L’obligation de garantie d’éviction constitue l’une des garanties essentielles dues par le vendeur à l’acquéreur lors d’une vente immobilière : ce dernier doit en effet jouir paisiblement du bien cédé, sans craindre de revendication ou de trouble de la part de tiers ou du fait même du vendeur. Dans cette perspective, la servitude – notamment lorsqu’elle est non apparente – est susceptible d’affecter directement la jouissance de l’acquéreur et soulève des interrogations quant au régime applicable : relève-t-elle d’un « vice caché » (art. 1641 et s. C. civ.) ou de la garantie d’éviction (art. 1626 et s. C. civ.) ?
En réalité, la présence d’une canalisation souterraine grevant le fonds, découverte après la vente, ne peut être considérée comme un défaut intrinsèque de la chose au sens de la garantie des vices cachés. Elle se rattache davantage à la garantie d’éviction, dans la mesure où elle constitue un trouble juridique ou un droit réel limitant la jouissance de l’acquéreur, et devant normalement être portée à la connaissance de ce dernier.
Au-delà de cette distinction, la jurisprudence s’est également prononcée sur l’efficacité des clauses de style insérées dans les actes de vente, par lesquelles le vendeur déclare qu’il n’existe « aucune servitude ». Or, si une telle clause s’avère mensongère, elle ne saurait exonérer le vendeur de sa responsabilité.
Pour éclairer cette problématique, nous procéderons comme suit :
- Nous rappellerons d’abord la distinction entre la garantie d’éviction et la garantie des vices cachés (I).
- Nous illustrerons ensuite l’application de la garantie d’éviction par l’exemple concret d’une canalisation non apparente (II).
- Nous apprécierons l’inefficacité des clauses de style de non-servitude et la position de la jurisprudence (III).
- Nous conclurons enfin par les conséquences pratiques pour l’acquéreur, le vendeur et le notaire (IV).
I. Distinction entre garantie d’éviction et garantie des vices cachés
Après avoir clarifié la distinction fondamentale entre la garantie d’éviction et la garantie des vices cachés, il convient désormais d’illustrer la mise en œuvre concrète de la garantie d’éviction. À ce titre, l’exemple d’une canalisation non apparente, découverte par l’acquéreur après la vente, met en évidence la nature juridique réelle de ce trouble et les conséquences pratiques qui en découlent. Nous verrons dans un premier temps comment cette situation donne lieu à un risque d’éviction (A), avant d’en préciser le régime particulier (B).
A. Objet et champ d’application de chacune des garanties
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Garantie d’éviction (art. 1626 et s. C. civ.)
- Protège l’acquéreur contre l’éviction résultant soit du fait personnel du vendeur, soit de la revendication d’un tiers.
- Permet d’assurer à l’acquéreur la possession paisible et l’intégrité de son droit de propriété.
- En cas d’éviction partielle ou totale, l’acheteur peut solliciter la résolution de la vente, la restitution du prix et, le cas échéant, des dommages-intérêts.
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Garantie des vices cachés (art. 1641 et s. C. civ.)
- Vise un défaut intrinsèque à la chose, antérieur à la vente, la rendant impropre à l’usage auquel on la destine ou en diminuant fortement l’utilité.
- Permet à l’acquéreur d’intenter une action rédhibitoire (résolution) ou estimatoire (réduction du prix), éventuellement assortie de dommages-intérêts si le vendeur était de mauvaise foi.
B. Servitude et vice caché : une confusion fréquente
En pratique, l’existence d’une servitude non apparente (par exemple, une canalisation souterraine) pourrait être interprétée à tort comme un vice caché. Or, la jurisprudence (Civ. 3e, 27 févr. 2013, no 11-28.783, D. 2013. 973, note S. Le Gac-Pech) confirme qu’il s’agit d’une charge grevant le bien et non d’un défaut matériel. Par conséquent, elle relève de la garantie d’éviction et non de la garantie des vices cachés. L’acheteur est en effet confronté à une réduction de sa jouissance au profit du titulaire de la servitude, ce qui constitue un trouble de nature juridique.
II. L’exemple concret d’une canalisation non apparente
Pour mieux appréhender le rôle de la garantie d’éviction, il convient maintenant de se concentrer sur un cas pratique : celui d’une canalisation enfouie, découverte a posteriori par l’acquéreur. Nous verrons d’abord (A) dans quelles hypothèses ce risque d’éviction surgit, avant d’étudier (B) le statut juridique précis de cette canalisation non apparente.
A. Les hypothèses génératrices de la garantie d’éviction
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Une servitude non apparente ignorée dans l’acte
- Le vendeur omet (intentionnellement ou non) de révéler l’existence d’une canalisation souterraine.
- Aucune mention dans l’acte de vente, aucune publicité foncière ; l’acquéreur n’a donc aucune raison de supposer qu’un droit réel grève son fonds.
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Découverte postérieure de la servitude
- Souvent, c’est à l’occasion de travaux (construction, terrassement) que l’acheteur constate la présence d’une canalisation, limitant ses projets d’aménagement.
- La servitude confère au fonds dominant un droit d’usage ou de passage, pouvant constituer une éviction partielle.
B. Le statut juridique de la canalisation non apparente
- Servitude dite « occulte » : En l’absence de traces visibles, la canalisation est considérée comme une servitude non apparente.
