La révision des valeurs locatives des locaux professionnels, entrée en vigueur en 2017, a profondément modifié l’assiette de la fiscalité locale. Pour accompagner cette transition, le législateur avait instauré plusieurs dispositifs destinés à atténuer les variations d’imposition, au premier rang desquels le mécanisme de « planchonnement ». L’application de ce dispositif, la jurisprudence qui en a précisé la portée et la tentative de validation rétroactive opérée en 2025 ont donné lieu à une séquence juridique dense, marquée par l’intervention successive du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel.
L’analyse de cette séquence, éclairée par les éléments présentés dans la page que vous consultez, permet de mieux comprendre les enjeux techniques et juridiques qui ont conduit à la censure de la loi de validation.
I. Le cadre initial : un dispositif transitoire et une interprétation administrative contestée
Le planchonnement, prévu à l’article 1518 A quinquies du CGI, avait pour objectif de limiter les variations d’imposition résultant de la révision des valeurs locatives. Le texte prévoyait que seule la moitié de l’écart entre l’ancienne et la nouvelle valeur locative serait prise en compte.
L’administration a toutefois retenu une interprétation consistant à figer la valeur locative révisée au niveau de 2017, sans recalcul annuel. Cette lecture, qui simplifiait la mise en œuvre du dispositif, a eu pour effet d’augmenter progressivement les bases d’imposition pour certains contribuables. Cette divergence entre la lettre du texte et son application a constitué le point de départ du contentieux.
II. La clarification apportée par le Conseil d’État (CE, 13 novembre 2023, n° 474735)
Dans sa décision du 13 novembre 2023, le Conseil d’État a précisé la portée du mécanisme de planchonnement. Il a jugé que la valeur locative révisée devait être déterminée annuellement, conformément à la logique de la réforme. Cette interprétation invalide la méthode administrative appliquée depuis 2017.
Le Conseil d’État a également examiné plusieurs moyens d’inconstitutionnalité soulevés par les requérantes. Il a estimé que les différences de traitement invoquées ne résultaient pas de la loi elle‑même, mais d’éventuelles insuffisances dans la fixation des coefficients de localisation. Les questions prioritaires de constitutionnalité n’ont donc pas été transmises, faute de caractère sérieux.
Cette décision a eu pour effet de rouvrir la possibilité de contester les impositions établies sur la base de la méthode administrative.
III. La tentative de validation rétroactive opérée par la loi de finances pour 2025
Face aux conséquences financières potentielles de la jurisprudence de 2023, le législateur a introduit dans la loi de finances pour 2025 une disposition visant à valider rétroactivement la méthode administrative. Cette validation avait pour objet de sécuriser les impositions des années 2023 et 2024 et de limiter les réclamations à celles déposées avant le 10 octobre 2024.
Cette intervention législative avait pour effet de priver les contribuables de la possibilité d’obtenir le remboursement d’impositions établies sur une base jugée illégale par le juge administratif.
Le Conseil d’État, saisi d’une nouvelle QPC en 2025, a estimé que la justification avancée par le législateur ne permettait pas d’écarter tout doute sérieux quant à la constitutionnalité de la validation rétroactive. Il a donc transmis la question au Conseil constitutionnel.
IV. La censure du Conseil constitutionnel (décision n° 2025‑1174 QPC)
Dans sa décision du 28 novembre 2025, le Conseil constitutionnel a censuré la validation rétroactive. Il a jugé que :
- la rétroactivité portait une atteinte disproportionnée aux droits des contribuables,
- aucun motif impérieux d’intérêt général n’était établi,
- la validation privait les contribuables d’un recours effectif.
Cette décision a pour effet de rétablir pleinement la possibilité de contester les impositions fondées sur l’interprétation administrative du planchonnement, y compris pour les années 2023 et 2024.
La séquence ouverte par la révision des valeurs locatives en 2017 illustre les difficultés que peut susciter la mise en œuvre de dispositifs transitoires complexes. L’arrêt du Conseil d’État de 2023 a rappelé la nécessité de respecter la lettre du texte fiscal, tandis que la décision du Conseil constitutionnel de 2025 a réaffirmé les exigences constitutionnelles entourant les validations législatives rétroactives.
Pour les contribuables, disposant de locaux professionnels, ces décisions ouvrent la voie à des réclamations portant sur plusieurs années d’imposition:
- l'année 2024 peut en tout état de cause être réclamée jusqu'au 31/12/2025
- la contestation d'années antérieures est également possible si une réclamation a d'ores et déjà été introduite sur ce fondement, ou si leur montant a été redressé à l'occasion d'un contrôle fiscal ou d'un avis d'imposition supplémentaire récent, pour autant que les délais de procédure le permettent.
- il semblerait enfin que, pour 2025, l'administration fiscale ait continué de calculer le planchonnement selon son ancienne doctrine.

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