L’action en réduction d’une donation-partage est attachée à la personne de l’héritier réservataire. Elle échappe au dessaisissement de l’administration et de la disposition de ses biens pour le débiteur soumis à une procédure de liquidation judiciaire.

Chaque héritier réservataire est libre, en fonction de considérations, non seulement patrimoniales, mais aussi morales ou familiales, d’exercer ou non l’action en réduction pour préserver sa réserve héréditaire. Cette action est attachée à sa personne et, malgré son incidence patrimoniale, elle échappe au dessaisissement prévu par l’article L. 641-9 du Code de commerce, lorsqu’il est soumis à une procédure de liquidation judiciaire.

L’action en réduction n’est qu’une faculté dont l’exercice doit être demandé par ceux qui en sont titulaires en veillant, pour ce faire, à agir dans un certain délai ; mais il demeure parfaitement possible d’y renoncer – soit après l’ouverture de la succession, soit de manière anticipée – pour des motifs très divers.

Il est assez peu commun de signaler un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation dans une rubrique consacrée aux libéralités et aux successions, car chacun sait que le contentieux relatif à ces matières relève classiquement de la première chambre civile.

Pourtant, il faut faire une exception et s’intéresser à l’arrêt rendu le 2 mars 2022 dans une affaire relative au droit des entreprises en difficultés, où l’on voit la conception que la chambre commerciale se fait de l’action en réduction : « il résulte [de l’article 1077-1 du Code civil] que la faculté d’agir en réduction d’une donation-partage est ouverte à l’héritier réservataire qui n’a pas concouru à la donation ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve. Cet héritier étant libre, en fonction de considérations, non seulement patrimoniales, mais aussi morales ou familiales, d’exercer ou non l’action en réduction pour préserver sa réserve, cette action est attachée à sa personne et, malgré son incidence patrimoniale, échappe, lorsqu’il est soumis à une procédure de liquidation judiciaire, au dessaisissement prévu par [l’article L. 641-9 du Code de commerce] ».

En l’espèce, un héritier mis en liquidation judiciaire avait assigné ses frères et sœurs en réduction d’une donation-partage dont ceux-ci avaient été gratifiés par leurs parents, du vivant de ces derniers.

La cour d’appel rejeta toutes ses demandes et déclara son acte introductif d’instance nul, considérant que, sitôt que l’action en réduction d’une donation-partage était une action patrimoniale, l’héritier n’avait pas qualité pour l’exercer aux lieu et place de son liquidateur. Pareille solution est logiquement censurée par la Cour de cassation.

L’action en réduction n’est pas automatique : une donation-partage – comme toute libéralité au demeurant – qui excède la quotité disponible n’est pas « réduite », mais « réductible » (C. civ., art. 920) ; ce qui permet sans doute de tempérer le caractère d’ordre public qu’on lui prête parfois et qui invite peut-être à lui préférer le caractère simplement impératif (A. Tani, L’ordre public et le droit patrimonial de la famille. Contribution à la distinction entre l’ordre public et l’impérativité en droit privé français, t. 64 : Defrénois, coll. Doctorat & Notariat, 2020, spéc. p. 331, n° 281).

L’action en réduction n’est qu’une faculté dont l’exercice doit être demandé par ceux qui en sont titulaires en veillant, pour ce faire, à agir dans un certain délai (C. civ., art. 921, al. 1er) ; mais il demeure parfaitement possible d’y renoncer – soit après l’ouverture de la succession, soit de manière anticipée (C. civ., art. 929 s.) – pour des motifs très divers (patrimoniaux, fiscaux, familiaux, moraux...). La loi fait désormais obligation aux notaires d’informer individuellement les héritiers réservataires sur la possibilité d’agir en réduction et sur les incidences de ce choix (C. civ., art. 921, al. 2).

 

  1. La nature de l’action en réduction d’une donation-partage

 

  1. L’action en réduction d’une donation-partage est un droit personnel

En toute logique, la détermination de la nature juridique de l’action en réduction d’une donation -partage est le préalable essentiel à la question de connaître l’emprise du dessaisissement sur celle-ci.

