Assistance maritime

Contestation et Recours contre une réclamation

en Droit français

1ère publication le 8 janvier 2014 sur blogavocat

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Peut-on contester une réclamation d'indemnisation d'assistance maritime ? Et dans l'affirmative, comment la contester ? La matière étant très confidentielle en France, l'essentiel des recours étant confiés à des chambres arbitrales anglo-saxonnes, il me semble important de faire le point au regard du droit français, national et international, ainsi qu'au regard de l'interprétation qu'en fait la jurisprudence française.

 

 

I : Régime juridique :

1. L'assistance en mer est le fait de porter secours à un navire en danger. A la différence du sauvetage, qui est le fait de porter secours exclusivement à des personnes, sans obligation de secours au navire, l'assistance implique, outre le sauvetage des personnes, obligatoire en toutes circonstances, le secours du navire.

Son régime est issu d'une série de conventions internationales, dont en dernier lieu celle de Londres de 1988. Son contenu a été repris à l'identique dans le droit français positif, puis transposé « à droit constant » dans le Code des Transports.

 

2. L'Assistance en mer revêt deux aspects, l'un conventionnel et l'autre institutionnel. Le caractère obligatoire et institutionnel de l'assistance maritime, s'évince des articles 5262-1 et s, et son caractère volontaire et contractuel, est définit aux articles 5132-1 & s. Cette dualité de régime s'explique par le fait que l'assistance précède souvent le sauvetage, et peut parfois l'éviter. Pour permettre une assistance efficace, encore faut-il pouvoir avoir un navire à disposition. D'où le double aspect - institution obligatoire d'un côté, engagement conventionnel de l'autre. Tout est fait pour « inciter » à porter assistance. Outre une obligation humaine naturelle des marins depuis la nuit des temps, c'est devenu une incitation économique.

 

Droit Pénal :

3. L'assistance en mer est une obligation absolue du capitaine de chaque navire. Elle n'est limitée que par le danger ''sérieux'' pour le navire, son équipage et ses passagers. Le refus d'un capitaine de porter assistance à une personne en mer ''en danger de se perdre'' (en perdition) est puni d'une amende de 3.750 € et ou d'une peine d'emprisonnement de deux ans. Cette peine est limitée à 3 mois pour le pilote maritime. On peut s'interroger légitimement sur cette limitation.

 

Droit à Rémunération : (art.L5132-3 &s C.Transports)

4. L'assistance, qu'elle soit conventionnelle ou obligatoire, donne droit à une rémunération ''équitable'', sous la seule condition de l'utilité de l'assistance.

Ce droit à rémunération est toutefois limité par :

- la valeur de la chose sauvée (la rémunération ne peut dépasser la valeur de la chose effectivement sauvée, de sorte que le propriétaire peut accepter de délaisser la chose)

- le refus raisonnable du navire d'être secouru

- dans le cas où l'assistance est portée par un remorqueur, que le service rendu soit exceptionnel, et qu'il soit différent de la mission de remorquage.

 

Détermination du montant de la rémunération:

5. Le principe en matière d'assistance au "navire" est la liberté contractuelle. Toutefois, la loi institue un cadre légal de détermination de la rémunération.

La rémunération peut résulter d'une convention d'assistance, conclue préalablement à l'opération d'assistance. A défaut d'avoir été prévue préalablement, elle peut être fixée par le Tribunal.

Surtout, le tribunal a la faculté de réduire le montant de la rémunération conventionnelle, s'il estime les conditions de cette convention inéquitables, ou si le danger pour lequel l'assistance avait été requise n'était pas proportionné aux moyens mis en oeuvre. Dans les deux cas il fixe la rémunération en se fondant sur un ensemble de critères à pondération identiques entre eux. Ces critères peuvent être regroupés par facilité selon deux sortes :

1/ Les critère de la proportionnalité, combinaison des facteurs suivants :

Succès obtenu ; Efforts déployés ; Mérite réel ; Danger encouru pour porter assistance ; Valeur du matériel exposé pour porter assistance ; Temps (durée de l'assistance) ; Frais engagés pour l'assistance ; Dommages causés à la personne prêtant assistance ; Risque encouru par le navire assisté ; Valeur des biens exposée au péril, pour lesquels il a été prêté assistance

2/ Le critère rentabilité de l'assistance : la Valeur sauvée ;

Le sauvetage des vies humaines ne peut non plus être rémunéré. En revanche, afin de ne pas décourager les sauveteurs, lorsque le sauvetage des vies humaines se déroule en même temps qu'une opération de sauvetage du navire, par des sauveteurs différents de ceux qui prêtent assistance aux biens, les sauveteurs des vies humaines ont droit à une proportion équitable de l'indemnité allouée aux sauveteurs des biens.

 

II : Définition de l'Assistance Maritime:

6. L'assistance maritime est le fait pour un navire de porter secours à un autre navire en danger.

Pour que l'assistance soit reconnue, il faut donc cumuler plusieurs critères :

- Un navire ou un engin de mer, voire un bateau si l'assistance commence dans des eaux maritimes et finit en fluvial ;

- Une situation de danger pour le navire assisté

- Un navire assistant qui apporte son soutien

 

IL n'y a donc pas d'assistance si la situation est exempte de danger. Toutefois, la jurisprudence (rare, car les faits relèvent souvent de l'arbitrage ou de la transaction) a tendance à retenir les situations de danger de manière très extensive.

