Cette note de jurisprudence a été initialement publiée dans le n°48 des Cahiers de Jurisprudence de la Cour Administrative d'Appel de Nantes en page 17 (CAA de Nantes, 7 février 2025, n°24NT00896).
Le code de la commande publique reconnaît la faculté pour les acheteurs publics d’effectuer des « consultations » ou de « solliciter des avis » dans le cadre d’« études et échanges préalables » afin de préparer la passation d’un marché public, sous-réserve que l’utilisation des résultats ne fausse pas la concurrence ou ne conduise pas à méconnaître les principes d’égalité de traitement et de transparence (code de la commande publique, article R. 2111-1). Il s’agit d’une reprise d’une disposition de la Directive européenne de 2014, dont les termes sont plus précis et visent la sollicitation « d’avis d’autorités ou d’experts indépendants ou d’acteurs du marché » (Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, article 40). Les textes paraissent donc difficilement pouvoir être lus comme autorisant la sollicitation de devis, et ce d’autant plus que recueillir et signer un devis revient à conclure un marché public : « le devis signé et accepté par le maire de la commune, en sa qualité de représentant du pouvoir adjudicateur, doit être regardé comme la seule pièce constitutive du marché » (CAA Nantes, 16 octobre 2020, n°19NT04940).
Ainsi, il a déjà été jugé que la remise de devis par différents opérateurs sollicités directement, devis ensuite comparés par l’acheteur public ce qu’il avait d’ailleurs annoncé aux opérateurs, avant qu’il ne s’engage avec l’un d’entre eux, constituait une mise en concurrence, quand bien même l’acheteur public n’y était pas tenu eu égard au faible montant du marché. La procédure de passation a été jugée viciée puisque l’acheteur s’était fondé uniquement sur le critère du prix, ce qui n’était pas possible s’agissant de prestations non-standardisées, et le concurrent évincé auteur du recours a été indemnisé (Tribunal administratif de Strasbourg, 16 mai 2024, n° 2108389).
Dans l’arrêt commenté, la cour a été saisie d’un marché public dont le faible montant autorisait sa conclusion sans mise en concurrence. Le marché litigieux a été conclu sur la base d’un devis, après que la commune ait sollicité trois devis. Les requérants, élus d’opposition, ont contesté la procédure de passation de ce marché.
Ils ont fait valoir qu’en sollicitant plusieurs devis, la commune a entendu se soumettre à une procédure de publicité et de mise en concurrence, et qu’elle aurait dû de ce fait respecter les règles applicables (définition de ses besoins, élaboration d’un règlement de consultation définissant notamment les critères de jugement des offres, réalisation d’une analyse des offres, etc.).
La cour confirme le jugement attaqué, par lequel la requête avait été rejetée. Elle considère que la commune n’a pas « entendu se placer dans le cadre d'une procédure adaptée impliquant une mise en concurrence », puisque « La consultation de différents devis avait uniquement pour but de respecter les critères [...] tirés du choix d'une offre pertinente, en faisant une bonne utilisation des deniers publics », lesquels s’appliquent pour tout marché conclu sans mise en concurrence (code de la commande publique, article R. 2122-8). Elle ajoute que « les requérants ne peuvent davantage utilement soutenir que la commune aurait dû communiquer aux entreprises contactées pour produire des devis les critères de choix des offres et les solliciter tous au même moment » (arrêt commenté).
De nombreux commentateurs se sont emparés de cet arrêt pour en faire une interprétation probablement excessive, en y lisant une approbation générale de la légalité de la conclusion d’un marché public sans mise en concurrence après sollicitation de trois devis. Cette lecture paraît cependant imprudente.
D’une part, il ne ressort pas des termes de la délibération de la commune, tels que résumés par la cour, que la commune ait procédé à une véritable comparaison des devis, et ce d’autant plus que les devis ont été sollicités à des périodes différentes, la situation s’apparentant donc à une étude de marché. L’espèce se prêtait donc mieux que celle jugée par le tribunal administratif de Strasbourg à considérer qu’il était question d’échanges et études préalables.
D’autre part, le recours était porté par des élus d’opposition et non par un concurrent évincé. Les critiques formulées étaient générales, sur la validité du principe même de la sollicitation des trois devis. L’analyse des juges aurait pu être différente si le recours avait été présenté par un concurrent évincé, faisant état d’éléments tangibles démontrant que les sollicitations avaient été conduites dans des conditions portant atteinte à l’égalité de traitement ou à la transparence exigée par le code, ou encore en parvenant à démontrer que les offres avaient été en réalité comparées, en dehors de toute transparence sur les spécifications techniques, les conditions de remise des offres, les critères ou leur pondération. Pour les acheteurs publics, la vigilance est de mise puisque la limite est ténue entre ce qui constitue des études et échanges préalables et ce qui fait basculer la procédure dans une véritable mise en concurrence, avec toutes les obligations que cela comporte. Le risque pour ces derniers est d’autant plus important, qu’outre une procédure viciée et une condamnation à des dommages intérêts, une sanction pénale au titre du délit de favoritisme est possible (code pénal, article 432-14).
Seule une clarification des textes figurant dans le code afin d’inclure la sollicitation de devis dans les échanges et études préalables, qui paraît peu probable puisqu’elle s’éloignerait encore plus des dispositions de la Directive, pourrait conduire à sécuriser définitivement la pratique de la conclusion de marchés sans mise en concurrence après sollicitation de trois devis. En l’état, la solution restera probablement variable d’espèce à espèce.
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Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes
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