Cass. 2e civ., 9 juill. 2020, n° 19-14.051, Publié au bulletin.
Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CASS/2020/JURITEXT000042128055
Dans un arrêt du 9 juillet 2020, la Cour de cassation a mis un coup d’arrêt à une pratique méconnue qui concerne un grand nombre d’artisans et commerçants en activité ou retraités ayant cotisé avant 2009, au régime complémentaire de retraite des professions artisanales, industrielles et commerciales, fusionné par la suite avec les autres régimes indépendants en 2006 puis avec le régime général en 2018.
Le cas d’espèce, qui a donné lieu à cet arrêt faisant l’objet d’une publication au Bulletin d’information de la Cour de Cassation, concernait un artisan qui, après une carrière en tant que salarié, avait créé le 1er avril 1999 en son nom personnel, une activité de dératisation et désinsectisation.
Dans ce cadre, il avait été affilié, s'agissant de son régime de retraite de base et complémentaire obligatoire, auprès de la « Caisse d'Assurance Vieillesse des Artisans » devenue en juillet 2006 la Caisse de retraite du RSI.
Quinze années plus tard, en prévision de son départ en retraite, le RSI a fourni à cet artisan un relevé de carrière sur lequel ne figurait aucun revenu déclaré entre la date de son début d’activité en 1999 et l’année 2011.
Ayant formé un recours amiable puis saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale pour solliciter un recalcul de ses droits à retraite, l’artisan avait sollicité de la part du RSI la preuve des cotisations réellement versées par année. En effet, le demandeur avait gardé la trace de ses déclarations de revenus mais pas des versements effectués.
Il est rappelé que la retraite complémentaire des artisans se calcule en points. En fonction des cotisations versées, un certain nombre de points sont acquis chaque année. La valeur du point varie suivant sa date d'acquisition.
Au jour de la retraite, le nombre de points obtenus est multiplié par la valeur du point afin de déterminer le montant de la pension.
Après que le RSI a édité plusieurs tableaux différents dans le cadre des débats devant les juges de première instance, sans réellement apporter la preuve des cotisations encaissées, celui-ci proposait de reconstituer le nombre de points par rapport au montant présumé cotisé chaque année sur la base du revenu de l’année N-2.
L’artisan demandait au contraire dans ses conclusions que, dans le cadre de cette reconstitution des cotisations versées, l’assiette des cotisations soit basée sur le revenu effectif au cours de l’année en question et non celui de l’année N-2.
Pour affirmer que la cotisation annuelle est appelée à titre définitif sur le revenu de l’année N-2, le RSI jouait sur l’ambiguïté de la rédaction de l’article D. 635-2 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable avant le 29 décembre 2008 qui prévoyait que :
« La cotisation annuelle au régime complémentaire obligatoire d'assurance vieillesse est assise sur les revenus de l'avant-dernière année, tels que définis par l'article L. 131-6. »
Or à l’occasion d’une réforme du 22 décembre 2008, le texte de l’article D. 635-2 avait été modifié de la sorte :
« La cotisation annuelle au régime complémentaire obligatoire d'assurance vieillesse est calculée suivant les modalités prévues au cinquième alinéa de l'article L. 131-6. »
Toutefois, que l’on se place sous l’empire du premier ou du second de ces textes, dans les deux cas, l’article L.131-6 du code de la sécurité sociale auquel il est fait renvoi, prévoyait bien que :
« Les cotisations sont établies sur une base annuelle. Elles sont calculées, à titre provisionnel, en pourcentage du revenu professionnel de l'avant-dernière année ou des revenus forfaitaires. Lorsque le revenu professionnel est définitivement connu, les cotisations font l'objet d'une régularisation. »
Le RSI pouvait appuyer sa position sur une jurisprudence des juridictions de fond qui lui était majoritairement favorable, comme le démontre un arrêt très pédagogique en date du 16 décembre 2008 rendu par la Cour d’appel de VERSAILLES :
« Considérant que (…) les cotisations du régime complémentaires d’assurance vieillesse et des régimes obligatoires d’assurance invalidité décès sont assises sur le revenu professionnel défini à l’article L.131-6 (…) ;
Que la référence à l’article L.131-6 reprise par les articles D.635-2 et D. 635-12, ne vise que la définition de l’assiette des cotisations ;
Que cette combinaison permet d’écarter du champ d’application de l’article L.131-6 toutes les autres dispositions et notamment celles du 4ème alinéa relatif au caractère provisionnel de la cotisation d’assurance vieilles du régime de base ;
Qu’ainsi à aucun moment il n’est renvoyé à l’article L.131-6 dans son intégralité ;
(…)
Que la rédaction des articles D.635-2 et D. 635-2 indiquant que les cotisations de ces régimes sont assises sur les revenus de l’avant dernière année tels que définis à l’article L. 136-6, signifie, à défaut de toute référence à un éventuel calcul provisionnel, que lesdites cotisations sont calculées à titre définitif sur les revenus de l’année n-2 » (CA VERSAILLES, Ch 5A, 16 décembre 2008, n°07/03538).