Ainsi, quasi-systématiquement, les juges retiennent-ils qu'un navire est en situation de péril lorsqu'il a perdu le contrôle de sa manoeuvre (perte de moteur ou perte d'appareil à gouverner), quand bien même la mer serait très calme et le temps très manoeuvrable. Ainsi, une prestation apparente de remorquage pourra être requalifiée d'assistance. Nous détaillerons plus tard les évolutions jurisprudentielles sur ce point essentiel que constitue l'analyse rétrospective par le juge de la situation de danger.

 

Distinction de l'Assistance maritime avec d'autres situations :

 

7. Il existe des situations ambiguës qui donnent à penser qu'elles pourraient relever du régime de l'assistance maritime, mais qui s'en écartent pour des raisons réglementaires, contractuelles ou factuelles :

 

8. Le contrat de remorquage

La convention de remorquage - convention par laquelle un navire prends en remorque un autre navire, et s'engage à le déplacer de son point actuel à un point déterminé - ne peut jamais entraîner une assistance, même si le remorqueur sauve de fait le navire, compte tenu de ce qu'il contracte une obligation de résultat, de déplacer un navire non-maître de sa manoeuvre d'un point à un autre. C'est donc le remorqueur qui assume la responsabilité de l'opération et qui doit s'assurer que le convoi remorqué/remorqueur arrivera à destination. Qu'un imprévu intervienne qui mette le navire remorqué en péril, et le risque en incombe exclusivement au remorqueur qui ne pourra prétendre à indemnité, puisqu'il en est déjà rémunéré au titre de son contrat.

 

9. Le contrat de lamanage

Le lamanage est l'opération d'assistance à la prise et au largage de l'amarrage d'un navire arrivant à quai, ainsi que lors des opérations de déplacement de quai, ou de remorquage dans les chenaux. Au-delà d'une certaine taille, et compte tenu des contraintes de sécurité, le lamanage est obligatoire, compte tenu des risques encourus pour la circulation dans le port.

Le lamaneur intervient fréquemment dans des conditions difficiles.

Son action a pour effet de sécuriser le navire à son poste d'amarrage.

Néanmoins, il ne s'agit pas d'une assistance maritime au sens propre, compte tenu du caractère prévisible de la prestation, et de l'obligation de résultats qui en découle : le lamaneur doit porter l'amarre à terre ou sur le navire en toutes circonstances, au risque de voir le navire dériver et heurter les infrastructures portuaires ou d'autres navires.

 

10. Le remorquage portuaire :

Dans l'enceinte du port, le remorqueur portuaire exerce une mission très différente de celle du remorqueur de haute mer : le remorqueur portuaire déplace les navires à quai, aide les navires à prendre leur poste, et, occasionnellement, intervient en urgence pour récupérer les navires qui auraient brisé leurs amarres.

Le remorquage portuaire est une intervention obligatoire qui ne relève pas toujours de la volonté de l'armateur du navire en déroute, mais uniquement de la décision de l'autorité portuaire, qui peut imposer à un navire l'intervention de son remorqueur portuaire.

 

Bien qu'en théorie, la prestation de remorquage vienne faire opposition à l'indemnisation, des cas de jurisprudence détaillent des situations d'indemnisation au profit de remorqueurs portuaires. Se pose alors la question du conflit entre le droit à indemnisation au titre de l'assistance et la sanction de la concussion, qui vient interdire à des agents publics ou relevant d'une mission de service public de réclamer plus à un administré que le prix d'accès au service. En l'occurrence, l'indemnisation d'une prestation de remorquage portuaire viendrait doubler la rémunération de la prestation.

 

11. L'assistance au navire par son propre équipage

L'assistance au navire par son propre équipage relève de l'obligation du marin, obligation qui préexiste, par l'intermédiaire du contrat de travail maritime (art.L5542-35 C.Transports) . D'ailleurs, bien que le repos hebdomadaire soit reconnu et préservé (au besoin par compensation, les opérations d'assistance à un navire ne sont pas compensées et ne portent pas atteinte à la règle du repos hebdomadaire. Ce qui est heureux !

 

En revanche, lorsque d'autres navires du même armateur contribuent au sauvetage, ils ont droit, comme tout navire assistant, à indemnité de sauvetage à proportion de l'intervention de chaque navire.

 

 

III : Qui peut demander une assistance ?

 

12. Aux termes du Code des Transports, l'assistance est demandée par le capitaine du navire, au nom du propriétaire du navire. Le capitaine du navire ou son propriétaire peuvent conclure de tels contrats au nom du propriétaire des biens se trouvant à bord du navire (art.L-5132-2 C.T).

L'assistance peut également être imposée par l'autorité maritime.

Elle peut être refusée par le capitaine du navire en situation d'être assisté, sauf au capitaine ou au propriétaire du navire ou du propriétaire du bien en danger d'exprimer une « défense expresse et raisonnable ». (art. L 5132-3 II)

 

13. A contrario, en aucun cas elle ne peut être demandée par un employé terrestre de l'armateur en lieu et place du capitaine.

La remarque n'est pas anodine, car la multiplication des situations de travail maritime en zone littoral et la multiplication des missions intermédiaires maritime/terrestre, rend les situations ambiguës. Notamment, le Directeur d'Exploitation terrestre n'a pas qualité pour représenter le navire dans le cadre des relations juridiques de droit maritime. Il ne peut donc pas initier une procédure de sauvegarde.

