En rompant avec sa jurisprudence antérieure (1ère Civ., 1er mars 2023, pourvoi n° 21-20.260, publié), la Cour de cassation admet désormais que le risque de change des emprunteurs percevant leurs revenus en francs suisses ne saurait être apprécié uniquement au jour de la conclusion du contrat, mais doit l’être à la lumière des circonstances susceptibles d’évoluer pendant toute sa durée.

Elle consacre ainsi une approche dynamique et contextualisée du risque, conforme aux objectifs de protection du consommateur consacrés par la directive 93/13/CEE (Civ.1ère, 9 juillet 2025, pourvoi n° 24-19.647, publié au Bulletin,  à propos d’un prêt consenti par la Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe ; voir également Civ.1ère, 9 juillet 2025, pourvoi n° 24-18.018, publié au Bulletin, à propos d’un prêt consenti par la Caisse Régionale de Crédit Agricole des Savoie à des emprunteurs percevant leurs revenus en francs suisses).

Cette solution unifie ainsi le régime des prêts en devises étrangères, en appréciant le risque non pas au seul stade de la conclusion du contrat mais en considération de l’évolution possible des conditions dans lesquelles il peut être exécuté jusqu’à son terme, dès lors que l’emprunteur souscrit un prêt dans une devise étrangère à celle ayant cours légal dans l’Etat dans lequel il a sa résidence habituelle, (ou) dans lequel il peut être amené à tirer ses revenus, (ou encore) dans lequel  se trouve le bien financé par le crédit affecté en cause.

Cependant, cette solution n’est pas exempte de critiques.

Elle occulte une dimension essentielle du risque de change propre aux prêts immobiliers en francs suisses : celui qui résulte de la conversion initiale des fonds en euros lors de leur mise à disposition à l’emprunteur, conjuguée à leur remboursement en francs suisses. Ce mécanisme génère, par nature, un risque de change intrinsèque au contrat, indépendamment de toute évolution ultérieure de la situation personnelle de l’emprunteur.

En effet, l’emprunteur supporte une perte de change en cas de dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse, quand bien même il percevrait l’intégralité de ses revenus dans la devise du prêt et conserverait le bien financé pendant toute la durée du contrat. Ce risque structurel, inhérent au montage financier du crédit, devrait suffire à justifier l’application de l’exigence de transparence, indépendamment de toute appréciation contextuelle.

Ainsi, si la Cour reconnaît désormais que le risque de change peut résulter de l’évolution du lieu de résidence ou de perception des revenus de l’emprunteur, elle ne tire pas encore toutes les conséquences du fonctionnement économique objectif du prêt en devise étrangère.

La protection de l’emprunteur, pour être pleinement effective, suppose une prise en compte globale du risque, tant conjoncturel - lié aux aléas de la situation de l’emprunteur - que structurel - lié à la double opération de conversion à l’entrée et au remboursement du prêt.

Faut-il le rappeler : l’emprunteur reçoit des fonds en euros mais rembourse en francs suisses, ce qui crée, dès l’origine du contrat, un déséquilibre monétaire objectif exposant l’emprunteur à un risque de change, indépendamment de toute évolution ultérieure de sa situation.

Ce déséquilibre monétaire intrinsèque, présent dès la formation du contrat, expose l’emprunteur à devoir rembourser une contrevaleur en euros bien supérieure au capital emprunté, même lorsqu’il perçoit ses revenus dans la devise du prêt et ne revend pas le bien financé.

En se focalisant sur les seuls facteurs contextuels d’apparition du risque (mobilité géographique ou évolution des revenus), la Cour occulte le cœur du problème : la structure même du produit financier, qui repose sur un transfert unilatéral du risque de change illimité sur l’emprunteur, sans véritable mesure de protection ni contrepartie.

Ainsi, si le revirement de jurisprudence constitue une avancée notable, il reste en retrait d’une lecture pleinement conforme au droit européen, qui exige une transparence sur les conséquences économiques et juridiques des clauses litigieuses, et pas seulement sur les aléas futurs de leur exécution.

Sur l'application immédiate de la solution nouvelle 

La Cour de cassation a de plus précisé que ce revirement de jurisprudence est d’application immédiate (Civ.1ère, 9 juillet 2025, pourvoi n° 24-19.647, publié au Bulletin, à propos d’un prêt consenti par la Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe).

La Cour souligne ainsi que le revirement était raisonnablement prévisible pour les professionnels (pt 16), en raison de l’évolution du droit européen des clauses abusives, en particulier sous l’impulsion de la CJUE. Elle rappelle que le principe de transparence, au cœur de sa décision, est issu de l’article 4, §2 de la directive 93/13, transposé en droit interne bien avant la conclusion des contrats concernés (pt 17).

Ce raisonnement est parfaitement conforme à la jurisprudence européenne, notamment à l’arrêt CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, dans lequel la Cour indique que le juge national ne saurait restreindre les effets dans le temps d’une interprétation conforme du droit dérivé, au risque d’en neutraliser l’effet utile.

La Cour articule enfin son raisonnement avec l’article 7, §1 de la directive 93/13, lu à la lumière du considérant 24, qui impose aux États membres de prévoir des mécanismes effectifs de prévention et de suppression des clauses abusives (pt 18). Elle s’appuie notamment sur l’arrêt CJUE, 15 juin 2023, Bank M., C-520/21, qui rappelle que ces mécanismes doivent avoir un effet dissuasif à l’égard des professionnels.

Dès lors, la clause déclarée abusive est censée n’avoir jamais existé (pt 19) : il s’agit d’une nullité absolue, entraînant l’anéantissement rétroactif de la clause, ce qui justifie que les effets de la solution nouvelle ne soient pas différés dans le temps (pt 20).

Ce raisonnement est juridiquement cohérent et parfaitement aligné avec les exigences européennes. Il consacre la primauté du droit de l’Union dans l’interprétation du droit de la consommation, et impose aux juridictions du fond de rectifier immédiatement leurs analyses antérieures fondées sur une appréciation figée du risque de change.

Le revirement opéré par la Cour de cassation le 9 juillet 2025 marque un tournant décisif dans les contentieux en cours des prêts en francs suisses. Cependant, la Cour de cassation devra encore préciser certains points essentiels afin d'assurer une sécurité juridique complète et de garantir l'effectivité du principe de transparence.