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Par une décision en date du 4 juillet 2024, le Juge administratif est venu confirmer l’impossibilité pour une Commune d’exercer son droit de préempter un local commercial situé hors d’une zone spécifique dédiée à une telle acquisition, cela, quand bien même ladite zone serait située à proximité du bien concerné.
En l’espèce, il s’agissait pour un exploitant d’acquérir par le biais d’une SCI créée à cet effet le local commercial qu’il occupait depuis des années dès lors que le bailleur lui avait précisé qu’il souhaitait céder ce bien.
Au moment de la vente, la Commune s’est portée acquéreur au travers l’exercice de son droit de préemption.
L’acquéreur a souhaité contester cette décision de préemption par l’introduction d’une requête en référé suspension.
Il est intéressant d’analyser le sens de la décision rendue, à savoir, la suspension de la décision de préempter hors zone dédiée (A) ainsi que les effets sur la vente d’une telle décision (B).
Tribunal administratif de Nice, ordonnance du 4 juillet 2024, N° 2403068.
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A. La suspension de la décision de préempter hors zone dédiée.
S’agissant de la recevabilité d’une demande de référé suspension, le Juge administratif a fait application de la jurisprudence habituelle en pareil cas.
En effet, face à une décision de préemption, l’acquéreur évincé bénéficie d’une présomption d’urgence à en demander la suspension, sauf cas particulier [1] :
« Eu égard à l’objet d’une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l’acquéreur évincé, la condition d’urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci demande la suspension d’une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l’intérêt s’attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise ».
Au cas d’espèce, aucune circonstance ne légitimait une quelconque urgence de préempter le local, cela, d’autant que le Juge administratif a pu constater qu’aucun projet ne concernait le bien en cause.
L’urgence de faire éventuellement droit à la demande de suspension était donc indiscutable.
Par ailleurs, sur le fond, le Juge administratif a pu constater sans équivoque qu’aucune volonté de préempter d’une autre Autorité n’était présente au dossier et que le bien n’était concerné par aucun espace dédié spécifiquement à un quelconque aménagement permettant de mobiliser le droit de préempter de la Commune :
« Il résulte des pièces versées au dossier que si le local en litige est situé au 707 avenue de Cannes, à l’entrée de Mandelieu la Napoule, il n’est, toutefois, pas situé, à la date à laquelle le juge des référés statue, dans le périmètre d’intervention du projet de renouvellement urbain, tel qu’arrêté dans la convention d’intervention foncière conclue entre la commune de Mandelieu La Napoule et l’établissement public foncier (EPF) de Provence Alpes Côte d’Azur du 5 janvier 2023. Il ne résulte pas non plus de l’instruction que l’EPF ait souhaité intervenir, à titre exceptionnel, en dehors de périmètre, ainsi que le prévoit l’article 3 de ladite convention, dans le secteur dans lequel est situé le local en litige. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que les moyens tirés de ce que la décision de préemption du 21 mai 2024 méconnaît les dispositions de l’article L300-1 du Code de l’urbanisme, qu’elle porte atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et qu’elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision ».
L’exécution de la décision par laquelle le maire a exercé son droit de préemption sur le local d’activité d’une superficie a été suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité.
B. Les effets de la suspension de la décision de préempter
En principe, cette suspension devrait permettre à l’acquéreur de signer la vente du bien :
« Considérant, d’autre part, que, lorsque le juge des référés prend, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, une mesure de suspension de l’exécution d’une décision de préemption, cette mesure a pour conséquence, selon les cas, non seulement de faire obstacle à la prise de possession au transfert de propriété du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique titulaire du droit de préemption mais également de permettre aux signataires de la promesse de vente de mener la vente à son terme, sauf si le juge, faisant usage du pouvoir que lui donnent les dispositions précitées de ne suspendre que certains des effets de l’acte de préemption, décide de limiter la suspension à la première des deux catégories d’effets susmentionnées » [2].