 

14. Concrètement, les opérations d'assistance étant le plus souvent réalisées sous le contrôle d'un Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Secours (CROSS), la constatation de la mise en oeuvre d'une opération d'assistance peut se faire soit par un échange de consentements sous forme télécopié, soit par l'intervention du CROSS, lequel se fait confirmer par radio la demande d'assistance du navire demandeur, et la disponibilité du navire assistant. Dès cet instant, l'assistance est enclenchée, et l'indemnisation sera due à proportion du résultat.

 

15. Sur ce point, on a vu des situations qui auraient dû relever d'un autre régime que celui de l'assistance, être artificiellement transformées en assistance maritime par simple erreur de la personne qui répondra pour le navire assisté, faute d'une culture nautique suffisante, pour comprendre la différence entre aide et assistance, entre remorquage et assistance... !

 

 

IV : Le droit à indemnité d'assistance ou le droit à paiement de la contrepartie d'assistance

16. Selon que l'assistance a été mise en place de manière institutionnelle, par ordre du CROSS ou d'un autre Centre de coordination des secours en mer, ou qu'elle a été convenue et négociée entre les parties, le droit à paiement pour la prestation d'assistance va ressortir de deux méthodologies différentes :

a. Le cas ordinaire de l'assistance institutionnelle relève des dispositions précitées, relatives au calcul de l'indemnité d'assistance.

b. Le cas de l'assistance conventionnelle relève lui d'une double règle :

i. La règle de la limite de l'engagement préalable :

ii. La règle du contrôle à posteriori des conditions conventionnelles

 

Limite de l'engagement préalable : art. L 52132-3 III C.Trans

17. Cette limite signifie qu'un prestataire qui s'est engagé à fournir une prestation de service au profit d'un navire ou d'un bien préalablement à la survenance du danger rendant nécessaire l'assistance ne peut pas revendiquer de droit à indemnisation au titre de cette assistance, « à moins que les services rendus n'excèdent ce qui peut raisonnablement être considéré comme l'exécution normale du contrat ».

Nous verrons ultérieurement comment peut s'exercer le contrôle du juge sur cette limitation.

 

Contrôle à postériori des conditions conventionnelle : art. L5132-6 C.Trans : le contrôle de l'abus de pouvoir ou de situation et de la lésion

18. L'article 5132-6 du Code des Transports autorise le juge à annuler ou modifier certaines des clauses de la convention d'assistance qui a pu être passée entre les parties.

 

Le juge peut ainsi contrôler l'abus de pouvoir de l'assistant ou l'abus de situation, et l'assisté peut demander à remettre en cause l'engagement souscrit « sous une pression abusive ou sous l'influence du danger », dès lors que le juge considère les clauses comme inéquitables.

 

Il peut également rédimer le coût du contrat s'il apparaît « beaucoup trop élevé » pour les services effectivement rendus.

 

19. Le même article autorise, fait rare en droit, l'assistant à demander à réévaluation à la hausse de sa rémunération, dans les mêmes conditions, s'il apparaît que le coût est « beaucoup trop faible » au regard des services effectivement rendus.

 

20. Ainsi, sous un aspect des plus classique, le droit maritime soumet la prestation conventionnelle d'assistance à deux contrôles du juge ;

 

a. Un contrôle minimum qu'on retrouve dans tous les pans du droit : le vice du consentement et l'abus de position dominante ou de situation ;

b. Un contrôle très dérogatoire, de la « lésion » de l'assisté ou de l'assistant, que l'on ne retrouve que dans très exceptionnellement en matière de prestations de service, et uniquement pour le contrôle du juge sur les honoraires des professions libérales...

 

 

V : Moyens de défense à une réclamation d'indemnité d'assistance ou de paiement de la convention d'assistance :

 

21. L'indemnité d'assistance conventionnelle relève du contrat. Son paiement sera donc mis en oeuvre par le créancier qui présentera une créance maritime (facture). Cette créance est privilégiée.

 

22. La défense à paiement de la créance maritime interviendra donc dans le cadre d'une procédure, soit judiciaire, soit arbitrale, selon que la convention a prévu ou non un recours à l'arbitrage.

Cette défense sera nécessairement limitée au contrôle dérogatoire de la lésion ou de l'abus de situation, tels que décrits supra.

 

23. L'indemnité d'assistance institutionnelle interviendra nécessairement dans le cadre d'une réclamation préalable.

 

V-1 : Prescription de la créance maritime - art.5132-9 C.Transp

24. La créance d'indemnisation d'assistance, conventionnelle ou institutionnelle, se prescrit par 2 ans. La période de négociation « amiable » est donc fatalement particulièrement courte, et se termine régulièrement par une procédure en paiement, qu'elle soit juridictionnelle ou arbitrale.

Le très faible taux de contentieux judiciaires ne doit pas cacher une réalité, qui est que l'essentiel de ces contentieux se solde hors tribunaux, en raison de l'intervention des assureurs, lesquels ne sont pas favorables à la création d'une jurisprudence sur un risque qu'ils ont évalué librement.

 

V-2 : Défaut de création du lien maritime entre les parties :

 

25. On l'a vu, il faut, pour pouvoir revendiquer un droit à indemnité d'assistance, justifier d'un lien maritime, qu'il soit institutionnel ou conventionnel.

 

26. Sur le lien conventionnel, on a dit qu'il faut que les parties se soient accordées. La preuve de l'absence d'accord pourra donc découler de l'absence de preuve d'un tel accord ou encore d'une dissociation entre l'offre d'assistance et la demande.

 

27. S'agissant du lien maritime provenant d'une relation institutionnelle, le droit à indemnité résulte de l'intervention elle-même, et/ou de l'injonction maritime faite par le CROSS. Encore faut-il que le navire assisté n'ai pas refusé l'intervention.

