LA GESTION DE LA RESSOURCE EN EAU EN DROIT DE L’URBANISME
Les collectivités territoriales doivent-elles ou peuvent-elles s’opposer à des projets d’urbanisation qui auraient un impact négatif sur la ressource en eau ?
La question se pose avec d’autant plus d’acuité que le changement climatique entraîne aujourd’hui des problèmes de sécheresse sur la plupart des territoires, et que la privation d’eau potable est une réalité dans une centaine de communes.
Les pouvoirs publics doivent donc définir une politique de l’eau, dans le cadre des législations nationale et européenne, et composer avec le droit d’accès de tous à l’eau potable[1], l’obligation de protéger la ressource, et les contraintes économiques.
Le droit de l’urbanisme en est l’un des outils de cette politique.
- La gestion de la ressource en eau au stade de l’élaboration des documents d’urbanisme
- Planification de la gestion de l’eau :
Le SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) définit les grandes orientations à l’échelle du bassin hydrographique. Il est opposable aux schémas de cohérence territoriale (SCoT).
Pour exemple, le SCoT Métropole Savoie souligne que si la ressource actuelle est globalement suffisante sur le territoire, les études prospectives montrent une fragilité pour 22 communes, sans compter « les risques d’amoindrissement de la ressource ou sa vulnérabilité qualitative qui pourraient résulter du phénomène de changement climatique. »
En termes urbanistiques, le SCoT préconise de « conditionner l’ouverture à l’urbanisation et/ou l’accueil de nouvelles populations dans les communes, à l’atteinte d’un bilan excédentaire en matière de ressource en eau potable. Dans la mesure où seul le bilan équilibré peut être atteint, il conviendra de proposer des solutions permettant de sécuriser la ressource à long terme. »
A l’échelle du PLU, la définition des zones urbanisables doit prendre en compte la disponibilité de la ressource en eau, selon les orientations du SCoT.
Les services de l’Etat, qui donnent un avis sur les projets de PLU, apprécient la qualité des projets au regard de la gestion de l’eau, et notamment l’analyse de l’adéquation entre la ressource disponible et le besoin pour couvrir l’ensemble des usages, en situation actuelle et en situation future[2].
Au final, c’est l’appréciation du juge administratif qui prévaut en cas de recours contre le PLU. C’est ainsi que le PLU de Valloire a été annulé cette année par le tribunal administratif de Grenoble[3], en raison du caractère insincère de l’évaluation environnementale, et en particulier de son volet « eau potable » : discordance inexpliquée avec les prévisions du SCoT, absence d’étude prospective, taux de sollicitation de la ressource en eau en situation future sous-évalué…
- Réglementation inscrite dans le PLU :
Un certain nombre de dispositions permettent de conditionner l’urbanisation à l’amélioration de la ressource en eau dans les zones U (urbaines, constructibles par principe), et AU (à urbaniser, à terme).
Ainsi, l’article R 151-20 du code de l’urbanisme dispose que « lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU n'ont pas une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, son ouverture à l'urbanisation est subordonnée à une modification ou à une révision du plan local d'urbanisme. »
Le PLU devra par conséquent déterminer les travaux qui conditionneront l’ouverture à l’urbanisation de la zone AU.
Dans l’ensemble des zone U, AU, A (agricoles) et N (naturelles), le PLU peut définir des sous-secteurs dans lesquels les nécessités de la préservation des ressources naturelles justifient que soient interdites, ou soumises à des conditions spéciales, les constructions et installations de toute nature[4].
- La gestion de la pénurie ou du risque de pénurie au stade de l’instruction de la demande d’autorisation d’urbanisme
En premier lieu, rappelons que certaines installations et aménagements de grande envergure sont soumis à un régime d’autorisation « loi sur l’eau » lorsqu’ils sont susceptibles de réduire la ressource en eau[5].
En second lieu, le maire dispose d’outils juridiques pour s’opposer à un permis de construire ou d’aménager lorsque les circonstances locales le justifient.
L’article L 111-11 du code de l’urbanisme prévoit que « lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. »
Le droit d’accès à l’eau potable n’entraîne donc pas pour la collectivité l’obligation de réaliser des travaux de desserte de toutes les constructions par le réseau public, si le coût ou les difficultés techniques, notamment l’insuffisance des ressources hydriques, s’y opposent.
C’est ce qu’a rappelé la cour administrative d’appel de Toulouse dans un arrêt du 21 février 2023[6], considérant que le maire avait suivi, à bon droit, pour refuser le permis sollicité, l’avis du service des eaux attestant que le projet de lotissement n'était pas desservi par les réseaux d'eau potable et d'assainissement, que ces réseaux n'avaient pas une capacité suffisante pour assurer sa desserte, et que les travaux de renforcement des réseaux n’étaient pas programmés.
Toutefois, lorsque l’eau vient à manquer, mais que le projet de construction se situe sur un terrain constructible desservi par le réseau d’eau potable, le permis ne peut être refusé au visa de l’article L 111-11.
C’est alors sur le fondement de l’article R 111-2 du code de l’urbanisme que certains maires ont pu refuser des permis de construire : « le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. »
Dans une décision du 23 février 2024[7], le Tribunal administratif de Toulon l’a admis au cas particulier de l’insuffisance d’eau potable : « Une telle insuffisance qui expose à la fois les futurs occupants de la construction en cause mais également tous les usagers, pourtant tiers à l’opération projetée, constitue une atteinte à salubrité publique, au sens des dispositions de l’article R.111-2 précité du code de l’urbanisme ».
Le tribunal administratif de Nice a pris une décision similaire[8] en jugeant que le maire avait pu refuser la construction d’un ensemble de logements en raison de l’insuffisance de la ressource en eau ; le service gestionnaire de l’eau avait « fait part de ses réserves s'agissant de l'alimentation du projet litigieux en eau potable, et plus particulièrement pendant les heures de pointe, compte tenu de la disponibilité de la ressource en eau depuis l'été 2022. »
Toutefois ces solutions prises au cas par cas ne pourront répondre aux problématiques de partage de la ressource en eau, entre logement, agriculture, tourisme de masse…qui s’imposent désormais aux pouvoirs publics.
[1] Article L 210-1 du code de l’environnement
[2] DDT Savoie, Attentes des services de l’État en matière de ressource en eau potable dans les documents d’urbanisme, juin 2020.
[3] TA Grenoble, 9 juil. 2024, n°2104102
[4] Art. R 151-31 et R 151-34 du code de l’urbanisme
[5] art. L 214-3 du code de l’environnement
[6] CAA Toulouse, 21 fév. 2023, n°20TL03186
[7] TA Toulon, 23 fév. 2024, n° 2302433
[8] TA Nice, 18 juil. 2024, n°2303706
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