Comme le prévoyait la loi du 31 décembre 1990, l’ordonnance du 8 février 2023 (qui vient de réformer le droit applicable à l’exercice en société des professions libérales réglementées) précise que les décrets d’application pourront « prévoir qu'un associé n'exerce sa profession qu'au sein d'une seule société d'exercice libéral et ne peut exercer la même profession à titre individuel ou au sein d'une société civile professionnelle. »[1]
Dans l’attente que les décrets d’application concernant les professionnels de santé soient publiés, il nous semble opportun de souligner l’intérêt de rectifier les dispositions de l’article R. 4113-3 du code de la santé publique ou plutôt l’interprétation qui en a été faite par le Conseil d’Etat, aux termes d’arrêts, désormais anciens, du 3 septembre 2007[2].
Pour mémoire, le 1er alinéa de l’article R. 4113-3 du code de la santé publique[3] dispose que :
« Un associé ne peut exercer la profession de médecin qu'au sein d'une seule société d'exercice libéral de médecins et ne peut cumuler cette forme d'exercice avec l'exercice à titre individuel ou au sein d'une société civile professionnelle, excepté dans le cas où l'exercice de sa profession est lié à des techniques médicales nécessitant un regroupement ou un travail en équipe ou à l'acquisition d'équipements ou de matériels soumis à autorisation en vertu de l'article L. 6122-1 ou qui justifient des utilisations multiples. ».
Autrement dit, sauf certaines exceptions (que nous n’aborderons pas ici), l’associé exerçant d’une SEL de médecins ne peut cumuler son activité au sein de la SEL avec une autre activité libérale que ce soit au travers d’une autre SEL, d’une SCP ou à titre individuel.
Au premier abord, cette interdiction de cumule parait justifiée, dans la mesure où il serait injuste que l’un des associés d’une même SEL s’investisse moins que les autres et, surtout, délaisse le projet conçu collectivement au profit d’un autre par nature concurrent.
Néanmoins, cette vision manque à notre avis de hauteur, notamment parce que la diversification des activités est souvent très enrichissante intellectuellement et favorise le développement des compétences des praticiens.
De même, l’esprit de ce texte, visant à protéger les associés d’un praticien multipliant les projets et activités, est réduit à néant dans le cas d’une société unipersonnelle.
Or, les sociétés d’exercice libérale unipersonnelles sont de plus en plus fréquentes, notamment parce qu’elles permettent aux praticiens de piloter leurs activités de manière plus confortable.
Enfin, la « protection » proposée par ce texte ne nous semble absolument pas nécessaire, puisque sa suppression serait palliée par des outils d’ores et déjà fréquemment utilisés au sein des SEL, comme la fixation d’une rémunération des praticiens par vacation effectivement assumée (qui permet déjà de récompenser les associés qui travaillent davantage, sans forcer les autres à adopter un rythme de vie plus soutenu).
Surtout, l’interprétation extensive présentée par le Conseil d’Etat en 2007 nuit à l’attractivité du secteur hospitalier de la santé et à la liberté d’entreprendre des médecins.
En effet, aux termes de l’un des arrêts rendus le 3 septembre 2007 (n° 295344)[4], le Conseil d’Etat estime que « la notion d'exercice individuel au sens de l'article R. 4113-3 du code de la santé publique ne s'entend pas exclusivement de l'exercice à titre libéral mais qu'elle recouvre également l'exercice salarié d'un médecin dans un établissement de santé », pour conclure qu’un praticien hospitalier ne pourrait pas exercer une activité libérale annexe au travers d’une SEL, même unipersonnelle.
Alors même que le chirurgien urologue concerné ne semblait pas avoir l’intention de constituer une société pluripersonnelle justifiant que ses futurs associés – inexistants – soient protégés, il a été privé de la possibilité de structurer son activité libérale accessoire.
Quel est l’objectif d’une telle privation ? Nous ne parvenons pas à l’identifier.
A l’inverse, nous pensons qu’elle conduit progressivement les praticiens désireux d’entreprendre à déserter l’hôpital, alors même que beaucoup d’entre eux aimeraient bénéficier de la complémentarité d’un exercice hospitalier avec une activité libérale.
Cette complémentarité est d’ailleurs très ancrée culturellement dans les CHU, où les PU-PH français parviennent à innover grâce à la complémentarité de leurs activités universitaires et hospitalières.
Alors pourquoi empêcher les praticiens hospitaliers, non universitaires, à bénéficier d’une complémentarité leur permettant également d’innover et d’entreprendre ? La question est posée !
En attendant, la lecture de deux récents arrêts du 8 novembre 2024[5] nous conduit à penser que le Conseil d’Etat n’est malheureusement pas favorable à un assouplissement de sa jurisprudence en faveur de l’entreprenariat des professionnels de santé.
En effet, dans ces deux affaires, des chirurgiens-dentistes ayant sollicité la constitution d’une seconde SEL (ce qui est autorisé pour cette profession) se sont vus opposés un refus au motif que cela aurait pour effet de leur permettre d’exercer sur plus de deux sites
[1] Article 45 du l’ordonnance n° 2023-77
[2] Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 03/09/2007, n° 295344 et 291887
[3] Issu de la codification de 2004 du décret n°94-680 du 3 août 1994 relatif à l'exercice en commun de la profession de médecin sous forme de société d'exercice libéral
[4] Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 03/09/2007, n° 295344
[5] CE, 4e - 1re ch. réunies, 8 nov. 2024, n° 468494 et 467976
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