 

V-3 : Défaut de pouvoir pour solliciter l'assistance :

28. Aux termes de l'article L5132-2, seul le capitaine peut conclure des contrats d'assistance au nom du propriétaire du navire.

 

Cette limitation signifie implicitement mais nécessairement que l'assistance, si elle n'est pas ordonnée par la Préfecture Maritime, ne peut être qualifiée comme telle qu'après que le navire portant assistance se soit assuré de l'accord du Capitaine du navire assisté.

 

Cette limitation vise notamment la situation par laquelle l'assistance aurait été demandée par un membre de l'équipage du navire, sans l'accord du Capitaine, voire par un passager...

 

29. Or précisément, le navire assisté se soumet à certaines obligations dès lors qu'il accepte la situation juridique d'assistance :

Aux termes de l'article L 5132-11 du Code des Transports,

 

 

 

« Le capitaine, le propriétaire du navire et le propriétaire des autres biens en danger ont l'obligation :

 

 

 

1° De coopérer pleinement avec l'assistant pendant les opérations d'assistance ;

 

 

 

2° Ce faisant, d'agir avec le soin voulu pour prévenir ou limiter les dommages à l'environnement ;

 

 

 

3° Lorsque le navire ou les autres biens ont été conduits en lieu sûr, d'en accepter la restitution lorsque l'assistant le leur demande raisonnablement. »

 

30. Ces obligations imposant une conduite particulière au Capitaine, et ayant des répercussions patrimoniales chez le propriétaire du navire ou des biens sauvés, il était nécessaire que la décision de recourir à l'assistance maritime soit soumise au seul contrôle du Capitaine, seul et unique représentant du propriétaire en mer.

Bien évidemment, en cas d'incapacité du Capitaine, l'officier immédiatement de rang inférieur le suppléerait.

La question pourrait légitimement se poser pour les cas de navires de plaisance, faute de Capitaine inscrit à leur bord. Toutefois, le droit assimile le chef de bord d'un navire de plaisance à son capitaine. Il en assure les fonctions et les prérogatives qui lui sont réservées.

 

31. En conséquence, un moyen de défense efficace consistera à contester l'accord du Capitaine du navire assisté, si l'engagement de l'assistance n'a pas été transmis par le Capitaine directement, mais par un marin subalterne sans pouvoir de commandement.

 

V-4 : Défaut de danger, d'urgence ou de péril pour le navire assisté

32. La défense traditionnelle en la matière consiste à débattre de la nécessité de l'intervention, et de requalifier la situation maritime en situation d'absence de danger.

La tentation est grande de prétendre, après sauvetage, n'avoir pas couru de danger véritable.

Ainsi, en 1961, la Cour de Cassation évaluait-elle le danger du navire échoué au regard de la météo du moment, et considérait que le simple fait d'être échoué sur un banc de sable fin ne constituait pas un danger au sens du droit maritime, et ne donnait donc pas naissance à une indemnité d'assistance maritime. Com.25 oct.1961, BC IV, Affaire du Pétrolier REGINA.

 

33. Dans l'affaire REGINA c/ GARD, le Régina était considéré par la Cour d'Appel comme n'étant pas en danger de se perdre, compte tenu de ce que :

a. Le navire était échoué sur un banc de sable fin,

b. Le navire avait la capacité de se déséchouer seul par simple allègement de sa cargaison.

 

 

 

...En l'espèce, il résultait des documents versés aux débats que le temps était beau, la mer presque calme, la brise habituelle, de sorte que le navire n'était pas en péril de se perdre et que le remorqueur n'avait pas rendu de services exceptionnels

 

34. La Cour d'Appel avait décidé de limiter le champ d'application de la loi (de 1916) relative à l'assistance maritime aux seuls cas où le navire assisté se trouve en péril de se perdre, ce qui n'était pas le cas avéré ;

 

35. L'exploitant du GARD soutenait au rebours que

 

 

 

... Que l'assistance suppose que le navire soit non en péril mais en simple danger, et qu'en appréciant la nature des rapports des parties en fonction de l'existence d'un péril non-exigé, les juges du fait ont méconnu la notion d'assistance ;

 

 

 

...Que tout navire échoué est en danger ;

 

36. La Cour de Cassation retient alors, en 1961, un certain nombre d'éléments factuels autorisant la Cour d'Appel à qualifier la situation de danger ou non,

a. Le fait que le temps était beau, la mer presque calme, la brise habituelle et le clapot habituel... ;

b. Que l'intervention du GARD a été simple et sans prise de risques (passage d'une « petite remorque », tentative de déhaler d'un bord sur l'autre, pendant que le REGINA battait en arrière, de sorte qu'en un temps relativement court, le REGINA était déséchoué ;

c. Que son armateur (l'Etat) aurait requis le remorquage du REGINA par deux remorqueurs de haute mer commandés à cette fin,

d. Qu'en dernière ressource, l'armateur avait la possibilité de faire délester le REGINA d'une partie faible de sa cargaison, entre 720 et 1400 tonnes, pour le remettre à flot ;

e. Que le capitaine du REGINA n'a pas demandé de secours ;

 

37. Sous l'empire de cette jurisprudence, il était loisible de ressortir certains critères de qualification ou de disqualification de la créance maritime, en assistance ou en remorquage :

a. L'état de la mer et du vent,

b. L'absence de péril immédiat,

c. La prise de risque effective du navire assistant,

d. La possibilité pour l'armateur du navire de recourir à d'autres solutions dans un temps compatible avec la situation météorologique ;

e. Le fait pour le capitaine de n'avoir pas demandé de secours ;

 

38. Rendue sous l'empire d'un droit ancien (convention de Bruxelles 23/09/1010 et Loi d'avril 1916), cette solution n'a pas pu se maintenir au-delà de l'entrée en vigueur de la loi de 1967 et de la convention de Londres du 28 avril 1989. Le changement le plus important étant - notamment - le fait que l'indemnité d'assistance se calcule désormais selon des critères techniques et non plus en « équité ». Solution encore exprimée dans l'Affaire du navire TEVERA (Sté Cob Line International c/ Société Nazairienne de Remorquage), laquelle présente une affaire intervenant juste avant l'entrée en vigueur de la convention de Londres de 1989.