Cependant en 2014, dans une affaire née à l’occasion d’un recouvrement de cotisations par le RSI, la Cour de cassation avait commencé à ébranler cette jurisprudence en considérant que l’appel des cotisations d’assurance vieillesse n’étaient dues qu’à proportion du revenu professionnel définitivement établi pour l’année 2008 et non sur la base du revenu de l’année n-2 (Cass 2ème Civ, 10 juillet 2014, n°13-21369).
Il restait donc, dans notre affaire, à déterminer si le raisonnement s’appliquait en matière de calcul des points de retraite complémentaire. Et, la Cour d’appel de PARIS, appelée à statuer en cause d’appel, décidât, dans un arrêt du 25 janvier 2019, de débouter l’artisan de ses demandes en maintenant la jurisprudence de sa sœur versaillaise et contredisant ainsi le raisonnement adopté par la Cour de Cassation en matière de recouvrement de cotisations :
« En effet, M. C… conteste le calcul de la cotisation annuelle calculée par le régime social des indépendants en établissant le montant de la cotisation annuelle qu’il aurait dû régler jusqu’en 2013 et en demandant la régularisation, afin que soit recalculé le nombre de points et donc de trimestres validés au titre du régime de retraite complémentaire.
Jusqu’au 31 décembre 2008, l’article D.635-2 du code de la sécurité sociale dans sa version alors applicable, prévoyait que le montant de la cotisation annuelle des artisans du régime complémentaire était calculée sur la base du revenu de l’année N-2, sans régularisation sur la base du revenu de l’année N, c’est à dire du revenu réel.
(…)
Ainsi, le régime social des indépendants justifiant du détail des points acquis au titre de ces années, il apparaît que les demandes de M. C… au titre d’une régularisation pour les années 2001 à 2008 ne sont pas fondées et qu’il ne peut y être fait droit. »
Il était donc particulièrement justifié de solliciter de la part de la juridiction suprême de l’ordre judiciaire qu’elle clarifie la question face à ce qui avait tout l’air d’être une fronde de la part des juridictions de fond.
A l’occasion des débats devant la Haute juridiction, par le truchement de son avocat à la Cour de cassation, le RSI fut amené à relativiser la portée de l’arrêt précédemment adopté par la haute juridiction mentionné précédemment (Cass 2ème Civ, 10 juillet 2014, n°13-21369) de la manière suivante :
« Il est vrai qu’il a ensuite été jugé que des cotisations de retraite complémentaire assises sur des revenus de l’année 2008 devaient néanmoins être : « calculées sur la base du revenu réel d'activité 2008 » dès lors que celui-ci se trouvait alors : « définitivement établi » (Civ. 2ème, 10 juillet 2014, n° 13-21369).
Mais cet arrêt signifie, non pas que la régularisation telle que prévue par l’article L 131-6 devrait s’appliquer à de telles cotisations assises sur des revenus antérieurs à 2009, mais seulement que le calcul de ces cotisations doit s’effectuer, par dérogation aux dispositions de l’article D 635-2 antérieures au décret n° 2008-1427 du 22 décembre 2008, non pas sur la base du revenu de l’avant dernière année, mais sur celle du revenu réel de l’année dans le cas où celui-ci est définitivement établi au moment de l’appel desdites cotisations. »
Cette position était relativement fragile en ce qu’elle suggérait que le montant des cotisations définitives, et par extension, le nombre de points de retraite complémentaire acquis, puisse être différent selon que lesdites cotisations soient appelées avant ou après la date à laquelle le revenu de l’année en cours est définitivement connu. De surcroît, cet argument se confrontait à un obstacle pratique car le revenu de l’année N ne peut en réalité jamais être connu avant la déclaration faite en année N+1, de telle sorte que les cotisations de l’année en cours ne peuvent pas être appelées avant que le revenu réel soit connu.
