Le Conseil constitutionnel a récemment annulé l'élection législative d'une circonscription du Jura (décision du 13 février 2025), une affaire qui éclaire la situation complexe des majeurs protégés face au droit électoral. Au cœur de cette décision, l'inéligibilité d'un candidat sous curatelle renforcée a soulevé des questions importantes sur la distinction entre le droit de vote et l'éligibilité.

Droit de vote face à l'éligibilité : une distinction cruciale

Il est essentiel de comprendre que le droit de vote et l'éligibilité ne sont pas toujours corrélés pour les personnes sous protection juridique.

  • Majeurs en sauvegarde de justice, en habilitation familiale ou dont le mandat de protection future a pris effet : Ces personnes peuvent voter et sont éligibles. Leur capacité juridique est considérée comme suffisamment intacte pour exercer pleinement leurs droits civiques, y compris celui d'être élu.

  • Majeurs en curatelle ou en tutelle : C'est là que la distinction devient plus nuancée.

    • Les majeurs en curatelle n'ont jamais été privés de leur droit de vote. Ils peuvent participer aux élections et exprimer leur choix.

    • Les majeurs en tutelle peuvent également voter, à moins qu'une décision spécifique du juge des tutelles ne les en prive.

    • Cependant, ni les majeurs en curatelle, ni ceux en tutelle, ne peuvent être élus aux fonctions de conseiller municipal, départemental, député ou sénateur. Cette inéligibilité est une restriction légale visant à protéger les personnes vulnérables et à garantir la pleine capacité d'exercice des mandats électifs.

L'inéligibilité des majeurs sous curatelle ou tutelle est une règle établie de longue date dans le droit français. Des précédents jurisprudentiels, datant notamment de 1973, ont déjà confirmé cette inéligibilité pour les candidats en tutelle. En 2007, l'inéligibilité d'une candidate élue au conseil municipal a été constatée parce qu'elle était sous curatelle au moment du scrutin. Ces décisions passées attestent de la constance de cette règle dans la jurisprudence française.

L'affaire du Jura : quand l'inéligibilité d'un candidat annule le scrutin

Dans le cas qui nous intéresse, un candidat, que nous appellerons Monsieur X, s'est présenté aux élections législatives de juin et juillet 2024. Le Conseil constitutionnel a rappelé que Monsieur X bénéficiait d'une mesure de curatelle renforcée prononcée par un jugement du 23 novembre 2023 pour une durée de cinq ans (C. civ., art. 441). Par conséquent, il était « inéligible à la date du premier tour de scrutin » et « n'aurait pas dû participer en tant que candidat à ce scrutin » (§ 2 de la décision).

Bien qu'inéligible par la loi, Monsieur X a recueilli un nombre significatif de voix au premier tour (plus de 32 %), le plaçant en position de se maintenir au second tour. Sa présence a eu un impact direct sur la stratégie des autres candidats, forçant même une candidate à se désister en faveur d'une autre. Malgré qu'il n'ait pas remporté l'élection, le Conseil constitutionnel a jugé que la présence de Monsieur X, en dépit de son inéligibilité, avait "affecté de manière déterminante la répartition des voix exprimées par les électeurs" en raison du nombre de suffrages qu'il avait obtenus.

Par conséquent, et malgré le fait que cette inéligibilité n'était pas imputable à la candidate finalement élue, le scrutin a été annulé. Cette décision confirme que l'inéligibilité d'un candidat peut entraîner l'insincérité du scrutin, même si ce candidat n'est pas l'élu. L'inéligibilité est donc une condition nécessaire mais pas toujours suffisante pour annuler une élection ; c'est l'impact de cette inéligibilité sur le déroulement et le résultat du scrutin qui est déterminant.

Vers une révision de la procédure de déclaration de candidature ?

Cette annulation met en lumière la nécessité d'améliorer les procédures de déclaration de candidature afin d'éviter de telles situations à l'avenir.

Actuellement, le Code électoral interdit aux préfets d'enregistrer la candidature d'une personne inéligible. Cependant, aucune disposition légale n'impose aux candidats de fournir une copie de leur acte de naissance lors du dépôt de candidature, acte qui pourrait pourtant révéler l'existence d'une mesure de protection juridique. La présence d'une mention au Répertoire Civil sur l'acte de naissance, si elle indique l'existence d'une curatelle, tutelle ou habilitation familiale, n'est pas toujours suffisante à elle seule pour déterminer l'inéligibilité, car seules les curatelles et tutelles l'entraînent.

Pour garantir la régularité des scrutins et éviter de futures annulations coûteuses et complexes, le professeur Gilles RAOUL-CORMEIL envisage plusieurs pistes d'amélioration :

  • Exiger une attestation sur l'honneur des candidats certifiant qu'aucune mesure de curatelle ou de tutelle n'a été prononcée à leur encontre. 

  • Étudier la possibilité d'un accès encadré aux informations pertinentes du fichier national dématérialisé des mesures de protection juridique. Ce fichier, tenu et alimenté par les procureurs de la République, pourrait potentiellement fournir aux autorités préfectorales les informations nécessaires pour vérifier l'éligibilité des candidats, tout en respectant strictement les principes de protection des données personnelles.

Cet auteur conclut que de tels ajustements permettraient de renforcer la sécurité juridique des processus électoraux et d'assurer que seuls les candidats éligibles puissent se présenter aux suffrages des citoyens.

En conclusion

La décision du Conseil constitutionnel sur l'élection du Jura souligne avec force l'importance cruciale de l'inéligibilité des candidats dans la garantie de la sincérité des scrutins. Au-delà du cas particulier des majeurs protégés, cette affaire met en exergue la nécessité pour notre cadre électoral de s'adapter et de renforcer les mécanismes de contrôle en amont des élections. Une meilleure coordination entre les instances judiciaires et administratives, conjuguée à une responsabilisation accrue des candidats, est essentielle pour préserver la légitimité démocratique et la confiance des citoyens dans nos institutions représentatives.


Claudia CANINI

Avocat - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com


Sources :

  • Cons. const., 13 févr. 2025, n° 2024-6431 AN, Jura, 2e circonscription

  • Revue Juridique Personnes et Famille, N° 299, 1er avril 2025

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