Cf. Cass. soc. 10 décembre 2025 n°24-15.511

Pourvoi n°24-15.511 | Cour de cassation

 

QUESTION DANS CETTE AFFAIRE : Le médecin du travail peut-il constater l’inaptitude du salarié, lors d’une visite médicale de reprise organisée par l’employeur au cours d’une période de suspension du contrat de travail ?

 

LE MOYEN DE CASSATION FORME PAR LE SALARIE DEVANT LA COUR DE CASSATION ETAIT CELUI-CI :

« ALORS QUE le contrat de travail du salarié victime d’un accident du travail, autre qu’un accident de trajet, ou d’une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l’arrêt de travail provoqué par l’accident ou la maladie ; que le travailleur bénéficie d’un examen de reprise du travail par le médecin du travail après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail ; que l’examen de reprise ne peut être organisé qu’à compter de la reprise effective du travail par le salarié et non pendant une période de suspension du contrat de travail; qu’en l’espèce, pour rejeter les demandes du salarié de nullité et d’inopposabilité de l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail le 6 mars 2023, la cour d’appel a retenu que le médecin du travail peut constater l’inaptitude d’un salarié à son poste à l’occasion d’un examen réalisé dans le cas d’une visite de reprise programmée à la demande de l’employeur sur le fondement de l’article R. 4624-31 du code du travail, peu important que l’examen médical ait lieu pendant la suspension du contrat de travail; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles L.1226-7 et R. 4624-31 du code du travail. ».

 

Dans cette affaire :

- le salarié se trouvait en arrêt maladie jusqu'au 2 mars 2023, l'employeur a organisé le 8 février 2023 une visite médicale de reprise fixée au 6 mars 2023 à laquelle s'est rendu le salarié;

- dans l'avis d'inaptitude établi le 6 mars 2023, le médecin du travail a visé l'article R. 4624-31 du code du travail pour la visite, et l'article L. 4624-4 du même code pour l'avis d'inaptitude lui-même;

 - cet avis mentionne que le salarié a été déclaré inapte après une visite médicale qui s'est tenue le 6 mars 2023, suivie d'une étude de poste et des conditions de travail, et un échange avec l'employeur mené par le médecin du travail le 30 janvier 2023, la dernière actualisation de la fiche d'entreprise ayant pour date le 10 février 2017.

 

REPONSE DE LA COUR DE CASSATION :  Oui, "Le médecin du travail peut constater l'inaptitude d'un salarié à son poste à l'occasion d'un examen réalisé sur le fondement de l'article R. 4624-31 du code du travail, peu important que l'examen médical ait lieu pendant la suspension du contrat de travail et nonobstant l'envoi par le salarié de nouveaux arrêts de travail." "La cour d'appel en a exactement déduit que l'inaptitude avait été régulièrement constatée."

 

La Cour de cassation a donc suivi l'avis de l'Avocate Générale Référendaire, son raisonnement étant que (en résumé ci-après) :

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- "La chambre sociale avait déjà répondu par l’affirmative à cette question dans l’arrêt du 19 mars 2014 n°13-11370, confirmée par Cass. soc. 24/04/2023 n°22-10517 : la déclaration d’inaptitude peut intervenir largement, y compris pendant un arrêt de travail, pendant une suspension du contrat de travail" ;

- "Cette solution jurisprudentielle a été renforcée par la loi n°2016-1088 : - avec la suppression de la mention « suspension » du contrat dans les articles L.1226-2 et L.1226-10 du code du travail portant sur l’obligation de reclassement imposée à l’employeur; l’inaptitude pouvant donc être constatée, peu importe qu’elle suive ou non une période de suspension du contrat de travail; - avec le nouvel article L.4624-4 du code du travail qui fixe les conditions du constat d’inaptitude, qui sont sans lien avec l’existence d’une suspension du contrat puisqu’adossé au seul constat qu’aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste ; - le constat de l’inaptitude n’est ni lié à la temporalité d’une suspension du contrat de travail, ni à la qualification juridique de la visite médicale au cours de laquelle elle est constatée; - La préservation de l’état de santé du salarié est un impératif qui nécessite de pouvoir constater l’inaptitude à tout moment;

- "la visite de reprise et l'inaptitude présentent deux régimes autonomes " ;

 

Cela étant, l'Avocate Générale a ajouté quelques bémols à son raisonnement contre le salarié, qui paraissent sensés :

Si, selon l'Avocate Générale, "le fait que l’initiative de la visite soit prise par l’employeur pendant une suspension du contrat de travail ne devrait avoir aucune incidence";  

Si elle est "d’avis que ce pourvoi soit l’occasion de réaffirmer la possibilité pour le médecin du travail de constater l’inaptitude à tout moment de la vie du contrat, même s’il est suspendu, et ce quel que soit l’initiateur de la visite médicale, dès lors qu’il a accompli l’ensemble des diligences réglementaires conditionnant le constat d’inaptitude",

il reste que :

1./ "admettre la possibilité de constater l’inaptitude du salarié en cours de suspension du contrat de travail doit cependant être réservé au seul cas où le médecin du travail est en mesure de considérer, à la date de l’examen, qu’il n’y aura pas d’évolution positive possible de l’état de santé du salarié dans le cadre de son prolongement d’arrêt de travail" : 

=> Car, un salarié peut-être inapte au moment t de la visite, alors qu'il serait à nouveau apte au moment t+1 après la suspension de son contrat de travail ;

 

2./ L'"éventuel refus (du salarié) de se rendre à une telle visite, pendant un arrêt de travail, ne paraît pas, à lui seul, constitutif d’une faute grave susceptible de justifier son licenciement au visa de l’article L.1226-9 du code du travail. En cas d’inaptitude constatée par le médecin du travail, il devient créancier de l’obligation de reclassement imposée à l’employeur. Ce dernier ne peut le licencier que pour des motifs énumérés à l’article L.1226-12 du code du travail" :

=> Donc, selon l'Avocate Générale, le salarié aurait pu refuser de se rendre à cette visite organisée pendant la suspension de son contrat de travail, sans faute grave à lui reprocher, l'art. L.1226-12 ne pouvant permettre à l'employeur de rompre le contrat de travail que s'il justifie, soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

Rappel de l'article L.1226-9 du code du travail : "Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie".

Sous-section 3 : Inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. (Articles L1226-10 à L1226-12) - Légifrance