Fonction publique et CDD (renouvellements abusifs / ruptures illégales / indemnisation)

Le recours au contrat à durée déterminée (CDD) peut parfois aboutir à certaines dérives de la part de l'employeur, même lorsque ce dernier est une collectivité.

En principe, l’agent contractuel de la fonction publique n’a pas de droit automatique au renouvellement de son contrat à durée déterminée (CDD). Toutefois, les motifs relatifs à la décision de non renouvellement de ce contrat à durée déterminée (CDD) peuvent être considérés comme illégaux et fautifs par le juge administratif (I).

Il en est de même des décisions de renouvellement successifs des CDD sur certains types de postes (II).

Dans ces cas précis, il est possible d'obtenir une indemnisation auprès de l'administration (III).

Retour sur les principes de droit et jurisprudentiels en la matière.

I) Absence de renouvellement automatique du CDD

Les motifs relatifs à la décision de non renouvellement de ce contrat à durée déterminée (CDD) doivent être tirés de l’intérêt du service ou pris en considération de la personne, qu’ils aient ou non un caractère disciplinaire (CE, 4 juillet 1994, n°118298).

Il est constant que le remplacement à son poste d’un contractuel par un fonctionnaire titulaire est un motif valable de rupture du contrat dans l’intérêt du service. Ce principe a été retenu par la juridiction administrative dès 2005 : « Considérant que si les agents non titulaires n'ont aucun droit au renouvellement de leur contrat d'engagement, la décision de ne pas passer un nouveau contrat doit être justifiée par l'intérêt du service ; que si Mme X soutient que la décision litigieuse n'était pas justifiée par l'intérêt du service, elle expose qu'elle a été remplacée dans ses fonctions par un agent titulaire ; qu'un tel motif justifie à lui seul la décision de non-renouvellement ; que par suite, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi » (CAA de Nancy, 2 juin 2005, n°02NC00640).

Il n’en demeure pas moins que l’administration peut voir sa responsabilité engagée pour faute tirée de l’illégalité du refus de renouveler le contrat (CE, 10 juillet 2015, M. B. contre Département de la Haute-Corse, n° 374157). A titre d’exemple, toute décision de non renouvellement d’un contrat fondée sur la volonté de priver l’agent de la possibilité de bénéficier d’un contrat à durée indéterminée est entachée de détournement de pouvoir et susceptible d’engager la responsabilité de l’administration.

De même, le juge administratif a retenu qu’un non renouvellement de contrat à durée déterminée (CDD) pour motif discriminatoire pouvait engager la responsabilité de la collectivité en qualité d’employeur (CAA de PARIS, 10 février 2015, n°13PA00348).

II) Illégalité des renouvellements abusifs des CDD

Aux termes de l’article 3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale :

« Les collectivités et établissements mentionnés à l’article 2 peuvent recruter temporairement des agents contractuels sur des emplois non permanents pour faire face à un besoin lié à

Un accroissement temporaire d’activité, pour une durée maximale de douze mois, compte tenu, le cas échéant, du renouvellement du contrat, pendant une même période de dix-huit mois consécutifs ; 

Un accroissement saisonnier d’activité, pour une durée maximale de six mois, compte tenu, le cas échéant, du renouvellement du contrat, pendant une même période de douze mois consécutifs ».

L’article 3-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 énonce que :

« Par dérogation au principe énoncé à l’article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée et pour les besoins de continuité du service, les emplois permanents des collectivités et établissements mentionnés à l’article 2 de la présente loi peuvent être occupés par des agents contractuels pour faire face à une vacance temporaire d’emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire.

Le contrat est conclu pour une durée déterminée qui ne peut excéder un an. Il ne peut l’être que lorsque la communication requise à l’article 41 a été effectuée.

Sa durée peut être prolongée, dans la limite d’une durée totale de deux ans, lorsque, au terme de la durée fixée au deuxième alinéa du présent article, la procédure de recrutement pour pourvoir l’emploi par un fonctionnaire n’a pu aboutir ».

Aux termes de l’article 6 quinquies de la loi n°2012-347 du 12 mars 2012 :

« Pour les besoins de continuité du service, des agents contractuels peuvent être recrutés pour faire face à une vacance temporaire d'emploi dans l'attente du recrutement d'un fonctionnaire.

Le contrat est conclu pour une durée déterminée qui ne peut excéder un an. Il ne peut l'être que lorsque la communication requise à l'article 61 a été effectuée.

