Les messages injurieux et excessifs bénéficient d’une présomption de caractère professionnel pour avoir été envoyés par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail. Leur contenu étant en rapport avec son activité professionnelle, ils ne revêtaient pas un caractère privé, peu important que ces échanges ne fussent pas destinés à être rendus publics. Ils pouvaient donc être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire.
par Thibault Lahalle, MCF-HDR, Directeur du master de Droit social, Université de Créteil 20 décembre 2024
Soc. 11 déc. 2024, F-B, n° 23-20.716
Sept ans après son recrutement, un salarié recruté en qualité de « business unit manager » avant de devenir par ailleurs conseiller de l’employeur est licencié pour faute lourde après avoir tenu des propos très critiques et dénigrants sur sa société, en tant que personne morale, et ses nouveaux dirigeants, en tant que personnes physiques. Contestant cette rupture, le requérant n’obtient devant les juges du fond que très partiellement gain de cause avec une requalification de la faute lourde en faute grave lui permettant d’échapper à l’engagement de sa responsabilité civile faute de caractériser l’existence d’une intention de nuire.
Jugeant insuffisante cette décision qui le prive des indemnités de rupture, de licenciement et de préavis, il intente un pourvoi dans lequel, sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression, il déplore que ses critiques relatives à la gestion du personnel d’encadrement et ses propos relatifs aux contentieux opposant d’anciens collaborateurs à la structure soient sanctionnées par la rupture de son contrat. Publié au Bulletin, l’arrêt commenté de la chambre sociale de la Cour de cassation du 11 décembre 2024 rejette le pourvoi.
Rappel du principe et de ses limites
L’arrêt rappelle en premier lieu le principe selon lequel il résulte de l’article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Tout salarié a ainsi le droit de critiquer ses conditions de travail (Soc. 11 oct. 2023, n° 22-15.138, JCP S 2023. 1336, note T. Lahalle). N’est pas non plus abusif, en soi, l’envoi d’une lettre par un cadre aux dirigeants de la société pour critiquer une nouvelle organisation administrative (Soc. 27 mars 2013, n° 11-20.721, RJS 6/2013, n° 453). Dans le même esprit, est dans son rôle, le directeur fiscal qui alerte son employeur sur les conséquences fiscales et pénales d’un contrat de cession de parts avec une banque (Soc. 16 févr. 2022, n° 19-17.871, Dalloz actualité, 18 mars 2022, obs. C. Couëdel ; D. 2022. 358 ; JA 2023, n° 677, p. 40, étude P. Fadeuilhe ; JCP S 2022. 1091, note B. Bossu). S’appliquent cependant au salarié les limites classiques de la liberté d’expression. Sont par exemple abusifs les propos injurieux et diffamatoires tenus à l’égard du gérant de la société (Soc. 12 févr. 2016, n° 14-24.886, RJS 5/2016, n° 312, 3e esp.) de même que ceux qui mettent en cause la moralité d’un mandataire social sur la base d’actes relevant de sa vie privée (Soc. 21 sept. 2011, n° 09-72.054, Dalloz actualité, 11 oct. 2011, obs. J. Siro ; D. 2011. 2343 ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JCP S 2021. 1544, note J. Mouly). Commet également une faute le travailleur qui, tenu par un devoir de réserve ou une clause de confidentialité, outrepasse les limites de ce qu’il peut raisonnablement dire ou écrire.
Application à l’espèce
En l’espèce, le salarié avait commis une double faute. Dans le fond, la qualification de « PD » pour désigner le directeur général caractérisait sans contestation possible un terme injurieux au demeurant passible de poursuites pénales (C. pén., art. R. 621-2). Dans la forme, le requérant avait commis la maladresse de tenir des propos dénigrants contre les dirigeants à l’occasion d’échanges SMS avec des salariés en poste mais en utilisant le téléphone portable remis par l’entreprise pour les besoins de son travail. Dès lors, pour la Cour de cassation, les échanges perdent leur caractère privé pour bénéficier d’une présomption de caractère professionnel, peu important qu’ils ne soient pas destinés à être rendus publics. Cet élément factuel est important, la Cour de cassation estimant, en revanche, que relèvent de la vie privée des propos tenus sur Facebook, certes injurieux envers l’employeur eux aussi, mais dans un cadre fermé de quatorze personnes seulement (Soc. 12 sept. 2018, n° 16-11.690, Dalloz actualité, 10 oct. 2018, obs. H. Ciray ; D. 2018. 1812 ; ibid. 2019. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JA 2018, n° 587, p. 12, obs. D. Castel ; ibid. 2019, n° 592, p. 40, étude M. Julien et J.-F. Paulin ; RDT 2019. 44, obs. R. Dalmasso ; JCP S 2018. 1328, note G. Loiseau ; 6 mars 2024, n° 22-11.016, D. 2024. 481 ; ibid. 1636, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2024. 713, étude J. Mouly ; JCP S 2024. 1110, note G. Loiseau, pour des propos racistes). Les propos, comme l’outil utilisé pour les propager, peuvent autoriser l’employeur à engager la responsabilité disciplinaire de salariés qui abusent des libertés fondamentales que les normes internationales et constitutionnelles leur accordent. La liberté d’expression n’est pas un droit discrétionnaire et l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne dit pas autre chose : « la libre communication des pensées et des opinons est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Dès lors qu’il utilise un outil professionnel pour s’exprimer le salarié doit avoir conscience qu’il met entre parenthèses son droit à la vie privée auquel la jurisprudence est particulièrement attentive. Outre la jurisprudence ci-dessus évoquée relative aux échanges exprimés dans un cadre purement privé, on songe aux fautes éventuellement commises par le salarié en dehors du cadre professionnel et que l’employeur ne peut en principe pas exploiter pour prononcer une sanction. Ainsi, la Cour de cassation a récemment jugé que devait être, non pas déclaré nul, mais dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement d’un agent de la RATP qui, après son service, et donc en dehors de son temps de travail, avait été interpelé sur la voie publique par les services de police au volant de son véhicule particulier avec, dans celui-ci, un sac contenant du cannabis (Soc. 25 sept. 2024, n° 22-20.672, Dalloz actualité, 9 oct. 2024, obs. L. Malfettes ; D. 2024. 1672 ).
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