La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 janvier 2025 (Cass. crim., 14 janvier 2025, n° 23-85.490), a tranché une question cruciale quant au champ d’intervention des associations de protection de l’environnement dans la procédure de référé environnemental prévue par l’article L. 216-13 du code de l’environnement. Elle pose de manière explicite que seules deux parties disposent du droit d’agir (ou de poursuivre l’instance) dans ce cadre :
- Le procureur de la République ;
- La personne “concernée”, entendue comme celle à l’encontre de qui le juge des libertés et de la détention (JLD) est susceptible d’ordonner les mesures utiles prévues par la loi.
De facto, et comme l’illustre l’affaire en question, les associations de protection de l’environnement ne sauraient se voir reconnaître la qualité pour agir en appel, notamment lorsqu’elles entendent poursuivre l’exécution forcée (ou la liquidation d’une astreinte) de mesures d’urgence qui avaient, à l’origine, été demandées par le procureur de la République à leur sollicitation.
Cette décision consacre ainsi l’interprétation stricte de l’article L. 216-13 du code de l’environnement. Pour rappel, ce texte dispose notamment que « le juge des libertés et de la détention peut, sur réquisition du procureur de la République ou de la personne concernée, ordonner toutes mesures utiles… ». La Cour de cassation fait donc prévaloir la lettre même de la loi sur toute interprétation plus large susceptible de permettre à des associations tierses d’intervenir directement.
Contexte procédural et faits de l’espèce
- Une association agréée de protection de l’environnement avait saisi le juge des libertés et de la détention sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, afin de solliciter la liquidation de l’astreinte prononcée à l’encontre d’une communauté de communes.
- Or, cette astreinte et les mesures d’urgence en question avaient initialement été demandées par le procureur de la République, sur requête de ladite association.
- Le JLD a estimé que l’association ne disposait pas de la qualité pour agir elle-même, et a donc déclaré irrecevable sa requête : l’association a fait appel de cette décision.
- La cour d’appel a confirmé l’irrecevabilité, et la Cour de cassation, par son arrêt, entérine définitivement cette position.
Il ressort du raisonnement de la Haute juridiction que lorsque la loi attribue une prérogative procédurale spécifique au procureur de la République ou à une “personne concernée” (dans le cadre de l’article L. 216-13), il n’y a pas lieu de l’étendre par analogie à d’autres entités, fussent-elles associations engagées dans la défense de l’environnement.
Incidences concrètes de la décision
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Limitation de l’accès au juge pour les associations
- La première conséquence immédiate tient dans la restriction pratique imposée aux associations de protection de l’environnement : elles devront désormais recourir systématiquement à l’intermédiaire du procureur de la République pour initier ou poursuivre les mesures d’urgence fondées sur l’article L. 216-13.
- En d’autres termes, si le procureur décide de ne pas donner suite à une demande d’exécution ou de liquidation d’astreinte, l’association ne disposera d’aucune voie de recours autonome.
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Renforcement du monopole de l’action du ministère public
- Le mécanisme du référé environnemental (ou “référé pénal environnemental”) se veut une procédure d’urgence, confiée tout particulièrement au parquet, pour mettre fin à des atteintes graves à l’environnement.
- Les associations, qui demeurent bien souvent des lanceurs d’alerte et des vigies environnementales, se trouvent cantonnées à un rôle d’information et de pression sur le parquet, plutôt que d’action autonome devant le juge.
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Compatibilité avec d’autres voies procédurales
- Cette décision n’anéantit pas, pour autant, toutes les possibilités d’action des associations :
- Elles peuvent toujours agir au civil, dans le cadre du référé civil classique (article 809 du code de procédure civile) ou de l’action en responsabilité, sous réserve des conditions de recevabilité (intérêt à agir, objet du litige, etc.).
- Elles peuvent également déposer plainte au pénal, se constituer partie civile pour certains délits environnementaux ou encore intervenir en justice au titre de leur agrément (articles L. 142-2 et suivants du code de l’environnement), sous réserve que la loi leur ouvre expressément cette faculté.
