaux et personnes publiques. Elles, devraient porter sur la diffusion la plus large des informations actualisées disponibles sur les comportements de l'ours, ses zones de préférence et ses déplacements. Elles devraient aussi concourir à la formation des personnes qui, du fait de leurs activités économiques ou de leurs pratiques de loisirs, sont davantage exposées à des rencontres fortuites avec le plantigrade.

Les autorités décentralisées peuvent également user de leurs pouvoirs pour réglementer la circulation des véhicules et des promeneurs sur les voies dont elles ont la gestion, en fonction des zones repérées de présence de l'ours, des comportements physiologiques de l'animal et des périodes de plus grande fréquentation du massif pyrénéen.

En dehors de ces territoires de présence reconnue, peuvent être déterminés des espaces limités, par exemple aux abords immédiats des habitations, où les autorités de police auront à recourir, dans le respect des procédures coordonnées prévues à cet effet, à des actions d'effarouchement d'un ours pour l'éloigner. En cas d'échec de ces actions, il appartiendra au préfet ou aux ministres de recourir à des interventions destinées à neutraliser l'animal. Des dispositifs similaires peuvent être mis en oeuvre dans les cas particuliers d'ours anormalement prédateurs sur des élevages protégés. Il devra toutefois être veillé à ce que le cumul de l'ensemble des mesures prises ne nuise pas à la conservation de l'espèce protégée.

Enfin, dans des situations exceptionnelles exigeant des réponses immédiates à des menaces imminentes et graves, il revient aux maires de prendre des dispositions ponctuelles, localisées et proportionnées visant à écarter le danger pour la sécurité des biens ou des personnes.

Sous réserve de l'appréciation des juridictions, les actions de cette nature paraissent compatibles avec les objectifs de la directive. En effet, si les perturbations intentionnelles sont en principe interdites, il peut être dérogé à cette prohibition pour des motifs de sécurité publique, s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et à condition de ne pas nuire à la conservation favorable de l'espèce protégée, ce qui implique, en l'état actuel de vulnérabilité de la population ursine dans les Pyrénées, que les autorités doivent, en cas d'élimination d'un individu, procéder à son remplacement par l'introduction d'un nouveau spécimen.

4° La responsabilité des personnes investies d'un pouvoir de police peut être recherchée devant le juge administratif pour faute simple résultant soit de l'illégalité de décisions ou d'agissements contraires aux objectifs de protection de l'ours soit, à l'inverse, d'une carence à prendre les mesures nécessaires ou à faire appliquer les mesures prises, qu'il s'agisse de la protection de l'animal ou de la prévention des risques qu'il cause.

Toutefois, les agissements ou les carences du maire, d'un agent de l'État ou d'un établissement public, qui constituent des fautes de service, engagent la responsabilité de la collectivité publique au nom de laquelle ils exercent leurs attributions, à savoir respectivement la commune, l'État ou l'établissement public. La responsabilité personnelle ne peut être recherchée que pour une faute personnelle détachable du service, hypothèse qui paraît, en l'espèce, devoir être assez rare.

En l'absence même de tout manquement des autorités compétentes, les dommages causés par l'ours et revêtant un caractère grave et spécial peuvent ouvrir droit à indemnisation, à la charge de l'État, sur le fondement de la responsabilité sans faute engagée pour rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques.

5° La mise en jeu de la responsabilité pénale des élus et des agents publics peut être recherchée pour mise en danger d'autrui sur le fondement de l'article 223-1 du Code pénal. L'infraction ne requiert pas de dommage réalisé mais seulement un dommage éventuel. Il suffit d'une faute non intentionnelle résultant d'une négligence, d'un manquement à une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Selon l'article 121-3 du même code, est responsable pénalement la personne qui a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter.

Toutefois, l'imprévisibilité de l'ours, les aléas de ses déplacements et de ses rencontres et l'absence de maîtrise en droit comme en fait de l'élu ou de l'agent sur cet animal ne constituent pas des circonstances de nature à caractériser aisément l'infraction.

Ainsi qu'il a été dit précédemment, l'exercice des compétences de police du maire en application de l'article L. 2212-2-7° du code général des collectivités territoriales étant partagé avec les compétences des autorités de l'État, les missions lui revenant en propre sont réduites. L'élu dépend, pour remplir son obligation d'information, du concours de nombreux autres intervenants et de la disponibilité de données scientifiques difficiles à recueillir ; il doit, de surcroît, couvrir des activités diverses s'exerçant sur un vaste territoire.

Ainsi, l'obligation qui lui incombe d'assurer la sécurité vis-à-vis de l'ours est limitée dans son contenu et fortement conditionnée par des contraintes extérieures, ce qui devrait rendre difficile la démonstration d'une violation manifeste de son obligation légale ou d'un défaut de diligences normales au sens de l'article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales.

6° Selon la jurisprudence constitutionnelle, un régime d'exonération totale de responsabilité serait contraire au principe d'égalité.

La recherche d'un régime limité de responsabilité pénale pour les élus en ce domaine, notamment par la définition d'obligations minimales, exposerait probablement les intéressés à des risques pénaux plus grands, sans compter les divers inconvénients qui s'attachent à l'existence d'un régime dérogatoire du droit commun.