La Cour administrative d'appel de Lyon, dans un arrêt en date du 5 juin 2025 (n° 23LY03190), s'est prononcée sur l'applicabilité du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du CGI à propos d'une cession, en 2017, de titres d'une société luxembourgeoise (une Sàrl) reçus à l'occasion d'un apport, en 2012, de titres d'une société française. Elle s'est notamment interrogée sur la question de savoir si ce sursis pouvait conduire à considérer que cette première opération d'apport n'était pas prescrite en 2020.
Pour rappel, et en synthèse, ce dispositif vise à assurer la neutralité fiscale des opérations d'apport ou d'échange de titres au bénéfice de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, en prévoyant un mécanisme de sursis d'imposition. Il en résulte que la plus-value ou la moins-value d'échange n'est ni constatée ni imposée l'année de l'échange, mais seulement lors de la cession ultérieure des titres reçus en échange. La plus-value est alors calculée à partir du prix d'acquisition originel des titres échangés (et peut éventuellement bénéficier de l'abattement pour durée de détention). Depuis le 14 novembre 2012, ce mécanisme ne s'applique qu'aux sociétés non contrôlées par l'apporteur (le report, et non le sursis, de l'article 150-0 B ter du CGI trouvant à s'appliquer en cas de contrôle par l'apporteur de la société bénéficiaire des apports).
Quoi qu'il en soit, et comme l'a déjà précisé le Conseil d'État, le sursis d'imposition de l'article 150-0 B du CGI est de droit et automatique (CE, 7 mars 2019, n° 420094, min. c/ A). Logiquement, la cour ne pouvait ici qu'en tirer les mêmes conclusions.
Mais le sursis pouvait-il s'appliquer automatiquement en cas d'apport à une société étrangère ?
Appliquant la logique prétorienne de l'assimilation des sociétés étrangères aux sociétés françaises, à l'aune de leurs caractéristiques juridiques (CE, 24 nov. 2014, n° 363556, plén., Sté Artémis SA), la CAA de Lyon considère que la Sàrl luxembourgeoise devait être assimilée à une société de capitaux française, lesquelles sont soumises à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 206 du CGI. Ce faisant, elle en conclut que l'apport, en 2012, des titres de la SAS Foncière BBF à la Sàrl luxembourgeoise Utopia Invest entrait (automatiquement) dans le champ d'application de l'article 150-0 B du CGI.
À cet égard, on peut noter que l'administration fiscale adopte une approche identique, puisqu'elle précise dans sa doctrine que : « Le sursis d'imposition peut, sous les mêmes conditions, s'appliquer en cas d'apport de valeurs mobilières ou de droits sociaux à une société de capitaux ou assimilée établie hors de France dans un État de l'Union européenne (UE) ou dans un État ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et soumise à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés. / Lorsque la société bénéficiaire de l'apport est établie hors de France, les critères relatifs à sa forme sociale et à son assujettissement à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés s'apprécient par comparaison avec la situation de sociétés établies en France » (voir notamment BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20-10-25/05/2023 n° 80s).
La Cour a donc jugé que, du fait de l'application automatique du sursis d'imposition, l'apport initial (en 2012) n'était pas un fait générateur d'imposition, contrairement à la cession ultérieure des titres reçus en échange. Or, en l'espèce, la cession des parts de la société luxembourgeoise étant intervenue en 2017, c'est à cette date que la plus-value est devenue imposable. La proposition de rectification ayant été notifiée avant le 31 décembre 2020, dans le délai légal de reprise, l'imposition de l'opération d'apport n'était donc pas prescrite (cette opération ne devant d'ailleurs pas entrer en ligne de compte, y compris dans les calculs de plus ou moins-values).
Il n'y avait donc pas de step-up sur la plus-value à raison de l’opération de 2012… Dura lex, sed lex…
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