Ainsi, ce raisonnement n’a pas été suivi par la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 9 juillet 2020 (pourvoi n°19-14051), a jugé que :
« Vu les articles L. 131-6 et D. 635-2 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, le second dans sa rédaction antérieure au décret n° 2008-1427 du 22 décembre 2008 :
Selon le premier de ces textes, auquel renvoie le second pour la détermination de la cotisation annuelle au régime complémentaire obligatoire d'assurance vieillesse, les cotisations des professions artisanales, industrielles ou commerciales, assises sur le revenu professionnel et établies sur une base annuelle, sont calculées, à titre provisionnel, en pourcentage du revenu professionnel de l'avant-dernière année et font l'objet d'une régularisation lorsque le revenu professionnel est définitivement connu.
Pour débouter l'assuré de toutes ses demandes, l'arrêt énonce que jusqu'au 31 décembre 2008, l'article D.635-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, prévoyait que le montant de la cotisation annuelle des artisans du régime complémentaire était calculé sur la base du revenu de l'avant-dernière année, sans régularisation sur la base du revenu réel.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application, le second par fausse application. »
En prenant cette décision, la Cour de cassation a respecté l’orientation d’ores et déjà arrêtée concernant le régime de retraite applicable à la CIPAV :
« Selon les dispositions de l'article L. 642-2, alinéa 3, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi n 2011-1906 du 21 décembre 2011, qui sur ce point se suffisent à elles-mêmes, les cotisations des assurés relevant de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales sont calculées, chaque année, à titre provisionnel, en pourcentage du revenu professionnel de l'avant-dernière année ou des revenus forfaitaires, et font l'objet, lorsque le revenu professionnel est définitivement connu, d'une régularisation. Doit, dès lors, être cassé le jugement qui, pour rejeter la demande de régularisation présentée, au titre de la dernière année d'exercice, par une assurée ayant cessé toute activité, relève que si la régularisation est expressément visée au troisième alinéa de l'article L. 642-2, comme à l'alinéa 4 de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, et qu'elle doit être effectuée sur la base du revenu tel que retenu par l'administration fiscale, il résulte des termes de l'article D. 642-6 du même code que celle-ci ne peut intervenir si l'assuré n'exerce aucune activité relevant de la section professionnelle au titre de laquelle la régularisation aurait dû être opérée. » (Civ 2e , 27 novembre 2014, n° 13-21.556)
« Selon les dispositions de l'article 3 du décret n 79-262 du 21 mars 1979 modifié relatif au régime complémentaire des professions libérales que "la cotisation du régime d'assurance vieillesse complémentaire est obligatoirement due en sus de la cotisation du régime de base des professions libérales (...); elle est versée à la section professionnelle dans les mêmes formes et conditions que la cotisation dudit régime de base". Il en résulte que les cotisations de retraite complémentaire calculées à titre provisionnel doivent être régularisées par la caisse une fois le revenu professionnel définitivement connu » (Civ 2 , 15 juin 2017, pourvoi n 16-21.372, Bull. 2017, II, n 138 ; également, en ce sens, Civ 2 , 25 janvier 2018, pourvoi n 17-11343; 17-10833; 15 février 2018, pourvoi n 17-15150;)
La portée pratique de cette décision concerne les indépendants se trouvant dans deux cas de figure :
- Ceux qui, avant 2009 ont subi des recouvrements de cotisations calculés par rapport à une assiette constituée du revenu N-2, et dont l’assiette n’a jamais été régularisée une fois le revenu de l’année N connu dès lors que le revenu de l’année N est inférieur à celui de l’année N-2. Ils peuvent, dans la limite du délai de prescription, en demander remboursement.
- Ceux qui, dans les deux mois de la décision de la Caisse liquidant leur pension de retraite, constatent que le revenu pris en compte pour l’attribution des points de retraite complémentaire, ne correspond pas au revenu définitif déclaré pour les années antérieures à 2009. Un recours devant la commission de recours amiable est dès lors envisageable.
Même s’il entraine un risque financier évident pour le régime de sécurité sociale, cet arrêt doit être salué dans la mesure où il met fin à une disparité de traitement entre les cotisants des différents régimes de retraites ; différence qui n’était justifiée que par une interprétation alambiquée d’un texte spécifique au régime des artisans et commerçants et, de surcroît, pris dans sa version applicable à une période restreinte.
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