Sa durée peut être prolongée, dans la limite d'une durée totale de deux ans, lorsque, au terme de la durée fixée au deuxième alinéa du présent article, la procédure de recrutement pour pourvoir l'emploi par un fonctionnaire n'a pu aboutir ».

L’article 2-3 du Décret n°88-145 du 15 février 1988 pris pour l'application de l'article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale, précise que :

« I. - Pour pourvoir les emplois permanents mentionnés à l'article 2-2, la possibilité, pour une personne n'ayant la qualité de fonctionnaire, de se porter candidate est ouverte dès la publication de l'avis de création ou de vacance de l'emploi à pourvoir.

II. - Lorsque l'emploi permanent à pourvoir relève du 2° de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, l'examen des candidatures des personnes n'ayant pas la qualité de fonctionnaire, dans les conditions précisées aux articles 2-6 à 2-10, n'est possible que lorsque l'autorité territoriale a établi le constat du caractère infructueux du recrutement d'un fonctionnaire sur cet emploi.

III. - Le renouvellement du contrat d'un agent qui occupe un emploi permanent de la fonction publique territoriale relevant du 2° de l'article 3-3 n'est possible que lorsque l'autorité territoriale a établi préalablement le constat du caractère infructueux du recrutement d'un fonctionnaire sur cet emploi ».

Il résulte de ces dispositions que les emplois permanents au sein des collectivités territoriales doivent en principe être pourvus par des fonctionnaires. Toutefois, à titre exceptionnel et dans des cas limitativement énumérés, les collectivités sont autorisées à recruter un agent contractuel de droit public.

Ainsi, par dérogation, un agent contractuel peut être recruté temporairement sur un emploi permanent en cas de vacance temporaire d’emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire (article 3-2), pour une durée maximum d’un an renouvelable, soit une durée totale de 2 ans.

Il appartient à la collectivité concernée d’apporter la preuve qu’elle a engagé une procédure en vue du recrutement d’un fonctionnaire titulaire pour occuper l’emploi permanent en cause (CE, 25 mai 1992, n°86702). Ainsi, la collectivité doit justifier qu’elle n’a pas pu recruter de titulaire sur cet emploi, ce qui l’a contrainte à renouveler le contrat de travail de l’agent.

En revanche, aucun recrutement d’agent contractuel ne peut intervenir sur un emploi permanent dans le cadre d’un contrat à durée déterminée (CDD) au-delà d’un délai de deux ans, quand bien même le renouvellement serait proposé à un nouvel agent (TA de RENNES, 7 février 2014, n°1303277).

Le Juge administratif a retenu que pour apprécier le caractère abusif des contrats à durée déterminée doivent être prises en compte l’ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment la nature des fonctions exercées, le type d’organisme employeur, ainsi que le nombre et la durée cumulée des contrats en cause (CE, 16 mai 2018, n°396107 ; CAA de LYON, 15 avril 2021, n°20LY01766).

III) Indemnisation des préjudices subis

En cas d’illégalités et/ou de fautes de l’administration et de préjudices subis par l’un de ses agents (fonction publique territoriale, Étatique ou hospitalière), une demande indemnitaire auprès de l’administration peut être faite afin d’obtenir réparation.

A) Type de fautes ou illégalités fautives réparables

S’agissant des faits qu’il est envisageable de reprocher à l’administration, le Conseil d’État a posé le principe selon lequel toute illégalité commise par l’administration est susceptible d’engager sa responsabilité (CE, n°84768, DRIANCOURT, 26 janvier 1973).

Le juge administratif a ensuite retenu le principe de l’indemnisation des préjudices de toute nature résultant de l’illégalité fautive commise par l’administration : « En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement privé d’affectation a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité; que, pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions » (TA Paris, 19 mars 2015, n° 1407944 ; dans le même sens : CE, 06 décembre 2017, n°405841).

Plus précisément, la jurisprudence administrative considère que le renouvellement abusif de contrats à durée déterminée (CDD) ouvre à l’agent contractuel concerné un droit à indemnisation des préjudices subis lors de l’interruption de la relation de travail.

En effet, le Conseil d’État a estimé que les dispositions de la loi du 26 janvier 1984 relatives au recours au contrat à durée déterminée dans la fonction publique territoriale « ne font nullement obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de contrats à durée déterminée, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi » (CE, 20 mars 2017, n°392792).

De même, il a été jugé qu’un agent contractuel pouvait solliciter la réparation des préjudices subis du fait d’une succession abusive de contrats à durée déterminée (CDD) conclus avec la collectivité employeur (CAA de MARSEILLE, 30 mars 2018, n°16MA03170).

