Une affaire révélatrice d’un angle mort du droit pénal : la tentative de complicité
Le 21 mars 2025, le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire prononçait la relaxe d’un prévenu poursuivi pour des faits qualifiés de tentative d’administration de substance à autrui en vue de commettre une agression sexuelle.
Les poursuites étaient exercées alors même que le prévenu n’avait ni participé aux faits, ni été présent sur les lieux.
En réalité, les faits reprochés relevaient d’une tentative de complicité — figure absente du Code pénal français. Ce vide, bien qu’étonnant à première vue, est juridiquement cohérent.
Rappels essentiels sur la tentative et la complicité
La tentative (articles 121-4 et suivants) suppose un commencement d’exécution interrompu ou manqué. La complicité (article 121-7) n’est punissable que si l’infraction principale est consommée ou au moins tentée. Dès lors, une tentative de complicité n’est pas incriminée : on ne peut tenter d’être complice d’une infraction non commencée.
La doctrine l’a clairement affirmé depuis longtemps. Jean Pradel écrivait dès 1986 :
« L’acte de provocation […] ne peut être réprimé que s’il se rattache à un fait principal punissable […]. Le raisonnement est imparable. »
(Tentative et abandon en cas de participation à une infraction, RIDC, 1986, n°38-2)
Le mandat criminel ou délictuel : un texte alternatif ?
Le Code pénal prévoit bien une infraction autonome à l’article 222-30-2 : le fait de donner des instructions pour commettre une agression sexuelle ou un viol. Toutefois, ce texte ne pouvait être appliqué dans cette affaire, car :
- Les échanges entre les intéressés relevaient d’un fantasme sexuel partagé, sans intention sérieuse de passage à l’acte ;
- La personne censée commettre l’acte (la compagne du prévenu) s’est désistée avant tout commencement d’exécution.
Le mandat criminel suppose une volonté réelle de faire commettre un acte sexuel non consenti, ce qui faisait ici défaut, tant sur le plan des éléments matériels que de l’élément moral.
Pourquoi la tentative de complicité reste impunie
Ce vide juridique résulte de l’application stricte du principe de légalité des délits et des peines (article 111-3). Il empêche de sanctionner une personne pour un comportement qui, aussi dérangeant soit-il sur le plan moral, ne franchit pas les seuils légaux de la répression pénale.
Une rigueur protectrice ou une faille à combler ?
On peut s’interroger sur l’opportunité d’étendre la répression aux instigations non suivies d’effet. Toutefois, ce serait ouvrir la voie à une pénalisation des intentions. Le droit pénal français reste un droit d’acte : il sanctionne des comportements, non des idées ou fantasmes, aussi inquiétants soient-ils.
Ainsi, même si le client avait été l’instigateur d’un projet théorique, ni le fait principal n’a été entamé, ni la qualification de mandat criminel ne pouvait être retenue.
Ce n’est donc pas une faille de la justice mais l’application rigoureuse des principes suivants :
-
La tentative n’est punissable que si l’auteur principal commence à exécuter l’infraction.
-
La complicité suppose une infraction principale punissable.
-
La tentative de complicité ne tombe sous aucun texte d’incrimination.
On pourrait certes souhaiter un droit pénal plus préventif, mais ce serait au prix d’une pénalisation des intentions et d’un affaiblissement du principe de légalité criminelle (art. 111-3 C. pén.).
Aujourd’hui encore, le droit pénal français refuse de punir les simples projets, aussi malsains soient-ils, tant qu’ils ne franchissent pas les seuils juridiques du commencement d’exécution ou de l’instigation punissable.
Conclusion
La décision rendue à Saint-Nazaire illustre parfaitement la rigueur du droit pénal français. L’absence de tentative de complicité dans notre législation n’est pas une lacune mais une volonté de limiter le pouvoir punitif de l’État à ce qui est strictement nécessaire. Le respect de la légalité a conduit, en l’espèce, à une relaxe conforme au droit.
Maître Morgan LORET
Avocat en droit pénal – Barreau de Saint-Nazaire
Cabinet AVOCATLANTIC
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