Le droit pour un associé de se retirer d’une société civile immobilière (SCI) est encadré par les dispositions de l’article 1869 du Code civil : "Sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice."

L’associé qui regrette son départ d’une SCI, après un jugement de retrait devenu définitif, peut-il revenir sur sa décision ?

Dans une série d’arrêts récents, la Cour de cassation, puis la Cour d’appel de Paris, ont eu l’occasion de préciser que l’associé retrayant ne dispose pas d’un « droit de repentir », une fois le retrait autorisé par une décision de justice devenue définitive.

Ainsi, lorsqu’il est autorisé judiciairement pour justes motifs, le retrait entraîne des effets juridiques irréversibles. 

Cet article décrypte ce principe et ses implications pratiques.

1) Un cadre juridique clair pour le retrait d’un associé d’une SCI

L’article 1869 du Code civil précité prévoit que tout associé peut se retirer d’une SCI, soit selon les modalités fixées par les statuts, soit, à défaut, par une décision unanime des autres associés, ou encore par voie judiciaire en cas de justes motifs (par exemple en cas de perte de l'affectio societatis, Cass. 3e civ., 4 avr. 2019, no 17-31.052, no 287 F-D). 

Ce retrait, lorsqu’il est autorisé par le juge, ouvre droit au remboursement de la valeur des parts sociales de l’associé retrayant. Cette évaluation est réalisée par un expert, désigné soit par les parties, soit par le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond, sans recours possible (article 1843-4 du Code civil).

Le retrait ne se limite pas à une simple intention : il repose sur une décision formelle, qui, une fois rendue, emporte des conséquences strictes et lourdes quant au statut de l’associé concerné.

2) Pas de "droit de repentir" après une autorisation judiciaire de retrait

Les décisions récemment rendues par la Cour de cassation ont confirmé qu’une fois le retrait judiciaire autorisé, l’associé retrayant ne peut revenir sur sa décision par une volonté unilatérale. 

La qualité d’associé est considérée comme perdue à la date de la décision de retrait, indépendamment du paiement effectif de la valeur de ses parts sociales.

Ainsi, par un arrêt du 7 juillet 2021, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé que cette perte de qualité d’associé est automatique, dès lors que le retrait a été judiciairement prononcé (Cass. com, 7 juillet 2021, 19-20.673) :

"Tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses droits sociaux, l'associé retrayant conserve un intérêt à agir en annulation des assemblées générales, non pas en sa qualité d'associé, qu'il a perdue, mais en celle de propriétaire de ces droits sociaux et de créancier de la société, ainsi que pour la sauvegarde des droits patrimoniaux qu'il a conservés, tenant aussi bien au capital apporté et à la valeur de ses parts qu'à la rémunération de son apport."

La créance, correspondant au remboursement des parts sociales, devient alors la seule relation subsistante entre l’ex-associé et la société.

Un autre arrêt récent rendu le 25 mai 2023 par la 3e chambre civile de la Cour de cassation illustre également cette position (Cass. 3re civ 25 mai 2023 22-17.246). Il a ainsi été jugé qu’un associé qui avait sollicité son retrait ne peut pas se rétracter et doit mener à terme la procédure, jusqu’au remboursement de ses parts sociales, sous peine de voir toute cession de ses droits sociaux invalidée :

« La cour d'appel a retenu que M. [C] [T] s'était engagé dans une procédure de retrait avec rachat de ses parts, acceptée par la SCI, dont l'échec n'avait pas été constaté et qu'il lui incombait de mener à son terme. Elle en a déduit, à bon droit, que la procédure de cession desdites parts à un tiers, initiée par M. [C] [T] en méconnaissance de la procédure de retrait en cours acceptée par la SCI, devait être annulée. »

Dans le même esprit, la Cour d’appel de Paris a précisé dans un arrêt récent en date du 8 avril 2025 que l’associé retrayant, une fois son retrait judiciaire autorisé, ne dispose plus de droits de gouvernance au sein de la société ; la perte de la qualité d’associé étant irréversible dès la date du jugement ayant prononcé son retrait judiciaire (CA Paris 8 avril 2025 n°22/03591) :

« Cette décision, devenue irrévocable, rendue entre les mêmes parties, a autorité de chose jugée de sorte que M. [S] [Z] a perdu sa qualité d'associé à compter de cette date, peu important que le tribunal ait, conformément au texte, autorisé son retrait sans le prononcer et que M. [X] [Z] ait continué à le convoquer aux assemblées générales de la SCI dès lors qu'il conservait ses droits patrimoniaux. ».

3) Des droits patrimoniaux préservés jusqu’au remboursement de la valeur des parts sociales

Si la qualité d’associé disparaît, la situation du retrayant est néanmoins spécifique : il conserve des droits patrimoniaux tant que le remboursement de ses parts sociales n’a pas été effectué. 

Ce statut intermédiaire s’explique par la nature du retrait, qui ne produit pas d’effets rétroactifs.

Le retrait marque toutefois une rupture avérée du lien social et organisationnel entre l'associé retrayant et la société.

Le créancier retrayant n’a plus vocation à participer aux décisions stratégiques de la SCI, mais il reste bénéficiaire de la créance correspondant à la valeur de ses parts sociales, et son intérêt économique dans la société demeure tant que cette créance n’a pas été réglée.

En son étroite qualité de créancier, le retrayant ne peut pas solliciter la révocation judiciaire du gérant de la société civile, ni solliciter sa dissolution judiciaire, lesquelles constituent des décisions importantes et stratégiques touchant à la gouvernance, l’organisation, le fonctionnement de la société, et plus généralement à la pérennité de son activité. 

La jurisprudence rappelle par ailleurs que, faute de décision de distribution de bénéfices votée par l’assemblée générale de la société, aucun dividende n’est dû au retrayant. 

Ainsi, la Cour de cassation a précisé que les dividendes n'ont pas d'existence juridique avant la constatation de sommes distribuables par l'organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé (Cass. com., 13 septembre 2017, n°16-13.674).

Un retrayant d'une SCI soumise à l'impôt sur le revenu pourrait ainsi se retrouver dans une situation très délicate, sachant qu'il devrait régler de l’impôt sur des bénéfices qui ne lui seraient pas distribués pendant une période plus ou moins longue (article 8 du Code général des impôts).

Dans ce contexte, s'engager dans une procédure de retrait judiciaire impose une décision mûrement réfléchie. Il est primordial d’être bien accompagné avant de se lancer dans une telle démarche qui pourrait in fine entrainer de lourdes conséquences.

Ce régime repose sur un équilibre clair entre la protection des droits des associés et la stabilité de la structure sociale.

Une fois la décision de retrait actée, l’associé concerné ne peut revenir sur son choix, ni revendiquer des prérogatives politiques ou sociales.

Cette clarification par la jurisprudence sécurise la gestion des sociétés civiles et renforce la prévisibilité des relations entre les associés et la société, tout en garantissant au retrayant la protection de ses droits financiers jusqu’au complet remboursement de ses parts sociales.

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Didier MAJEROWIEZ

Avocat au Barreau de Paris