B) Une demande indemnitaire préalable au recours contentieux

La demande préalable indemnitaire est comme son nom l’indique un préalable nécessaire à tout recours contentieux indemnitaire.

L’article R. 421-1 du Code de justice administrative prévoit que :

« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle.

Le délai prévu au premier alinéa n'est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat ».

S’agissant de la forme d’une demande indemnitaire préalable, celle-ci ne répond à aucun formalisme particulier et ne doit pas nécessairement être chiffrée pour être jugée recevable (CE, 30 juillet 2003, Assistance publique Hôpitaux de Paris, n°244618).

Concernant le chiffrage de la demande d’indemnisation, le Conseil d’État a estimé que le montant de la réparation d’un non-renouvellement illégal d’un agent non titulaire de droit public devait être déterminé « en tenant compte notamment de la nature et de la gravité de l’illégalité, de l’ancienneté de l’intéressé, de sa rémunération antérieure et des troubles dans ses conditions d’existence ». (CE, 10 juillet 2015, Département de la Haute-Corse, n° 374157, AJDA 2015, p.1395). Puis, le Conseil d’État a précisé que le préjudice subi devait être « évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ». (CE, 20 mars 2017, n°392792 ; CE, 16 mai 2018, n°396107).

En cas de réponse négative ou d’absence de réponse par l’administration à la demande en préalable indemnisation, un recours contentieux peut être introduit devant le juge administratif afin de solliciter l’indemnisation intégrale des préjudices causés par l’administration.

Selon les dispositions de l’article R. 421-2 du Code de justice administrative :

« Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours.

La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête.

Le délai prévu au premier alinéa n'est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat ».

L’article R. 421-3 du Code de justice administrative énonce quant à lui que :

« Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet :

1° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ;

2° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l'exécution d'une décision de la juridiction administrative ».

L’article R. 421-5 du Code de justice administrative précise que :

« Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».

Il en résulte une obligation de mention des délais et voies de recours dans la notification d’une décision administrative défavorable, afin d’assurer une garantie essentielle de l’effectivité du droit au recours des administrés.

Sur ce point, le Conseil d’État a rappelé que pour être opposables, les délais et voies de recours doivent être mentionnés dans les décisions explicites de rejet, et doivent également, en cas de décision implicite de rejet, être mentionnés dans les accusés de réception (CE, 27 décembre 2021, n°432032). Ainsi, à défaut de mention expresse des délais et voies de recours, ces derniers ne sont pas opposables.

Le Conseil d’État a toutefois précisé que, par application du principe de sécurité juridique, le destinataire de l’acte ne pouvait exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, qui ne peut en principe excéder une année. Le Conseil d’État a ainsi jugé qu’en l'absence d'information complète et régulière sur les voies et délais de recours courant à l'encontre d'un acte administratif individuel « le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au delà d'un délai raisonnable ; qu'en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance » (CE, 13 juillet 2016, Czabaj, n°387763).

Cette jurisprudence s’est ensuite étendue à la majorité du contentieux administratif (CE, 31 mars 2017, n°389842 ; CE, 9 mars 2018, n°401386 ; CE, 18 mars 2019, n°417270).

S’agissant plus précisément des recours indemnitaires au titre de la responsabilité administrative, le Conseil d’État a retenu que :

« 3. Il résulte, par ailleurs, du principe de sécurité juridique que le destinataire d’une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l’article L. 1142-28 du code de la santé publique » (CE, 17 juin 2019, n°413097).

Il en résulte que le Conseil d’État a écarté l’application du « délai raisonnable » d’un an aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique, puisque les règles de prescription s’appliquent.

S’agissant des conditions de recevabilité de la requête, cette dernière n’a pas à être appréciée à la date de son introduction, mais plutôt à la date à laquelle le juge administratif statue (CE, Avis, 27 mars 2019, Consorts Rollet, n° 426472). Dans ces conditions, une demande indemnitaire qui serait a priori considérée comme étant irrecevable, faute de liaison du contentieux, peut toujours être régularisée en cours d’instance et ce jusqu'au jour du jugement.

Si vous êtes confronté(e) à une telle situation, n’hésitez pas à prendre conseil auprès d’un avocat pour qu’il vous oriente au mieux sur la procédure à suivre et pour chiffrer l’intégralité de votre préjudice. Cela vous évitera notamment de tomber dans de nombreux pièges relatifs aux irrecevabilités.

Juliette CHORON

Avocate au Barreau de Paris