Les problématiques des salariés détachés : cadre juridique et fin de mission

Introduction

Le détachement de salariés soulève des questions complexes, tant pour l’employeur que pour le salarié, notamment à l’issue de la mission à l’étranger.

Que se passe-t-il à la fin du détachement ?

Les conditions de réintégration sont-elles identiques à celles du pays d’accueil ? Existe-t-il une convention bilatérale applicable ?

 Quelles sont les conséquences en cas de non-retour en France ?

  1. Le cadre juridique du salarié détaché (cas général)

 

  1. La situation de l’employeur

Conformément à l’article L.1261-1 du Code du travail, le statut de travailleur détaché en France est fixé par le droit français, sous réserve des traités, conventions ou accords internationaux régulièrement ratifiés et publiés.

Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition :

  • De l’existence d’un contrat de travail existe entre l’employeur et le salarié, et que la relation de travail subsiste pendant toute la durée du détachement (C. trav. art. L.1262-2, al. 1er) ;
  • De l’établissement régulier dans son État d’origine et d’y exercer une activité stable, significative et continue, conformément à l’article L.1262-3 du Code du travail. La création d’un établissement uniquement dans le but de détacher des salariés est prohibée.

Le détachement prend effet dès le début de l’activité sur le territoire français.

Le droit français s’applique immédiatement, quel que soit le terme initialement prévu de la mission, qui peut varier d’une journée à plusieurs mois.

À l’issue de la mission, les salariés détachés doivent reprendre leur activité au sein de l’entreprise d’origine ; à défaut, l’intégralité du droit français s’applique au contrat de travail.

2. La situation du salarié

Le salarié détaché doit être lié par un contrat de travail antérieur au détachement, ce qui implique que le recrutement dans le seul but d’un détachement en France est prohibé.

Il n’existe pas d’exigence d’ancienneté minimale.

Durant le détachement, la relation de travail demeure régie par le droit du pays d’établissement de l’employeur pour la conclusion et la rupture du contrat. Le droit français n'ayant vocation à s'appliquer que pendant l'exécution du contrat en France, sur un nombre de matières strictement énumérées (Circ. DGT 2008/17 du 5-10-2008 n° 1-4-a : BOMT 2008-11).

Le salarié détaché reste un salarié durant son détachement.

La relation salariale avec l'employeur étranger est maintenue pendant le détachement. Elle s'apprécie conformément aux critères du droit français, c'est-à-dire en recherchant l'existence d'un lien de subordination avec l'employeur, lien qui distingue le salarié détaché :

-  du travailleur indépendant, régulièrement établi hors de France, qui peut librement réaliser une prestation de services en France, et qui ne relève pas des règles du détachement.

S'il s'avère lors d'un contrôle qu'il exerce en réalité en France comme salarié du donneur d'ordre, le « faux travailleur indépendant » peut être requalifié en salarié.

-  de l'emploi direct de ressortissant étranger, directement recruté en France en qualité de salarié par un employeur établi en France. Dans cette hypothèse, les règles du détachement n'ont pas lieu de s'appliquer, le contrat de travail étant régi dans sa totalité par les règles françaises. (Circ. DGT 2008/17 du 5-10-2008 n° 1-4-b : BOMT 2008-11)

(Documentation pratique Sociale - Série S - Travailleurs étrangers - 16/10/2025)

  • Les cas de fin de missions

La fin d'une mission à l'étranger peut avoir différentes causes : arrivée du terme prévu, rupture du « contrat en cours de mission » à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou résultant d'un cas de force majeure, rupture du contrat à l'issue de la mission par l'employeur.

  • Le retour du salarié en France

L’article L.2131-5du Code du travail dispose que lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère doit assurer son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procurer un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère, dès lors, selon la jurisprudence, qu'elle contrôle toujours cette filiale (Cass. soc. 27-6-1990 n° 86-43.483 D) à la date du licenciement (Cass. avis 8-7-2021 n° 21-70.012 B :  RJS 10/21 n° 579).

Si la société mère envisage un licenciement, elle doit appliquer les dispositions du Code du travail sur la rupture du contrat à durée indéterminée, en tenant compte du temps passé au service de la filiale pour calculer le préavis et l’indemnité de licenciement.

