Le bail commercial occupe une place singulière dans l’univers des contrats régissant les activités professionnelles. Il organise non seulement la mise à disposition d’un local mais structure également l’exploitation d’un fonds de commerce, la pérennité d’une clientèle et, plus largement, l’équilibre économique d’une entreprise. Dans ce cadre, les obligations du bailleur commercial revêtent un caractère central : elles déterminent les conditions dans lesquelles le preneur pourra exercer son activité, garantir l’accueil du public, assurer la sécurité des lieux et respecter les normes applicables.
Ces obligations s’appuient principalement sur les articles 1719 et suivants du Code civil, mais également sur les règles impératives issues du Code de commerce et de la loi dite « Pinel » du 18 juin 2014, venue renforcer la transparence du contrat et limiter certaines clauses abusives. L’ensemble de ces textes impose au bailleur un faisceau d’obligations interdépendantes, dont le non-respect peut entraîner des conséquences particulièrement lourdes : suspension du paiement du loyer, action en responsabilité, résiliation du bail commercial, voire remise en cause du droit au renouvellement.
L’analyse qui suit expose de manière détaillée les principales obligations du bailleur commercial, leur portée, leurs limites ainsi que les mécanismes permettant au preneur d’en assurer le respect.
1. L’obligation de délivrance : fournir un local conforme et exploitable
1.1. Fondement légal et portée de l’obligation
Aux termes de l’article 1719, 1° du Code civil, le bailleur est tenu de « délivrer au preneur la chose louée ». Cette obligation, essentielle et d’ordre public, exige que le local soit remis en un état permettant immédiatement l’exercice de l’activité prévue au contrat. La délivrance ne se réduit pas à la remise des clefs : elle implique la conformité du local à sa destination, tant sur le plan matériel que juridique.
Le local doit ainsi être adéquat pour l’activité envisagée : un bail stipulant une activité de restauration impose un local permettant l’installation d’une extraction, l’accès au public et la conformité aux normes sanitaires. À défaut, il y aurait manquement à l’obligation de délivrance.
1.2. État du local et équipements nécessaires
Le bailleur doit remettre un bien en bon état d’usage et de réparations, conformément à l’article 1720 du Code civil. Cette exigence inclut le clos, le couvert, les accès, les installations électriques, la ventilation, les dispositifs de sécurité et tout élément indispensable à l’exploitation.
La jurisprudence rappelle régulièrement que la mise à disposition d’un local inexploitable ou dangereux constitue un manquement de nature à justifier la résiliation du bail ou la suspension du paiement du loyer.
1.3. Diagnostics et documents obligatoires
Le bailleur doit remettre plusieurs diagnostics techniques obligatoires :
- diagnostic de performance énergétique (DPE),
- état des risques et pollutions (ERP),
- diagnostic amiante pour les bâtiments concernés,
- information sur les charges récupérables et réparations supportées par le locataire.
Depuis la loi Pinel, un état des lieux d’entrée est obligatoire, afin de fixer précisément l’état du local et d’éviter toute présomption défavorable au preneur.
1.4. Conséquences du manquement
Selon sa gravité, un défaut de délivrance peut entraîner :
- suspension du paiement du loyer,
- réduction du loyer,
- exécution forcée des travaux,
- résiliation judiciaire du bail,
- indemnisation du preneur pour perte d’exploitation ou dépréciation de son fonds de commerce.
2. L’obligation d’assurer la jouissance paisible du local
2.1. Principe et contenu de l’obligation
L’article 1719, 3° du Code civil impose au bailleur de garantir au locataire une jouissance paisible du bien loué. Cette obligation couvre tant les troubles de droit (par exemple une contestation sur la propriété, l’existence d’une servitude non révélée) que les troubles de fait dont le bailleur est responsable.
La jouissance paisible suppose que le preneur puisse exercer son activité sans obstruction matérielle, administrative ou comportementale imputable au bailleur.