À cet égard, il faut d’abord rappeler que si l’action en réduction d’une donation-partage est ouverte à l’héritier réservataire, c’est bien en raison de sa qualité personnelle d’enfant ou de conjoint : ni les créanciers de la succession ni les héritiers ne peuvent agir. Du reste, lorsque l’héritier lésé engage une action en réduction, il le fait moins pour ses conséquences patrimoniales que pour affirmer sa place au sein de sa fratrie.

En somme, et bien que le texte ne soit pas applicable en l’espèce, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 contribue à renforcer cette idée, le second alinéa de l’article 921 du code civil prévoyant que, « lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible ».

En tout état de cause, ces éléments nous paraissent asseoir la nature « personnelle » de l’action en réduction d’une donation-partage.

Surtout, si un héritier réservataire peut engager une action en réduction, c’est qu’il a préalablement exercé son option pour accepter la succession ! Ce lien entre option successorale et exercice de l’action en réduction nous paraît décisif quant à la compréhension de l’arrêt ici rapporté. Quand bien même l’argument peut paraître simpliste, dès lors que la levée de l’option successorale a été qualifiée de personnelle au débiteur, il ne peut qu’en aller de même de l’action en réduction, puisque la seconde dépend intimement de la première.

 

  1. Une solution à approuver malgré quelques regrets

Bien que nous souscrivions à la solution, l’on peut toutefois regretter que la Cour de cassation n’ait pas réservé une possibilité pour le liquidateur d’agir en cas de carence du débiteur.

Nous formulons cette remarque pour deux raisons.

D’une part, si l’action en réduction aboutit, celle-ci profitera indéniablement aux créanciers du débiteur concernés par la procédure collective. D’autre part, en revanche, si l’héritier ne défend pas sa réserve, le liquidateur ne pourra s’y substituer, ce qui est regrettable du point de vue de l’intérêt collectif des créanciers, mais constitue le jeu « normal » d’un droit attaché à la personne du débiteur.

Quoi qu’il en soit et face à ce constat, il serait raisonnable de mettre en cause le mandataire en raison des incidences patrimoniales de l’action en réduction, comme le suggérait d’ailleurs le demandeur au sein de son pourvoi.

Au-delà des considérations techniques évoquées dans ce commentaire, la solution affirmée par la Cour de cassation s’inscrit dans l’ordre des évolutions législatives de la matière.

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a vocation à scinder le patrimoine du débiteur-personne physique entre d’un côté un patrimoine professionnel et, de l’autre, un patrimoine personnel.

Ce nouveau statut s’appliquera aux procédures collectives ouvertes à compter du 15 mai 2022. Or, si la procédure collective de l’entrepreneur soumis au nouveau statut est une liquidation judiciaire, son dessaisissement ne portera que sur son seul patrimoine professionnel (< v >. la nouvelle rédaction de C. com., art. L. 641-9-I), le débiteur conservant alors, sous toutes réserves, l’exercice de ses droits et actions portant sur son patrimoine personnel.

Aussi, en principe, les biens échus sur succession et toutes les actions liées à la qualité d’héritier ne devraient pas concerner le patrimoine professionnel du débiteur soumis à la liquidation judiciaire.

Par conséquent, les difficultés résultant de la confrontation du droit des successions aux limites au dessaisissement du débiteur vont peu à peu disparaître… D’une façon plus générale encore, il s’agit peut-être là de l’extinction de la catégorie des droits personnels au débiteur en tant qu’exception au dessaisissement.

 

  1. Absence de rapport des lots issus d’une donation-partage

 

 

  1.  Les lots reçus par voie de donation-partage à titre d’avancement de part successorale

L’absence de rapport des lots produit deux conséquences. D’une part, les plus ou moins-values advenues depuis le jour de la donation-partage n’ont de conséquences que sur le patrimoine des donataires allotis des biens dont la valeur a varié.

D’autre part, lorsque la donation-partage comporte une clause de rapport, cette clause peut être soit ignorée, soit prise en compte, en fonction de l’interprétation faite de la volonté du disposant. En cas de prise en compte, l’acte est disqualifié : il devient une donation ordinaire faite en avancement de part.

