L’on sait que la causalité médicale est parfois tenue, de sorte que la causalité médicale ne conditionne dès lors pas la causalité juridique.

 

 

Face à ces incertitudes scientifiques qui relèvent de la nature particulière de la responsabilité médicale et hospitalière, la jurisprudence fait donc application de la notion de perte de chance.

 

 

De longue date, la Cour de cassation considère que :

 

 

« Un préjudice peut être invoqué du seul fait qu'une chance existait et qu'elle a été perdue ». [1]

 

 

De la même manière, le Conseil d’Etat admet régulièrement que :

 

 

« Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ». [2]

 

 

Cette méthode s'applique non seulement à la victime directe en cas de perte de chance de guérison ou de survie, mais aussi aux victimes par ricochet. [3]

 

 

Il est particulièrement nécessaire, au-delà des incertitudes médicales, de faire application de cette notion car par essence, il est impossible de savoir quelle aurait été l’évolution médicale du patient si un retard de diagnostic ou de prise en charge n’avait pas eu lieu.

 

 

Il est constant que, du fait de ce retard de diagnostic ou de prise en charge, le patient a été nécessairement privé d’une chance d’évolution favorable, sauf à ce que soit rapportée la preuve d’une absence formelle de tout lien entre cette erreur et les préjudices du patient [ce qui en l’espèce n’est absolument pas le cas].

 

 

Dans une décision du Conseil d’Etat du 29 septembre 2010 (n°323148), la haute juridiction a censuré la Cour administrative d’appel pour avoir d’emblée rejeté la demande d’une patiente, victime d’une ischémie aiguë avec paralysie sensivo-motrice du mollet et dont le traitement anticoagulant n’avait pu être administré que 9 heures après le début des troubles :

 

 

« Considérant que, pour juger que le retard apporté à l'administration d'un traitement anticoagulant n'avait pas fait perdre à la patiente une chance d'éviter l'amputation, la cour a relevé qu'en présence d'une ischémie sensitivo-motrice distale confirmée, les traitements sont le plus souvent voués à l'échec et que l'administration immédiate d'anticoagulants n'aurait apporté aucune certitude de réussite quant à l'embolectomie qui s'est déroulée par la suite ; qu'en se fondant sur de tels motifs, qui impliquaient l'existence d'une possibilité, même limitée, d'efficacité du traitement, pour nier l'existence d'une quelconque perte de chance, la cour a commis une erreur de droit. »

 

 

Dans une autre décision rendue le 17 janvier 2011 (n° 327429), le Conseil d’Etat a censuré la Cour administrative d’appel pour avoir rejeté la perte de chance, sans vérifier si l’état de la patiente au moment de sa prise en charge était déjà irréversible. La patiente, qui avait bénéficié de la pose d’un anneau gastrique, s’est présentée aux urgences pour des douleurs épigastriques soudaines et violentes. Un dégonflage partiel de l'anneau est réalisé, et elle est autorisée à regagner son domicile sans qu'il soit procédé à une vérification du transit oeso-gastrique. Elle se présente de nouveau aux urgences pour réapparition des douleurs et subit une gastrectomie totale. Les juges du fond ont condamné l’hôpital pour ne pas avoir procédé en urgence, dès la première admission, à une intervention chirurgicale. Ce jugement est annulé par la cour administrative d'appel. Un pourvoi est alors formé par la patiente.