 

39. Toutefois, la jurisprudence a évolué sur cette analyse, et les juridictions judiciaires qualifient de plus en plus les situations de dangereuse par principe, même lorsque le sens marin viendrait dire que le navire n'est pas en péril de se perdre.

 

40. Ainsi de l'affaire « Navire FAUCHON c/ navire AMOUR » : Dans les faits, le Fauchon s'est échoué sur un fond rocheux, et a été tracté, à la demande d'un membre de son équipage, par la vedette Amour, ce qui lui a permis de se libérer.

 

L'armateur du FAUCHON prétendait ne pas être en situation de péril, notamment au regard du fait que les seuls risques encourus étaient matériels, risques que l'assistance n'est pas parvenue à éviter. Il prétendait également pouvoir diminuer la valeur de l'intervention du navire assistant en mettant en balance les efforts du navire assisté qui a eu un rôle actif, en usant de ses propres moyens propulsifs, venant diminuer les efforts et mérites du navire assistant ;

 

La Cour de Cassation, reprenant l'analyse factuelle de la Cour d'Appel, relève que le navire Fauchon courrait un danger, en raison de ce qu'il ne pouvait plus faire usage de ses hélices et qu'il était échoué sur un fonds rocheux.

 

41. Toutefois, le critère de danger n'est pas encore stabilisé. Et la méthode d'analyse du danger encouru par le navire assisté paraît très variable d'une espèce à l'autre, le plus dérangeant étant que l'on ne parvient pas à distinguer de sens marin dans l'analyse du risque que font les juridictions.

 

42. Ainsi, de l'affaire Vedette SNSM Bec de l'Aigle II et Allianz c. « Le Noroît » et NAVIMUT. , où la vedette SNSM a remorqué Le Noroît après qu'il se soit échoué en mer, jusqu'au port de la Ciotat ; En entrant dans le port de la Ciotat, le Noiroît en remorque abordera deux navires en cascade. Sur action des propriétaires des navires abordés, la Cour d'Appel condamnera la SNSM et mettra hors de cause le propriétaire du navire remorqué, en retenant que la responsabilité de la SNSM est celle du remorqueur et non celle de l'assistant, au motif que le Noroît disposait toujours de ses moyens propres de propulsion et de direction, sans rechercher si le navire n'était pas en situation de péril imminent ;

 

43. La Cour de Cassation fait sienne l'analyse de la Cour d'Appel, selon laquelle l'intervention de la SNSM ne serait qu'une simple intervention de remorquage, et non une intervention d'assistance maritime. En réalité, l'explication de cette décision ressort du régime du remorquage, tel qu'issu de la loi du 3 janvier 1969, deux ans postérieure à la loi de 1967. De cette loi découle un régime unique du remorquage de haute mer, lequel ne distingue pas selon que le remorquage est accompli en raison d'une convention de remorquage ou d'une prestation d'assistance maritime préalable.

 

Solution peut satisfaisante car, si la prestation d'assistance se distingue précisément de la prestation de remorquage au regard de la rémunération, il était loisible de s'attendre à ce qu'elle s'en distingue de même au regard de la responsabilité encourue, l'assistance étant - en toute circonstance - une situation d'aide à un navire en détresse, et donc par nécessité une prestation faite au profit exclusif du navire remorqué lequel courrait le risque de se perdre à défaut d'une telle assistance. La compréhension que donne la Cour de Cassation dans sa motivation, bien qu'elle insiste sur le caractère unique de la responsabilité en cas de remorquage de haute mer, pose un vrai problème pour l'avenir

 

44. L'interrogation sur la qualification de la prestation entre remorquage et assistance continue d'être débattue, et l'on parvient même, tant la notion est perméable, à inverser les situations, l'assistant pouvant devenir l'assisté de l'assisté, la mer étant par essence un espace de dangers. Ainsi de l'affaire « AITO NUI du Port Autonome de Papeete c/ VAEANU II de la SCOP Ihutai Nui » du 14 décembre 2010, où le Vaeanu II s'était échoué sur un récif en Polynésie. L'Aito Nui, remorqueur envoyé par le Port Autonome, ne parvenant pas à déséchouer le Vaeanu II, a vu l'une de ses amarres prise dans l'un de ses arbres d'hélice, rendant le navire non-manoeuvrant. Le remorqueur a donc demandé au Vaeanu II de larguer son câble d'amarre, pour lui permettre de se dégager. Rester attaché au navire échoué mettait en effet le Aito Nui en péril. Rendus au port, après que le remorqueur ait pu se libérer et redonner une nouvelle amarre, l'armateur du Vaeanu II a réclamé au Port autonome de Papeeté une indemnité d'assistance maritime, au prétexte qu'il est intervenu de manière causale et très efficace dans la survie du remorqueur Aito Nui.