- Qualification en éviction : Selon la jurisprudence, cette charge ne saurait être assimilée à un vice caché, car il s’agit d’un droit réel grevant le bien. L’acquéreur peut donc agir sur le fondement des articles 1626 et suivants du code civil, et réclamer, le cas échéant, la résiliation de la vente ou une indemnité.
III. L'inefficacité des clauses de style et la position de la jurisprudence
Après avoir circonscrit la distinction juridique entre garantie d’éviction et vices cachés, ainsi que l’importance pratique de la canalisation non apparente, il importe désormais d’analyser l’impact des « clauses de style » souvent insérées dans les actes de vente. Nous verrons d’abord (A) la portée réelle de ces clauses, puis (B) nous évoquerons la responsabilité potentielle du rédacteur d’acte (notaire).
A. Les limites des clauses déclarant « aucune servitude »
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La clause de pur style
- Les vendeurs insèrent parfois dans l’acte la mention selon laquelle « il n’existe aucune servitude » ou « le vendeur n’a pas connaissance de servitudes ».
- L’objectif est d’éviter ou de décourager les recours ultérieurs de l’acheteur.
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L’inefficacité en cas de dissimulation
- Les juridictions (Civ. 3e, 27 févr. 2013, préc.) considèrent que ce genre de clause est inopérante si elle se révèle mensongère.
- Le vendeur qui affirme faussement qu’il n’existe aucune servitude commet une faute contractuelle ; la clause est alors qualifiée de « clause de style » et réputée non écrite lorsqu’elle ne traduit pas la volonté sincère des parties.
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Dol, faute lourde et sanction
- En cas de dol (dissimulation intentionnelle), toute clause limitant ou excluant la garantie d’éviction est privée d’effet (Civ. 3e, 4 juill. 1979, D. 1980. IR 221, obs. C. Larroumet).
- Le vendeur demeure tenu au minimum de restituer le prix (art. 1629 C. civ.), sauf vente conclue à titre aléatoire en pleine connaissance de cause.
B. La responsabilité du rédacteur d’acte
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Obligation de conseil et d’information
- Le notaire doit accomplir les formalités et vérifications nécessaires (consultation des registres de la publicité foncière, interrogation du vendeur, etc.) afin de garantir l’efficacité de l’acte.
- S’il savait ou aurait dû savoir qu’une servitude existait et l’a délibérément omis, sa responsabilité peut être engagée.
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Responsabilité dite « subsidiaire »
- La Cour de cassation considère souvent que l’acquéreur doit d’abord poursuivre le vendeur.
- La responsabilité du notaire ne peut être invoquée qu’à titre complémentaire, si le vendeur est insolvable ou défaillant (Civ. 1re, 23 sept. 2003, no 99-21.174).
- Néanmoins, le notaire demeure comptable d’un défaut de conseil manifeste, s’il a manqué aux vérifications de base.
IV. Conséquences pratiques pour les parties
Après cet éclairage doctrinal et jurisprudentiel, il convient d’identifier les précautions et recours qui incombent tant à l’acquéreur qu’au vendeur (sans négliger le rôle du notaire).
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Pour l’acquéreur
- Action en garantie d’éviction : Possibilité de demander la résolution de la vente ou une indemnisation en cas d’éviction partielle.
- Vérifications préalables : Même si l’obligation d’information pèse avant tout sur le vendeur, il reste prudent d’examiner les diagnostics, documents cadastraux ou d’urbanisme, voire de questionner directement le notaire.
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Pour le vendeur
- Obligation d’information : Toute omission ou dissimulation engage sa responsabilité. Les clauses de style qui nient globalement l’existence de servitudes n’offrent pas de protection efficace si la réalité est tout autre.
- Risque de dol ou de faute lourde : En cas de mensonge avéré, le vendeur ne peut se prévaloir d’une clause restrictive de garantie.
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Pour le notaire (ou rédacteur d’acte)
- Devoir de conseil : Il doit veiller à la cohérence des déclarations du vendeur, vérifier la publicité foncière, et prévenir l’acquéreur en cas de doute.
- Responsabilité potentielle : Engageable à titre subsidiaire si les investigations élémentaires n’ont pas été menées ou si le vendeur est défaillant.
Conclusion
La découverte d’une canalisation non apparente au sein d’un fonds vendu illustre de manière éloquente que les servitudes dissimulées ne relèvent pas du régime des vices cachés, mais bien de la garantie d’éviction. Le vendeur reste tenu de révéler toute charge grevant le bien, la clause de style déclarant « qu’il n’existe aucune servitude » ne protégeant pas le vendeur en cas de dissimulation ou d’affirmation inexacte. La jurisprudence sanctionne fermement ces déclarations mensongères, car elles constituent une faute contractuelle.
Ainsi, pour sécuriser pleinement la vente :
- Le vendeur doit s’assurer de la transparence et de la véracité de ses déclarations.
- L’acquéreur a intérêt à procéder à certaines vérifications minimales.
- Le notaire doit jouer un rôle actif de conseil et de contrôle dans la rédaction de l’acte.
En définitive, la garantie d’éviction protège efficacement l’acquéreur contre tout trouble juridique affectant son droit de propriété. L’existence d’une canalisation enfouie et non révélée peut donc, malgré toute clause prétendant l’exclure, permettre à l’acquéreur de mettre en jeu la responsabilité du vendeur, voire d’obtenir la résolution de la vente ou une indemnisation. Les « clauses de style » ne sauraient neutraliser cette exigence de loyauté et de sécurité contractuelle, pierre angulaire du droit français des contrats de vente.
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