En outre, l’action en complément de part n’est pas ouverte aux donations-partages. Cette action en réduction est déterminée par l’article 1077-1 du Code civil : seul l’héritier qui n’a pas concouru à la donation-partage ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve peut l’exercer. Il résulte de l’article 1077-2, alinéa 1er du Code civil – confirmant et appliquant sur ce point le principe très général édicté à l’article 1075, alinéa 2 du même code – que les donations-partages suivent les règles des donations entre vifs pour tout ce qui concerne l’imputation, le calcul de la réserve et la réduction.

Les lots reçus par voie de donation-partage à titre d’avancement de part successorale ne sont pas rapportables, car, par hypothèse, ils sont déjà partagés. Mais cette qualification commande néanmoins leur imputation. L’absence de caractère rapportable doit par ailleurs être prise en considération pour le calcul des droits en propriété du conjoint survivant.

L’absence de rapport des lots de la donation-partage détermine un processus de détection d’une éventuelle atteinte à la réserve tout à fait spécifique :

- pour chacun des réservataires, il y a lieu de vérifier d’abord s’il a eu, ou non, sa part de réserve à raison du ou des lots reçus dans la donation-partage ;

- si tel n’est pas le cas, il y aura lieu ensuite d’ajouter à la valeur de ce ou de ces lots la valeur des avances de parts reçues par le ou les héritiers non allotis à hauteur de leur réserve ;

- enfin, si certains réservataires n’ont toujours pas reçu leur part de réserve en cumulant la valeur de leur lot et celle de leurs avances de parts, il y aura lieu de vérifier s’il existe suffisamment de biens existants non légués pour composer ou compléter la part de réserve de chacun.

Si tel n’est pas le cas, la réduction pourra être demandée : d’abord celle des legs et, si cela ne suffit pas, celle des donations en commençant par la réduction des donations les plus récentes en remontant chronologiquement vers les plus anciennes.

La donation-partage ou, du moins, certains lots de la donation-partage peuvent ainsi se trouver atteints par la réduction. On le constate, ce processus de vérification apparaît comme purement patrimonial.

 

  1. Action en réduction d’une donation-partage

Néanmoins, le choix d’exercer l’action en réduction, lui, demeure lié à des considérations qui ne sont pas exclusivement d’ordre patrimonial. On ne perdra pas de vue que la réduction doit être demandée soit à l’amiable, soit en justice ; elle ne peut pas être pratiquée d’office par le notaire en charge de la liquidation de la succession. Chacun des héritiers réservataires peut décider de ne pas l’exercer ou de l’exercer.

Comme le rappelle opportunément la chambre commerciale, chacun des héritiers est « libre, en fonction de considérations, non seulement patrimoniales, mais aussi morales ou familiales, d’exercer ou non l’action en réduction pour préserver sa réserve ».

La réduction contrarie la volonté des parties : le réservataire qui ne reçoit pas sa réserve peut notamment souhaiter se conformer à la volonté du défunt, ou encore, s’agissant d’une donation-partage à laquelle il a concouru, ne pas demander la réduction des lots de ses copartageants, par affection pour eux.

Il n’est dès lors guère surprenant que la Cour de cassation rattache l’action en réduction d’une donation-partage aux actes patrimoniaux à caractère personnel qui échappent au dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire.

La solution est cohérente avec celle retenue en matière d’option successorale : l’option n’entre pas dans le champ du dessaisissement. Elle est librement exercée par le débiteur en liquidation judiciaire.

Pourtant, il a été admis en jurisprudence que l’action en réduction peut être exercée par la voie oblique. Cette solution pourrait être aujourd’hui condamnée. En effet l’article 1341-1 du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations de 2016, ne permet au créancier d’exercer pour le compte de son débiteur que les « droits et actions à caractère patrimonial », « à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à la personne ». L’ancien article 1166 ne comportait pas cette précision.

Dès lors, le présent arrêt, qui range l’action en réduction sous la bannière des actions « attachée[s] à sa personne », invite donc à revisiter la solution rendue pour l’exercice par la voie oblique de l’action en réduction sous l’empire de l’ancien article 1166. 

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045308943?init=true&page=1&query=+20-20.173&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007051316?init=true&page=1&query=04-10.115&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007010889?init=true&page=1&query=81-16.092&searchField=ALL&tab_selection=all