- Ainsi, la décision de la Cour de cassation ne doit pas être interprétée comme un renoncement total à la protection de l’environnement mais comme une délimitation stricte de la procédure particulière de l’article L. 216-13.
- Cette décision n’anéantit pas, pour autant, toutes les possibilités d’action des associations :
Évaluation critique
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Un revers pour les associations, prévisible ou surprenant ?
- Pour certains acteurs, il s’agit d’une “mauvaise surprise”, car l’esprit du droit de l’environnement tend de plus en plus à encourager la participation de la société civile. Le code de l’environnement a en effet multiplié les cas d’ouverture de l’action en justice aux associations agréées, soucieuses de préserver la qualité et la sécurité environnementales.
- Toutefois, d’un point de vue purement légaliste, la solution apparaît cohérente avec la lettre de l’article L. 216-13, lequel ne vise que le procureur de la République et la “personne concernée”. Or, dans un contexte de procédure pénale d’urgence (référé pénal), il est compréhensible que le législateur ait voulu confier ces prérogatives à l’autorité judiciaire et à la personne poursuivie, plutôt qu’aux associations.
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Un effet d’éviction ou une clarification salutaire ?
- L’arrêt apporte une clarification bienvenue sur l’articulation entre l’action du parquet et la participation de tiers, mais il peut générer une certaine frustration pour les associations qui verront leur champ d’action réduit dans le cadre précis de l’article L. 216-13.
- En revanche, elles conservent leur droit d’exercer une pression auprès du parquet pour que celui-ci agisse, ou d’engager d’autres procédures lorsque la loi leur reconnaît la qualité pour agir.
Perspectives et conseils pratiques
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Collaborer en amont avec le parquet
- Pour contourner l’irrecevabilité, il est plus que jamais essentiel pour les associations de protéger l’environnement de coopérer étroitement avec le procureur de la République et d’étayer leurs plaintes ou signalements avec des éléments sérieux.
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Utiliser d’autres fondements légaux
- Les associations pourront opter pour des référés civils ou administratifs lorsque cela est opportun, afin de faire cesser les troubles environnementaux graves.
- Les dispositions du code de justice administrative (articles L. 521-1 et suivants) permettent aussi de solliciter le juge administratif dans certains conflits où l’inaction d’une autorité publique nuit à l’environnement.
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Soutenir les évolutions législatives
- Les associations pourraient, à l’avenir, plaider pour une modification des articles du code de l’environnement relatifs au référé pénal environnemental, afin d’ouvrir explicitement la faculté d’agir aux associations agréées, sur le modèle de certaines dispositions existantes en droit de l’environnement (e.g. action en cessation d’agissements nuisibles à l’environnement).
Conclusion
Au terme de cette décision, la Cour de cassation confirme donc, en parfaite conformité avec la lettre du texte, que la procédure de référé prévue à l’article L. 216-13 du code de l’environnement reste l’apanage du ministère public et de la seule personne visée par les mesures d’urgence. D’un point de vue pratique, ce positionnement entraîne pour les associations une restriction regrettable en apparence, mais qui n’est pas dénuée de cohérence au regard de la finalité répressive et coercitive de la procédure.
Il conviendra d’observer, à l’avenir, si la législation évolue vers une plus grande reconnaissance de la qualité à agir des associations, ou si ces dernières privilégient d’autres voies procédurales pour protéger efficacement l’environnement. L’arrêt du 14 janvier 2025 aura donc surtout le mérite de clarifier l’articulation procédurale et d’affirmer la nécessité, pour les associations, de recourir à des stratégies contentieuses alternatives lorsqu’elles souhaitent poursuivre la mise en œuvre d’astreintes prononcées en matière environnementale.
Références textuelles et jurisprudentielles
- Code de l’environnement, art. L. 216-13.
- Code de procédure pénale (dispositions relatives au procureur de la République et au juge des libertés et de la détention).
- Cass. crim., 14 janvier 2025, n° 23-85.490.
- Sur les actions en justice des associations agréées : Code de l’environnement, art. L. 142-2 et suivants.
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