Depuis cet arrêt, le Conseil d’État a pu préciser que lorsque la mesure de suspension intervient avant le transfert de propriété, le juge doit prendre en considération les incidences de la suspension sur la situation des personnes intéressées, tout en préservant les intérêts du futur propriétaire [3].
En conséquence, il lui appartient de moduler les effets de la suspension en précisant :
- Si la décision de suspendre est prise en tant seulement qu’elle permet à la collectivité de disposer du bien et d’en user dans des conditions qui rendraient difficilement réversible la décision de préemption. Dans ce cas, il doit être précisé aux termes de la décision que cette suspension ne s’oppose pas à la signature de l’acte authentique ou de procéder au paiement du prix d’acquisition ;
- Au contraire, si la décision de suspendre est prise en tant qu’elle fait obstacle à la vente au bénéfice de l’acquéreur initial, mais cela en rappelant que c’est à ses risques et périls et sous les mêmes réserves relatives à la disposition et à l’usage du bien par ce dernier.
« Lorsque le juge des référés prend une mesure de suspension de l’exécution d’une décision de préemption avant l’intervention du transfert de propriété, comme en l’espèce, faute que soient remplies les deux conditions mentionnées par l’article L. 213-14 du code de l’urbanisme, cette suspension a en principe pour effet de faire obstacle au transfert de propriété du bien préempté au bénéfice de cette collectivité et à la prise de possession du bien.
Toutefois, le juge des référés, qui doit prendre en considération les incidences de la suspension pour l’ensemble des personnes intéressées, tout en préservant les intérêts du futur propriétaire, quel qu’il soit, peut notamment suspendre la décision de préemption en tant seulement qu’elle permet à la collectivité publique de disposer du bien et d’en user dans des conditions qui rendraient difficilement réversible la décision de préemption, en précisant alors que son ordonnance ne fait pas obstacle à la signature de l’acte authentique et au paiement du prix d’acquisition, ou au contraire la suspendre en tant qu’elle fait obstacle à la vente au bénéfice de l’acquéreur initial, à ses risques et périls et, le cas échéant, sous les mêmes réserves relatives à la disposition et à l’usage du bien ».
Cette décision a pu faire l’objet d’une application concrète aux termes de laquelle le Juge a fait droit à la demande de suspension en permettant à l’acquéreur initial d’acquérir le bien à ses risques et périls [4] :
« 12. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, dès lors notamment qu’il est constant que la SARL Frank Immobilier a d’ores et déjà déposé une demande de permis de construire pour les parcelles en litige, concernant un projet immobilier d’envergure répondant à l’objectif de production de logements sociaux, il y a lieu de suspendre l’exécution de la décision de préemption en tant qu’elle fait obstacle à la vente des biens en litige au bénéfice de la SARL Frank Immobilier, à ses risques et périls, étant précisé que la SARL Frank Immobilier ne peut disposer de ces biens et en user dans des conditions qui rendraient difficilement réversible la décision de préemption.
(…)
O r d o n n e :
Article 1er : L’exécution de la décision du 25 octobre 2022 du directeur la société Habitat de l’Ill est suspendue en tant qu’elle fait obstacle à la vente des biens en litige au bénéfice de la SARL Frank Immobilier, à ses risques et périls, étant précisé que la SARL Frank Immobilier ne peut disposer de ces biens et en user dans des conditions qui rendraient difficilement réversible la décision de préemption ».
En l’absence de précision, il peut se déduire des décisions précitées que jusqu’à ce que le Tribunal ait statué au fond, la vente est autorisée aux risques et périls de l’acquéreur initial et à condition qu’il dispose et use du bien dans des conditions qui ne rendraient pas difficilement réversible la décision de préemption.
À l’aune de cette décision, l’attention des Collectivités est donc attirée sur l’impérieuse nécessité d’étayer l’exercice de leur droit de préemption dans des zones spécifiquement dédiées, faute de s’entendre suspendre une telle décision même au stade des référés.
Tribunal administratif de Nice, ordonnance du 4 juillet 2024, N° 2403068
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