Un récent arrêt de la Cour de cassation considérant que la curatelle renforcée n'est pas justifiée à l'égard d'une personne atteinte de cécité, se prononce dans le même sens qu’une décision obtenue en 2021 dans l’intérêt de Madame [A], laquelle souffrait d’une sclérose en plaque.

1ère affaire : Personne tétraplégique placée sous curatelle renforcée en raison de son handicap

Sous curatelle renforcée depuis 2015 en raison d'une sclérose en plaque entraînant un handicap physique sévère, Madame [A] a retrouvé sa pleine capacité juridique à l’issue d’un recours formé devant la Cour d'appel de TOULOUSE.

  • Rappel des conditions légales d’ouverture d’une mesure de curatelle renforcée

Il résulte des articles 425, alinéa 1er, et 440, alinéa 1er, du code civil que l'ouverture d'une mesure de curatelle exige la constatation par les juges du fond, d'une part, de l'altération, médicalement constatée, soit des facultés mentales de l'intéressé, soit de l'altération de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté, d'autre part, de la nécessité pour celui-ci d'être assisté ou contrôlé de manière continue dans les actes importants de la vie civile.

  • La tétraplégie n’est pas une condition suffisante pour une curatelle renforcée

En définitive, si Madame [A] se trouve dans une situation de totale dépendance physique nécessitant l'intervention de tiers pour tous les actes de la vie courante, il n'en demeure pas moins qu'elle ne présente aucune altération de ses facultés mentales et que les atteintes de ses facultés corporelles, ne sont pas de nature à l'empêcher d'exprimer sa volonté, comme la cour a pu le constater à l'occasion des deux audiences auxquelles elle a comparu et a clairement exposé son positionnement, ses souhaits, ses refus, son attitude à l'égard du curateur désigné, dans des termes clairs et adaptés aux questions posées. (...) Les conditions légales permettant de prononcer une mesure de protection ne sont donc pas remplies.

D'où il s'ensuit que le jugement contesté sera infirmé et qu'il sera dit n'y avoir lieu à protection à l'égard de Madame [A]".

Seconde affaire : Personne placée sous curatelle renforcée en raison de sa cécité

M. [P] a saisi le juge des tutelles d'une demande de mainlevée de la mesure de curatelle renforcée au[A] biens prononcée à son égard par jugement du 28 juin 2018.

M. [P] reprochait à la Cour d’appel de DOUAI de rejeter sa demande de mainlevée de la mesure de curatelle renforcée le concernant et de maintenir cette mesure, alors « que la mise en curatelle exige la constatation par les juges du fond, d'une part, d'une altération des facultés mentales de l'intéressé ou de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté et, d'autre part, de la nécessité pour celui-ci d'être assisté ou contrôlé d'une manière continue dans les actes importants de la vie civile.

Pour rejeter la demande de mainlevée de la mesure de curatelle renforcée concernant M. [P] et maintenir cette mesure, l'arrêt retient que celui-ci, atteint d'une cécité totale depuis 2018, ne présente pas d'altération de ses facultés mentales, dispose de capacités d'analyse correctes, est capable d'exprimer son opinion clairement et a une connaissance claire de sa situation financière et matérielle.

Il ajoute que le discernement et les capacités intellectuelles de M. [P] sont pleins et entiers, mais qu'il est entièrement dépendant de son entourage pour les actes patrimoniaux importants de la vie civile et pour assurer son maintien à domicile. Il retient que l'altération de ses facultés physiques le rend inapte à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale.

En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la seule altération des facultés corporelles dont souffrait M. [P] n'était pas de nature à l'empêcher d'exprimer sa volonté, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2022.

L’ESSENTIEL À RETENIR

Toute restriction apportée à la capacité juridique des personnes majeures doit rester exceptionnelle. 

C’est pourquoi, les conditions d’ouverture d’un régime de protection qu'il s'agisse d'une tutelles, curatelle renforcée ou curatelle sont rigoureuses ; la Cour de cassation le rappelle.

Les juges doivent motiver leur décision au regard des conditions légales qui exigent une altération, médicalement constatée :

- soit des facultés mentales de l'intéressé,

- soit de l'altération de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté.

Par conséquent, ni la tétraplégie, ni la cécité ne permettent la mise sous curatelle renforcée d'une personne qui peut exprimer sa volonté.


Claudia Canini 

Avocat au Barreau de Toulouse

Droit des majeurs protégés 

www.canini-avocat.com


Sources : 

Cour de cassation - Première chambre civile — 27 mars 2024 - n° 22-13.325 

Cour d'appel de TOULOUSE, Chambre des tutelles, 23 novembre 2021