 

 

La Haute juridiction considère que :

 

 

« Pour écarter toute responsabilité du centre hospitalier dans le processus ayant conduit à l'ablation de l'estomac de la requérante, la cour administrative d'appel a jugé qu'alors même que ce dernier a fait l'objet d'un infarcissement veineux qui, à la différence d'une ischémie artérielle, peut-être plus longtemps toléré et régresser spontanément après la levée du garrot sans provoquer une nécrose tissulaire dans un bref délai, cet organe était totalement nécrosé quelques heures seulement après que n'apparaissent les douleurs épigastriques révélatrices d'une aphagie ; que par suite, eu égard à cet aléa thérapeutique exceptionnel, l'éventuel retard fautif à opérer dont se serait rendu coupable l'hôpital (...) n'a pas fait perdre à Mme A. une chance d'éviter l'ablation totale de son estomac ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, au moment où la requérante aurait dû pouvoir bénéficier d'une intervention chirurgicale, la nécrose de son estomac présentait déjà un caractère irréversible, rendant inéluctable une gastrectomie totale, la cour administrative d'appel n'a pas légalement justifié sa décision. »

 

 

Dans une autre affaire, une patiente était décédée des suites d’une grippe maligne et ses ayants droits ont alors recherché la responsabilité du médecin traitant. Les juges de première instance les avaient déboutés de leurs demandes et la Cour d’appel bien qu’ayant constaté que la faute du médecin avait eu pour effet de retarder la prise en charge de la patiente, et lui avait fait perdre une chance de survie, avait écarté toute réparation.

 

Les Juges du fond retenaient que si le médecin avait délivré des soins consciencieux, attentifs et diligents, l’hospitalisation serait intervenue plus tôt, mais qu’il était extrêmement difficile de dire si l’évolution de la pathologie eût été différente et aurait évité la dégradation brutale et le décès de la patiente dans la mesure où la cause du syndrome de détresse respiratoire aigüe dont elle était décédée n’avait pu être déterminée.

 

 

Dans leur pourvoi dirigé contre cet arrêt, les ayants droit de la victime, invoquant une violation de l’article 1147 du code civil, ont soutenu que la faute du médecin qui n’avait pas procédé à l’hospitalisation de la patiente en temps utile, lui avait fait perdre une chance de survie.

 

 

La Cour de cassation censure les juges du fond, au visa de l’article L. 1142-1, I, du code de la santé publique et rappelle que :

 

 

« La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable, de sorte que ni l’incertitude relative à l’évolution de la pathologie, ni l’indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n’étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de la victime, et la perte d’une chance de survie pour cette dernière. »[4]

 

 

L’incertitude est donc indifférente, dès lors que les juges constatent l’existence d’une chance de guérison ou de survie perdue, puisque que c’est à l’égard de cette seule chance perdue et non du préjudice final, que le lien de causalité doit être appréhendé.

 

 

Ainsi, non seulement la perte de chance :

 

 

« Implique seulement la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain »[5].

 

 

Mais encore :

 

« Une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que sa réparation ne peut être écartée que s'il peut être tenu pour certain que la faute n'a pas eu de conséquence sur l'état de santé du patient ».[6]

 

Besoin de conseils : Appelez-moi au 02.40.89.00.70, ou prenez contact au moyen du formulaire de contact afin qu’une réponse vous soit apportée dans les meilleurs délais.

 

Maître Vincent RAFFIN, Avocat Associé au sein du cabinet BRG Avocats [Nantes-Paris], et responsable du Département droit médical et dommages corporels, vous conseille, vous assiste et vous accompagne avec son équipe de collaborateurs et de médecins-conseils sur toute la France, en métropole comme en outre-mer.

 

Consultez d'autres articles sur le même thème ou sur un thème voisin du domaine de Maitre Vincent RAFFIN.

 

http://www.brg-avocats.fr/

Et

https://consultation.avocat.fr/blog/vincent-raffin

 


[1] Cass. 1re civ. 27 janv. 1970 n° 68-12.782

[2] CE 21 décembre 2007 n°289328 ; CE 6 mai 2021 n°428154 

[3] CE 21 mars 2008 n° 266154

[4] Cass., Civ., 2ème, 14.10.2010, n°09-69195.

[5] Cass., 07.04.2016, n°1514888.

[6] Cass.civ., 22 juin 2017, 16-21296 ; Cass., Civ., 2ème, 5 juillet 2017.