2.2. Exemples de troubles engageant la responsabilité du bailleur
Divers comportements ou situations constituent un manquement à cette obligation :
- travaux entrepris par le bailleur rendant l’accès au public impossible,
- nuisances provenant d’un autre local appartenant au même propriétaire et auxquelles il ne met pas fin,
- infiltrations persistantes ou défaillances structurelles non réparées,
- violation du règlement de copropriété par le bailleur empêchant le preneur d’utiliser les lieux normalement.
Dès lors que ces troubles affectent l’exploitation du fonds de commerce, la responsabilité du bailleur peut être engagée.
2.3. Troubles causés par des tiers
Lorsque les troubles proviennent d’un tiers, la responsabilité du bailleur n’est pas automatique. Cependant, si la situation présente un danger ou compromet l’exploitation, le bailleur doit intervenir auprès des organismes compétents ou du responsable du trouble. Son inertie peut constituer une faute.
2.4. Conséquences du manquement
Outre une action en cessation du trouble, le preneur peut demander :
- des dommages et intérêts,
- la résiliation du bail commercial,
- la réduction du loyer ou sa suspension temporaire.
3. L’obligation d’entretien et de réparation
3.1. Distinction entre grosses réparations et réparations locatives
L’article 1720 du Code civil impose au bailleur d’entretenir les locaux en état de servir à l’usage pour lequel ils ont été loués. Par ailleurs, l’article 606 définit les « grosses réparations » supportées exclusivement par le bailleur : travaux affectant la structure, la solidité, la toiture, les murs, les poutres, les réseaux principaux.
Le preneur reste responsable des réparations locatives et de l’entretien courant, sauf clause particulière.
3.2. Les travaux obligatoirement à la charge du bailleur
Relèvent notamment du bailleur :
- ravalement imposé par la vétusté,
- réparation ou remplacement de la toiture,
- consolidation des murs porteurs,
- réfection des réseaux collectifs,
- travaux de mise en conformité imposés par l’administration (sécurité incendie, accessibilité, réglementation ERP).
Ces obligations sont d’ordre public : toute clause les transférant au locataire serait réputée non écrite.
3.3. Limites au transfert des charges (loi Pinel)
Depuis 2014, le bailleur ne peut plus mettre à la charge du locataire :
- les grosses réparations de l’article 606,
- les travaux obligatoires liés à la mise en conformité,
- les charges, impôts et taxes ne pouvant être légalement récupérées.
Toute clause contraire est nulle.
4. Obligations complémentaires du bailleur commercial
Outre les obligations traditionnelles, le bailleur doit veiller à la conformité réglementaire du local tout au long du bail. Cela inclut :
- la sécurité incendie,
- l’accessibilité aux personnes handicapées,
- la performance énergétique,
- la remise des documents informatifs obligatoires (diagnostics, état des risques, répartition des charges).
Le défaut d’information peut engager la responsabilité du bailleur, notamment lorsqu’il conduit le locataire à exploiter un local à risques.
5. Impact des manquements sur la durée du bail et son renouvellement
Le non-respect des obligations du bailleur peut affecter directement le déroulement du bail commercial :
- action en exécution forcée,
- suspension du paiement du loyer,
- résiliation judiciaire,
- refus de renouvellement imputable au bailleur,
- indemnité d’éviction calculée sur la base du préjudice subi par le locataire.
Lorsqu’un manquement rend impossible l’exploitation du fonds, la résiliation peut être prononcée aux torts exclusifs du bailleur.
Conclusion : un cadre juridique protecteur du preneur
Les obligations du bailleur commercial regroupent un ensemble de devoirs précis : délivrance conforme, jouissance paisible, entretien du local, mise aux normes et information loyale du preneur. Leur respect est essentiel pour garantir la stabilité du contrat et la sécurité de l’activité commerciale exploitée dans les lieux.
Le preneur qui s’estime lésé dispose de nombreux leviers pour obtenir réparation ou faire cesser un manquement. À l’inverse, le bailleur diligent renforce l’attractivité de son patrimoine immobilier et sécurise la relation contractuelle sur la durée.
LE BOUARD AVOCATS
4 place Hoche,
78000, Versailles
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