Le padel, sport de raquette en plein essor, suscite un engouement croissant auprès du public et des collectivités, qui y voient une activité dynamique et conviviale. Toutefois, comme toute pratique sportive de plein air, il peut engendrer des nuisances sonores importantes pour les riverains. Récemment, un litige porté devant le tribunal judiciaire de Nice a abouti à la fermeture de terrains de padel sous astreinte (600 euros par jour de retard), marquant l’un des premiers cas médiatisés de condamnation liée spécifiquement à cette discipline.

Cette décision n’est toutefois pas isolée si l’on se réfère aux nombreux précédents portant sur des installations sportives proches (courts de tennis, skate-parks, circuits sportifs), dont la jurisprudence a peu à peu affiné les conditions de mise en cause de la responsabilité de l’exploitant et, parfois, de la collectivité. Il convient donc de s’interroger sur le cadre juridique applicable : quelles sont les limites imposées à l’exploitant en matière de nuisances sonores ? Quels sont les droits et les voies d’action des riverains ? Quels juges sont compétents et quelles sanctions peuvent être prononcées (astreinte, indemnités, etc.) ? Enfin, dans quelle mesure la responsabilité d’une commune-propriétaire ou autorité publique peut-elle être engagée ?

Nous examinerons d’abord (I) le fondement juridique du trouble anormal du voisinage et les critères retenus par les juridictions pour caractériser les nuisances sonores excessives, avant de détailler (II) les conséquences pratiques de ces nuisances : obligations à la charge de l’exploitant, droits des riverains, sanctions possibles et responsabilités encourues (y compris celle de la commune).


I. Le trouble anormal du voisinage appliqué aux nuisances du padel

A. Un fondement juridique consolidé : le trouble anormal du voisinage

  1. Principe général
    Le trouble anormal du voisinage est un principe jurisprudentiel, parfois rattaché aujourd’hui aux articles 1240 et suivants du code civil (responsabilité délictuelle). Il suppose la preuve d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.

  2. Référence au code de la santé publique
    En matière de nuisances sonores, le code de la santé publique, notamment l’article R. 1336-5, prohibe « tout bruit particulier, par sa durée, sa répétition ou son intensité, portant atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme ». Les constatations d’huissiers, d’experts acousticiens ou des services communaux d’hygiène constituent souvent des preuves déterminantes permettant de vérifier l’émergence sonore (différence de décibels entre le bruit résiduel et le bruit mesuré).

  3. L’émergence du padel comme source de contentieux
    Le padel se caractérise par l’utilisation de raquettes pleines, de parois vitrées favorisant l’amplification du rebond de balle et, généralement, la présence de quatre joueurs par terrain. L’intensité sonore peut être supérieure à celle des courts de tennis traditionnels, d’où l’apparition de différends récents entre clubs et riverains. Dans l’affaire du Nice Lawn Tennis Club, relatée par la presse, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice a estimé que le bruit et les nuisances lumineuses dépassaient le seuil de tolérance normale, justifiant la cessation de l’activité sous astreinte.

B. Les critères retenus par la jurisprudence : intensité, durée et répétition

  1. Appréciation in concreto
    La jurisprudence prend en compte l’importance du bruit (mesurée en décibels), sa répétition et son étendue dans le temps (par exemple, l’amplitude horaire de 8 h à 21 h 40, sept jours sur sept). Pour qu’il y ait trouble anormal, il faut démontrer que la gêne dépasse la normale pour un voisinage habituel (CAA Nantes, 19 févr. 2015, n° 13NT03491 ; CA Aix-en-Provence, 1 sept. 2022, n° 21/06465, etc.).

  2. Le rôle prépondérant de l’expertise acoustique
    Les juges ordonnent fréquemment des mesures d’instruction (article 145 du code de procédure civile). Dans l’affaire jugée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (1er sept. 2022, n° 21/06465), l’expert acousticien a confirmé le dépassement des normes, rendant manifeste le trouble. De même, l’arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage du bruit de voisinage fixe les méthodes d’évaluation.

  3. Des précédents déjà reconnus pour d’autres sports

  • Conseil d’État, 11 janv. 2008, n° 303726 : activités sportives bruyantes (véhicules terrestres à moteur) où l’on a précisé que l’action des riverains ne peut se fonder sur les articles R. 1334-30 à R. 1337-10-1 que si aucune règle spécifique de fédération ou d’homologation administrative n’est intervenue.
  • Conseil d’État, 16 déc. 2013, n° 355077 : indemnisation de riverains proches d’un court de tennis créant un « caractère grave et spécial de nuisance sonore ».
  • CAA Marseille, 3 avr. 2017, n° 15MA03230 : trouble causé par un « skate-park ».

Ces décisions confirment l’évolution d’une jurisprudence stricte envers les activités causant des nuisances sonores dépassant les seuils réglementaires ou tolérables pour les riverains.


