Le 23 novembre 2023 (RG RG 20/11767), la Cour d'appel de PARIS a condamné la société GM DISTRIBUTION exerçant sous l’enseigne « COMO CUCINE » (précision apportée pour éviter toute confusion avec d'autres sociétés dénommées GM DISTRIBUTION).

L'arrêt est particulièrement intéressant sur le plan juridique. Les juges d'appel ont confirmé la nullité de trois bons de commande portant sur une cuisine équipée et une salle de bain, en raison de manœuvres dolosives de la société GM Distribution à l'encontre de deux consommatrices :

  • en situation de vulnérabilité
  • disposant chacune de revenus de l'ordre de 800 à 900 euros par mois
  • et l'une d'elle est "décrite par les médecins et les services sociaux qui la suivent comme n'étant plus en capacité de gérer son quotidien"

I. Le contexte de l'affaire : une vente sur foire et des engagements contractuels ambigus

L'affaire trouve son origine dans le cadre de la signature de trois bons de commande lors de la foire de PARIS, en novembre 2017, où une dame âgée de 84 ans et sa fille de 56 ans, toutes deux en situation d’invalidité, ont signé trois bons de commande pour un montant total de 64.000 euros, avec 24.800 euros d’acomptes versés.

La société GM Distribution a été assignée en justice par les clientes, au motif que leur consentement avait été vicié par des manœuvres trompeuses et qu’elles avaient été abusées en raison de leur état de faiblesse.


II. Le fondement juridique : le dol comme vice du consentement (art. 1130 à 1137 C. civ.)

A. La notion de dol

Les juges d'appel rappellent que selon l’article 1137 du Code civil, le dol consiste en des manœuvres ou mensonges destinés à obtenir le consentement d’une partie, ou encore par la dissimulation intentionnelle d’une information essentielle.

Dans cette affaire, le dol est retenu par les juges parisiens en raison :

  • du caractère confus et contradictoire des documents contractuels,

  • de la multiplication des devis non signés ou postérieurs aux commandes,

  • de renvois croisés entre devis et bons, empêchant toute détermination claire de la prestation,

  • et de l’absence totale d'exécution ou de tentative d'exécution par la société.

La cour souligne que la confusion délibérément entretenue sur le périmètre des engagements, conjuguée au profil vulnérable des clientes, a été déterminante dans leur décision de contracter.

B. Preuve du dol

Rappelant que le dol ne se présume pas, la Cour déduit des pièces produites par la société GM Distribution, et des contradictions et imprécisions contractuelles, l'existence de manœuvres dolosives.

En effet, la société GM DISTRIBUTION a fait signer plusieurs devis et bons de commande, créant "la confusion dans l'esprit [des consommatrices] sur la nature, l'étendue et la portée de leur engagement."

Autrement dit, la venderesse a noyé les consommatrices sous les documents, au point de les perdre et de les empêcher de savoir ce qu'elles avaient commandé.


III. Le rôle de la vulnérabilité des cocontractants

Même si la cour n'a pas statué sur l'abus de faiblesse (articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation), elle a parfaitement pris en compte le contexte de vulnérabilité manifeste des consommatrices, de par :

  • Leur âge avancé,

  • Leur invalidité,

  • Leurs faibles revenus,

  • L'incapacité pour l’une d'elle de gérer son quotidien !

Ces éléments n’ont pas été utilisés ont renforcé l’analyse par les juges du dol ou de la tromperie, en rendant plus crédible l’argument selon lequel les clientes n’avaient eu aucune conscience des engagements contractés.





IV. Conséquences

Les ventes étant annulées pour tromperie, la société COMO CUCINE est condamnée à rembourser la somme de 24800€ à ses clientes, versée à titre d'acompte et leurs verser des dommages et intérêts.




V. Portée de la décision : protection des consommateurs vulnérables et rigueur exigée des professionnels

Cette décision confirme la position des juridictions civiles :

  • Exiger des professionnels une grande rigueur dans la formation des contrats, en particulier en présence de consommateurs potentiellement vulnérables.

  • Sanctionner les pratiques contractuelles opaques ou trompeuses, même en l’absence d’un manquement pénal caractérisé.

L'arrêt illustre également que la nullité pour dol, bien que difficle à prouver, aboutit sans devoir démontrer un abus de faiblesse stricto sensu, mais par la preuve d’un consentement vicié par la tromperie, notamment la production de documents contradictoires et sans clarté.


VI. RAPPEL DU DOL ET DE SES EFFETS

1. Définition du dol (articles 1130 et 1137 du Code civil)

Le dol est un vice du consentement. Il est défini à l’article 1137 du Code civil comme :

« Le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges, ou par la dissimulation intentionnelle d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »

 Manœuvres ou mensonges : comportements actifs destinés à tromper (ex : fausses affirmations, documents biaisés).

 Réticence dolosive : le fait de taire volontairement une information déterminante que l'autre partie ignorait (obligation d'information).

 Le dol doit émaner du cocontractant, mais peut aussi être retenu si des tiers agissent de concert avec lui (ex : démarcheurs, commerciaux).


2. Conditions pour retenir le dol

Pour qu’il y ait dol, trois conditions doivent être réunies :

a) Une tromperie ou dissimulation intentionnelle

Il faut démontrer une volonté de tromper — la simple erreur ou négligence ne suffit pas.

b) Un caractère déterminant

La manœuvre doit avoir été décisive dans le consentement : sans elle, la victime n’aurait pas contracté ou aurait contracté à d’autres conditions (article 1130 C. civ.).

c) Une victime de bonne foi

Le dol suppose que la victime n’avait pas les moyens de découvrir la vérité par elle-même, sauf en cas de dol actif (manœuvres).

Le dol ne se présume pas : il doit être prouvé par celui qui l’allègue.


3. Conséquence : la nullité du contrat

La nullité a pour effet de rétablir les parties dans leur situation antérieure :

  • Le contrat est annulé rétroactivement ;

  • Les prestations échangées doivent être restituées (article 1178 C. civ.). D'où la condamnation du cuisiniste à restituer l'acompte de 24800€ ;

  • Des dommages et intérêts peuvent être accordés en cas de préjudice (comme cela a été le cas dans la présente affaire).

L’arrêt du 23 novembre 2023 est finalement un exemple emblématique d’annulation pour dol fondé sur un faisceau d’indices, incluant :

  • des incohérences contractuelles,

  • des documents incomplets ou non conformes,

  • et une exploitation manifeste de la vulnérabilité des contractants.

La cour d’appel rappelle ainsi que la loyauté contractuelle et la clarté des engagements sont des exigences fondamentales, en particulier lorsqu’un professionnel conclut un contrat avec des personnes fragiles. La nullité prononcée vise à restaurer l’équilibre contractuel rompu par des pratiques abusives.


Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS

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