  • La rupture en cours de mission

Cette rupture peut être à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou résulter d'un cas de force majeure.

Les règles de droit commun doivent être respectées. Toutefois, même dans cette situation, l'employeur peut, le cas échéant, être tenu de respecter les règles d'ordre public prévues en ce domaine par la loi du lieu d'exécution du contrat de travail.

     * La rupture postérieure au retour en France

La société mère doit réintégrer le salarié en cas de licenciement par la filiale étrangère (voir n° 78455). Mais si elle entend le congédier, elle doit respecter les règles légales en matière de licenciement.

Premièrement, en cas de licenciements successifs par la filiale puis par la société mère, la cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé par cette dernière doit être examinée séparément (Cass. soc. 30-3-1999 n° 97-40.544 PB :  RJS 5/99 n° 754) et reposer sur des faits la concernant (Cass. soc. 18-5-1999 n° 96-45.439 P :  RJS 10/99 n° 1311 ; 13-6-2006 n° 04-40.256 F-D :  RJS 8-9/06 n° 998).

Ainsi n'a pas de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé en raison de l'abandon de poste du salarié dans la filiale (Cass. soc. 28-10-2015 n° 14-16.269 FS-PB :  RJS 2/16 n° 99) ou des difficultés économiques de cette dernière n'affectant pas la société mère dont la progression de l'activité est élevée (Cass. soc. 17-2-1998 n° 95-45.608 D).

En revanche est justifié le licenciement pour faute grave par la société mère pour des faits commis au cours du détachement ayant porté atteinte à sa réputation dans ses rapports avec sa clientèle et son personnel (Cass. soc. 17-11-2010 n° 09-42.695 F-D :  RJS 3/11 n° 274).

Ensuite, l'absence de poste disponible malgré les efforts persistants de l'employeur pour tenter de réintégrer le salarié (Cass. soc. 11-12-1984 n° 82-42.695) ou le refus par le salarié d'un poste de reclassement conforme aux exigences légales (Cass. soc. 7-2-2018 n° 16-18.946 F-D :  RJS 4/18 n° 296) peut, le cas échéant, constituer un motif réel et sérieux de licenciement.

Toutefois, à défaut de pouvoir procurer au salarié un nouvel emploi correspondant à ses fonctions précédentes, la société mère ne peut envisager un licenciement économique qu'après avoir, au préalable, respecté l'obligation générale de reclassement visée n° 47200 s. (Cass. soc. 19-12-2000 n° 98-42.919 FS-P :  RJS 3/01 n° 371).

La société mère qui licencie le salarié à son retour en France doit lui verser les indemnités liées à la rupture : indemnités légales ou conventionnelles de licenciement et, le cas échéant, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés. Ces indemnités complètent, le cas échéant, les indemnités déjà versées par la filiale étrangère.

  • Les modalités de retour du salarié en France

Hors le ca prévu en faveur des salariés mis à la disposition d'une filiale étrangère (n° 78455), les conditions du retour dans l'entreprise d'origine ne font l'objet d'aucune disposition légale.

Mais les modalités de ce retour sont souvent prévues dans la convention collective applicable ou dans le contrat de travail ou l'avenant au contrat conclu à l'occasion du départ à l'étranger.
Les clauses conventionnelles ou contractuelles peuvent ainsi aménager les conditions matérielles du rapatriement en cas de cessation anticipée de la relation de travail à l'étranger ainsi que les conditions de réintégration dans l'entreprise située en France.
 

Le travailleur envoyé à l'étranger pendant plus de 4 semaines consécutives doit être informé de l'existence d'un rapatriement et de ses conditions (voir n° 78290, a), même si celles-ci figurent déjà dans la convention collective.

  • La rupture du contrat

En cours de mission, le contrat peut être rompu par l'employeur ou le salarié, ou en cas de force majeure (voir n° 78460).

 

Si le salarié en mission était lié par deux contrats de travail, le licenciement par l'employeur de l'État d'accueil n'entraîne pas la rupture du contrat de travail d'origine et celui-ci reprend effet dans les conditions prévues, le cas échéant, par la convention collective ou le contrat de travail (n° 78475) (Mémento Social 2025).