II. Les conséquences pratiques : obligations, sanctions et responsabilités

A. Les obligations et limites imposées à l’exploitant d’une activité de padel

  1. Devoir de prévenir et de limiter le bruit
    Les exploitants doivent mettre en place des dispositifs d’isolation acoustique ou d’absorption du bruit, limiter l’amplitude horaire ou l’intensité lumineuse (qui peut aggraver la gêne). Le juge peut ordonner la cessation de l’activité si aucune mesure de réduction n’est entreprise.

  2. Respect des normes et règles locales
    Les mairies ou préfets peuvent exiger des aménagements (murs anti-bruit, pare-vue, horaires restreints). Lorsqu’un règlement local de publicité ou un arrêté municipal existe, il peut également imposer des conditions d’exploitation (par exemple, extinction des projecteurs au-delà d’une certaine heure, limitation du volume sonore).

  3. Conséquence du non-respect : la cessation sous astreinte
    Dans l’affaire du Parc Impérial à Nice, le tribunal judiciaire a ordonné l’arrêt des terrains de padel sous astreinte de 600 euros par jour (référé). L’objectif de l’astreinte est de faire cesser rapidement le trouble. Si l’exploitant persiste, il se trouve exposé à des sanctions financières croissantes.

B. Les droits des riverains : action en cessation, indemnisation et procédure de référé

  1. Action en référé pour faire cesser le trouble
    Le référé est la voie rapide pour suspendre l’activité si le trouble est manifeste. Le juge peut ordonner la fermeture provisoire ou la réduction des nuisances (art. 809 du code de procédure civile), sous réserve de prouver l’évidence du trouble.

  2. Indemnisation pour trouble de jouissance et perte de valeur immobilière
    Lorsque le trouble anormal du voisinage est avéré, les voisins peuvent obtenir réparation de leur préjudice moral (perte de jouissance, troubles psychologiques liés au bruit permanent) et de leur préjudice matériel (dépréciation de la valeur vénale du bien). Ainsi, dans l’affaire concernant la commune de Roscoff (CAA Nantes, 19 févr. 2015, n° 13NT03491), les juges ont octroyé une indemnité de perte de valeur et de jouissance à des riverains de terrains de tennis municipaux.

  3. Recours amiable et constatations préalables
    Avant l’action en justice, il est fréquent que les riverains tentent une médiation ou sollicitent l’intervention des services communaux d’hygiène pour dresser un rapport. Les constats d’huissier ou d’expert acoustique restent cruciaux en cas de contentieux.

C. La responsabilité potentielle de la commune : propriétaire, exploitant ou autorité publique

  1. La commune en tant que propriétaire-bailleur
    Lorsque la commune est propriétaire des installations (terrains) et les met à disposition d’un club ou d’une société par bail (à construction ou commercial), elle peut voir sa responsabilité engagée si elle a conservé un pouvoir de contrôle ou d’autorisation sur les aménagements. Dans l’affaire de Roscoff précitée, la responsabilité de la commune a été retenue sur le fondement de la responsabilité sans faute dès lors que l’ouvrage public causait un dommage excédant les inconvénients normaux (CAA Nantes, 19 févr. 2015, n° 13NT03491).

  2. Le pouvoir de police municipale
    Même lorsqu’elle n’est pas directement propriétaire ou gestionnaire, la commune dispose de la police générale du maire (article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales) pour prévenir les atteintes à la tranquillité publique. Les riverains peuvent donc solliciter la mairie pour faire cesser des nuisances, indépendamment d’un recours contre l’exploitant.

  3. Distinction entre responsabilité administrative et judiciaire

  • Si la commune est attaquée en tant qu’autorité administrative (carence dans l’exercice du pouvoir de police, délivrance d’autorisations de construire, etc.), la juridiction administrative peut être compétente (CE, 16 déc. 2013, n° 355077).
  • Si la commune est mise en cause comme propriétaire-bailleur, la compétence revient au juge judiciaire.

Conclusion
Le récent litige niçois autour du padel illustre une tendance de fond : les riverains sont désormais mieux armés juridiquement pour obtenir la cessation ou la réduction des nuisances sonores liées aux activités sportives extérieures, y compris lorsqu’elles relèvent d’un sport récent comme le padel. Le juge des référés peut ordonner des mesures fortes (fermeture sous astreinte), et la responsabilité pécuniaire de l’exploitant, voire de la commune, peut être engagée en raison de troubles anormaux du voisinage.

Les exploitants doivent donc anticiper et prévenir le risque juridique en veillant au respect des normes acoustiques (mesures d’insonorisation, réduction des horaires) et au dialogue constructif avec les riverains. Du côté des particuliers, les droits à la tranquillité et au respect de la qualité de vie sont protégés, ouvrant la possibilité d’actions en référé et en indemnisation lorsque le seuil de tolérance est franchi. La prudence et l’anticipation constituent donc, pour chaque partie, les meilleurs moyens d’éviter une issue contentieuse coûteuse et dommageable à la fois pour l’exploitant et pour le voisinage.