Le plus incroyable étant que la Cour d'Appel a donné raison à la thèse de l'assistance maritime reconventionnelle !

 

45. La Cour de Cassation fait sienne l'analyse de la Cour d'Appel sur le danger encouru par le remorqueur, qui relève que,

... malgré l'aide du moteur tribord, le remorqueur " Aito Nui " s'est mis à dériver vers les brisants du récif, poussé par la houle du sud et surtout par le vent du sud-est de force 6-7 beaufort tandis qu'il était relié au navire " Vaeanu II ", que le remorqueur était manifestement en péril, risquant de s'échouer d'un moment à l'autre et qu'il était quasiment impossible pour son équipage de se libérer par ses propres moyens avant échouement et, enfin, que lorsqu'il a été libéré, il n'était, selon le rapport de mer de son capitaine, qu'à moins de 80 mètres des brisants ce qui confirme le danger de perdition de ce navire s'il n'avait pas été assisté ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations d'où il ressort un fait d'assistance ayant eu un résultat utile de la part du navire " Vaeanu II " au profit du remorqueur " Aito Nui " alors en danger, peu important que ce dernier ait été en opération de déséchouage du premier, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

 

46. Dans cette analyse rocambolesque de la définition de l'assistance, il est clair que la primauté est donnée, avant tout, au danger imminent, au péril de se perdre.

Mais en analysant l'évolution jurisprudentielle sur les 50 dernières années, il devient possible de déduire une grille d'interprétation :

a. Le péril ou le danger doivent s'analyser in concretto. Ce n'est pas uniquement la situation intrinsèque qui crée le danger, mais également les circonstances extrinsèques. Ainsi, un navire échoué sur un banc de sable fin par mer plate n'est pas « immédiatement » en danger. Le délai pour intervenir fixe l'imminence du danger, et donc la nature de l'intervention.

b. Ainsi un navire échoué sur un fonds rocheux sans possibilité d'user de ses moteurs est un navire en péril, car incapable de se sortir seul de la situation, alors que le changement d'état de la mer risque d'entraîner la dégradation de la coque ;

c. Ainsi, un navire échoué mais disposant de ressources propres pour se déséchouer n'est pas en danger, et l'intervention d'un remorqueur n'est qu'une intervention de remorquage, et non d'assistance.

d. Par déduction, un navire subissant une voie d'eau mais ayant la possibilité de s'échouer temporairement sur un banc de sable dans un « abri » n'est pas en danger.

 

47. Dès lors, il n'est plus possible de considérer que l'échouement est - en soi - une situation de danger. Il faut aller au-delà et analyser la situation complète. Quitte à requérir une expertise, tant du navire assisté que de l'état de la mer, pour déterminer la réalité de la prise de risque. En effet, cette question est très technique. De sa détermination dépend le sens de la décision à intervenir. Il ne faut donc pas la laisser à la seule appréciation du juge, sur ses impressions d'audience, ou à la capacité de tel avocat de convaincre. La question du danger devant être appréciée in concreto, il faudra tester les différentes situations qui ont concourues à la nécessité de faire intervenir un navire tiers pour se sortir d'une situation scabreuse.

 

48. La définition légale de l'assistance à un navire est figée par l'article L5132-1 du Code des Transports, qui dispose :

 

Dispositions générales

 

Art. L. 5132-1. : Les dispositions du présent chapitre s'appliquent à l'assistance des navires en danger, y compris les navires de guerre, ainsi qu'aux services de même nature rendus entre navires et bateaux, sans tenir compte des eaux où elle a été rendue.

 

Pour l'application des dispositions du présent chapitre, tout engin flottant est assimilé soit au navire, soit au bateau.

 

49. Le critère déterminant de l'application de cette disposition est donc le « danger » auquel serait exposé le navire.

 

50. L'activité maritime étant par nature dangereuse, le droit maritime considère que le « danger » maritime suppose le risque de perte du navire, corps et biens, en raison de l'état de la mer ou de l'état du navire.

 

Le seul aléa de détérioration du matériel inhérent à l'aléa météorologique n'est pas assimilé à un « danger ».

 

51. Ainsi, de manière prospective, une situation peut, à un moment donné, ne pas être une situation d'assistance, et se transformer par l'évolution naturelle de la météo en une situation d'assistance. Hypothèse classique de l'intervention sur un navire en panne de moteur par vent nul et mer belle, au large des côtes. Il est loisible de considérer qu'un remorqueur de haute mer prenant ce navire en remorque procède à un remorquage simple, si le sens de la dérive éloigne le navire de la côte, ou en une assistance maritime si la dérive l'approche de la côte (donc du péril). Il en est de même pour l'intervention de la SNSM sur un voilier en panne de moteur par vent plat. Il ne s'agira que d'un remorquage, jusqu'à ce que la météo se dégrade et que le navire risque de se trouver dans une mer dangereuse.

 

52. Peut-on alors considérer qu'une barge de 50 m sur 8 m à fond plat est en péril, alors qu'elle est ancrée dans moins de 2 m de hauteur d'eau, et qu'elle dispose d'un franc-bord de 4m, de sorte que même si elle s'échouait par le fond à la suite d'une voie d'eau, en pleine tempête, elle ne serait pas submergée pour autant ? Une récente réclamation dans une espèce où les parties ont en définitive transigé sous la pression de l'assureur commun, donne à penser que la situation n'était pas celle d'une assistance maritime, faute de péril, mais uniquement une prestation de remorquage.