         2.  Le détachement en application d’une convention bilatérale

De nombreuses conventions bilatérales (présentées sur le site www.cleiss.fr) permettent aux salariés d'entreprises établies en France de bénéficier du statut de travailleur détaché et du maintien au régime français de sécurité sociale, sans être tenus de cotiser au régime du pays d'emploi.

Ces conventions ne sont en principe applicables qu'aux salariés ayant la nationalité d'une des parties signataires ainsi qu'aux apatrides et aux réfugiés.

Le service des différentes prestations du régime français peut, le cas échéant, faire l'objet de modalités spécifiques organisées par la convention bilatérale ou par ses textes d'application.
Sur l'assiette des cotisations dues au régime français, voir n° 78695.

En France, les salariés détachés peuvent s'adresser directement à leur caisse française d'affiliation pour la prise en charge des frais médicaux engagés sur le territoire de l'État de détachement, même si la convention leur impose de s'adresser à l'institution de cet État (Circ. DSS/DACI 443 du 16-9-2003).

La durée de détachement autorisée varie en fonction des conventions, celles-ci pouvant prévoir une prolongation suivant la période de détachement initiale.

À l'issue de la période de prolongation, le salarié peut éventuellement être maintenu au régime français :

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Lorsque aucune convention internationale n’est applicable, soit parce que le détachement a lieu dans un pays avec lequel la France n’est liée par aucune convention, soit parce que les conditions d’une convention ne sont pas remplies (salarié d’une nationalité autre que celle d’un État signataire, par exemple) ou ne le sont plus (durée maximale dépassée), l’employeur établi en France peut recourir au détachement dans les conditions prévues par le droit interne.

 

Dans le cadre du détachement hors convention, le salarié est simultanément soumis au régime obligatoire français de sécurité sociale, en qualité de salarié détaché, et à celui applicable dans l’État de détachement, en qualité de salarié exerçant un emploi dans cet État. Le coût généré par cette double affiliation explique la rareté des détachements opérés dans ce cadre.

 

Les travailleurs détachés temporairement à l’étranger par leur employeur pour y exercer une activité salariée rémunérée par cet employeur bénéficient du maintien à la législation française de sécurité sociale à condition que l’employeur s’engage à s’acquitter de l’intégralité des cotisations de sécurité sociale dues au régime français.

 

La durée du détachement ne doit pas excéder 3 ans, renouvelable une fois, soit 6 ans au maximum.

 

La demande de maintien au régime français doit être adressée par l’employeur à l’Urssaf via son compte en ligne (sur le site www.urssaf.fr), accompagnée de son engagement de s’acquitter de l’intégralité des cotisations dues.

 

Elle est examinée au cas par cas, sur une base discrétionnaire et accordée uniquement lorsqu’elle est dans l’intérêt du travailleur.

 

En cas d’urgence, l’employeur avise l’Urssaf du détachement, et le maintien du travailleur au régime français est prononcé à titre provisoire, la régularisation devant intervenir dans les 3 mois (Documentation pratique Sociale – Série TC – Travail hors de France – 16/10/2025).

Le détachement de salariés, outil clé de la mobilité internationale, repose sur un équilibre délicat entre flexibilité économique et sécurité juridique. Il implique la coexistence de deux ordres juridiques — celui du pays d’origine et celui du pays d’accueil — et suppose une maîtrise précise des obligations de chaque partie.

La fin de mission constitue une étape sensible : la société mère demeure tenue au rapatriement, au reclassement et, le cas échéant, au respect des règles françaises en matière de licenciement. La jurisprudence rappelle d’ailleurs que tout licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse propre à l’employeur concerné.

Les conventions bilatérales et européennes facilitent la continuité des droits sociaux et évitent la double cotisation, mais leur absence complique la gestion administrative et financière du détachement.

En somme, le détachement est un dispositif exigeant qui requiert anticipation, rigueur et coordination entre les différents acteurs. Bien encadré, il constitue un levier efficace de développement international et de valorisation des compétences, tout en préservant les droits fondamentaux du salarié.

Nicolas PODOLAK - Avocat