 

V-5 : Situation intermédiaire entre l'assistance et le remorquage :

53. Il reste des situations dans lesquelles le navire « aidant » apporte au navire « aidé » une aide importante, une facilitation, sans pour autant pouvoir qualifier l'opération d'assistance maritime, à défaut de péril réel.

Jugé en ce sens dans l'affaire dite du Granville, du 20 novembre 1963 :

 

Cass° Com. 20 novembre 1963, Affaire « Granville », Compagnie Nantaise des Chargeurs de l'Ouest c/ Sté Dunkerquoise de Remorquage et de Sauvetage ;

 

« mais attendu, d'une part, que la Cour d'Appel, (...) constate que le navire n'avait subi aucun dommage, que le fond sablonneux de la rade ne présentait "aucun danger pour le navire, indemne d'avaries, qui pouvait achever sans aide, selon toute vraisemblance, la manoeuvre amorcée ou du moins trouver un mouillage sûr" ;

 

Attendu qu'en l'état de ces constatations et en admettant que le remorqueur ait agi, non pas spontanément, mais sur les instructions de l'officier du port, la Cour d'appel a pu décider que le second remorquage avait "surement facilité" la manoeuvre du Granville, mais ne présentait "à aucun degré les caractères de l'assistance". »

 

54. Telle eut été la situation de la barge précitée : le remorqueur qui interviendrait pour l'aider ne lui apporte pas une « assistance maritime », mais une simple aide technique, qui relève exclusivement de sa mission de remorquage, prestation tarifée de manière conventionnelle et prévisible et certainement pas de manière aléatoire et proportionnelle à la valeur sauvée ;

 

 

V-6 : Disparition du droit à indemnité d'assistance :

55. On l'a vu, le juge peut, à posteriori, requalifier la prestation d'assistance en une autre prestation (remorquage). Mais il peut également annuler ou modifier la convention d'assistance s'il estime que les conditions convenues ne sont pas équitables, compte tenu du service rendu et des bases de rémunération (...) ou que le service rendu ne présente pas les caractères d'une véritable assistance, quelque qualification que les parties lui aient données.

 

oOo

 

VI : Diminution du quantum de la réclamation indemnitaire

 

56. Au-delà du débat sur le principe du droit à indemnité d'assistance, il est également très important de défendre l'évaluation de cette indemnité et donc la méthode choisie.

 

a) Méthode d'évaluation de la prestation :

57. Le montant de l'indemnité est fixée par application d'un nombre multiple de critères. C'est le jeu de l'article L.5132-4 C. Transports qui établit une liste de 10 critères (voir supra).

 

Bien que le Code des Transports insiste sur le fait que les critères sont listés sans ordre de priorité, il est possible de les regrouper selon deux classes : la classe des critères relatifs aux efforts et mérites de l'intervention, et celle du critère relatif à la valeur de la chose sauvée.

 

Il importe donc d'évaluer, au cas par cas, les mérites de l'intervention.

 

58. Le succès : Il ne peut y avoir d'indemnité d'assistance si l'assistance n'a pas paré le danger. Ainsi du navire échoué qui, en dépit de l'intervention du navire assistant, ne parvient pas à être déséchoué. Ou du navire qui coule en dépit d'un remorquage

 

59. Les efforts : La législation en matière de fixation de l'indemnité s'intéresse également aux efforts fournis : l'habileté mais également le temps passé, les dépenses effectuées et les pertes subies ;

Jugé en ce sens :

 

Cass. Com. 20 mai 2001, Affaire « Fauchon c/ Amour » précité

 

« Attendu, d'autre part, qu'en retenant que les efforts et mérites du navire assistant étaient réels mais limités et que l'assistance n'avait duré qu'une trentaine de minutes sans risques exagérés, la cour d'appel qui n'était tenue d'aucune autre recherche, a légalement justifié... »

 

60. Le danger auquel est exposé le navire assisté et auquel s'expose le navire assistant, ainsi que les risques et responsabilités encourues : De toute évidence, une assistance au déséchouage d'un cargo échoué sur fonds de sable fin par mer belle ne s'envisage pas de la même manière qu'une assistance - prise de remorquage - à un cargo en panne dans la tempête. Le risque de bris matériel et humain pour l'assistant est très important.

 

b) Tentation de l'évaluation proportionnelle à la valeur sauvée :

61. Les professionnels de l'habillement présentent régulièrement une réclamation calculée sur la base de 10% de la valeur vénale sauvée. Toutefois ce critère est très isolé parmi les critères de fixation de l'indemnisation. Il est surtout contré par la pratique des assureurs, qui dans le secret des conventions, négocie habituellement autour de 5% de la valeur sauvée.

 

VII : Demande d'expertise avant-dire droit

62. Compte tenu de la très forte discordance des affirmations présentées par les deux parties (assisté/assistant) en général, il est très fortement recommandé de solliciter très tôt en défense une expertise judiciaire.

 

Cette mesure d'expertise porte sur deux éléments techniques : le premier, les conditions de mer et de vent subies lors de l'intervention et les prévisions, le second, l'état du navire assisté, la nature de sa panne, et les possibilités qu'il avait de se sortir seul de la situation ;

 

VIII : la réclamation reconventionnelle en cas de sinistres survenus lors de l'assistance,

63. Dans la même logique que celle du remorqueur de Papeete, qui s'est trouvé en péril et qui a du verser une indemnité de sauvetage à son navire assisté, il est possible de présenter au navire assistant une réclamation reconventionnelle, basée sur

a. Les dommages supportés par le navire assisté pendant les opérations d'assistance, et jusqu'à la fin de l'assistance (bris, abordage...)

b. Une indemnité liée à l'intervention utile faite par l'équipage du navire assisté pour sauver le navire assistant d'un péril pendant ses opérations d'assistance.

 

64. En conclusion, tel est l'état des voies de recours en matière de réclamation d'indemnisation d'assistance maritime. Contrairement à ce que les textes donnent à penser, les réclamations d'indemnité d'assistance se négocient bec et ongle, avec acharnement. Et chaque décision fait évoluer l'interprétation que les Etats font d'un droit qui est devenu universel dans sa forme, du fait de l'adoption de la convention internationale de Londres de 1989, mais qui reste d'application locale, tant l'interprétation jurisprudentielle peut avoir des conséquences importantes, notamment pour reconnaître ou non la situation de danger ou pour évaluer le quantum de l'indemnité.

 

65. Certaines législations visent spécifiquement la nécessité de récompenser « très généreusement » le sauvetage réalisé. D'autres se limitent à l'indemnisation. Ce qui explique les différences factuelles entre les indemnités versées.

 

66. L'essentiel du débat est parfois purgé avec efficacité par le recours à des expertises. Certaines sont faciles à mettre en oeuvre, et d'autres relèvent d'une mentalité qui parfois rechigne à être considérée sous nos latitudes. Mais le droit maritime a trait à des navires et à des marins qui changent souvent de latitude...

 

 

 

Ariel DAHAN

Avocat

Le 9 et 23 décembre 2013

 

 

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Notes de bas de page:

1- Art.5262-5 C.Transports : « Tout capitaine qui, alors qu'il peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son équipage ou ses passagers, ne prête pas assistance à toute personne, même ennemie, trouvée en mer en danger de se perdre, est puni de 3 750 € d'amende et de deux ans d'emprisonnement. » 5341-2 C.Transports :

2- Art. L 5132-4 C. Transports

3- Art. L. 5342-4 & s C.Transports sur le remorquage en haute mer

4- Art. L.5342-1 & s C.Transports sur le remorquage portuaire

5- Art. L5542-35 C.Transports : « Le marin est tenu de travailler au sauvetage du navire et à la récupération de ses débris, des effets naufragés et de la cargaison. »

6- Art. L 5544-20 C.Transports 3°.

7- Art. L 5132-2 C.Transports : « Le capitaine peut conclure des contrats d'assistance au nom du propriétaire du navire. Le capitaine ou le propriétaire du navire peut conclure de tels contrats au nom du propriétaire des biens se trouvant à bord du navire. »

8- Art. L 5132-3 II C.Transp. « II.- Les services rendus malgré la défense expresse et raisonnable du propriétaire ou du capitaine du navire ou du propriétaire de tout autre bien en danger qui n'est pas ou n'a pas été à bord du navire ne donnent pas droit à rémunération. »

9- Article L5132-9 C.Transp : I. - Toute action en paiement intentée en application du présent chapitre est prescrite si une procédure judiciaire ou arbitrale n'a pas été engagée dans un délai de deux ans. Le délai de prescription court du jour où les opérations d'assistance ont été terminées.

II. - La personne contre laquelle une créance a été formée peut à tout moment, pendant le délai de prescription, prolonger celui-ci par une déclaration adressée au créancier. Le délai peut, de la même façon, être à nouveau prolongé.

10- Com. 25 oct. 1961, BC IV, Sté Merigot (remorqueur GARD) c/ Etat Français (Navire REGINA) : Dans cette situation, le pétrolier REGINA s'était échoué sur un banc de sable, ne touchant le fonds que par son centre, l'étrave et la poupe flottant. Le remorqueur GARD est intervenu pour aider le remorquer à se déséchouer, étant précisé que le REGINA a participé activement à la manoeuvre de déséchouement par ses moteurs et son appareil à gouverner.

Jugé : « Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations d'où il résultait, d'une part, que le pétrolier “REGINA” n'était pas en danger de se perdre, et d'autre part, que sa remise à flot pouvait se faire par délestage d'une faible partie de sa cargaison, l'arrêt attaqué a pu, sans contradiction, et abstraction faite d'autres motifs qui peuvent être considérés comme surabondants, admettre que l'intervention du remorqueur le “GARD”, dont les opérations n'avaient présenté aucune difficulté particulière, ne pouvaient être considérée comme un sauvetage ou une assistance...(au sens de la loi du 29 avril 1916) » ;

11- Com 14 oct. 1997, pourvoi 95-19468, BC 1997 IV n°258 p25 - Avant l'entrée en vigueur de la convention de Londres de 1989, la rémunération d'assistance doit être fixée selon l'équité et suivant les circonstances

12- Com. 29 mai 2001, pourvoi 99-10691, BC 2001 IV, n°101 p93, en appel de CA PARIS 21 octobre 1998

13- Com. 21 mars 2006, pourvoi 03-20817, BC 2006 IV N° 73 p72, Jugé : « Attendu qu'ayant relevé que les navires "Bobolo" et "Shitane" avaient été victimes d'abordages tandis que le navire "Le Noroît" était remorqué par le navire "Bec de l'aigle II", l'arrêt en déduit, à bon droit, que la SNSM, propriétaire du navire remorqueur, est seule tenue d'indemniser les propriétaires des navires abordés de leur préjudice, peu important que le remorquage du navire abordeur ait eu pour origine une opération d'assistance maritime ; »

14- Cass° Com. 20 no

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