Assurance de l'architecte : clause de non-garantie ou exclusion ?

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 23-13.820
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C300690
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 19 décembre 2024

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, du 02 février 2023

Président

Mme Teiller (président)

Avocat(s)

SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, SARL Gury & Maitre, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 décembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 690 F-D

Pourvoi n° X 23-13.820






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 DÉCEMBRE 2024

La société Advento, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 23-13.820 contre l'arrêt rendu le 2 février 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Mutuelle des architectes français (MAF), société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] [Adresse 1], représenté par son syndic la société AAGS, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la société Promobat, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La Mutuelle des architectes français a formé un pourvoi provoqué éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi provoqué éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SARL Gury & Maitre, avocat de la société Advento, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5], après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 2 février 2023), la société Promobat a acquis un immeuble dans lequel elle a exécuté des travaux et confié la réalisation de certains lots à d'autres entreprises, sous la maîtrise d'oeuvre de la société Cap architecture, désormais dénommée la société Advento, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).

2. Après l'établissement d'un règlement de copropriété, elle a vendu les différents lots de cet immeuble.

3. Se plaignant de désordres, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 5] (le syndicat des copropriétaires) a, après expertise, assigné la société Promobat, les constructeurs et l'assureur du maître d'oeuvre en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi provoqué éventuel

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

5. La société Advento et le syndicat des copropriétaires font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées à l'encontre de la MAF, alors :

« 1°/ que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police et que l'article 1-1 de la police souscrite par la société Advento auprès de la MAF a pour objet la garantie des conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques découlant de sa profession d'architecte, « telle que définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations » ; qu'il résulte des termes clairs et précis de cette clause que bénéficie de la garantie l'assuré dès lors qu'il exerce la profession d'architecte telle que cette profession est « définie » par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations et qu'elle n'indique pas que la garantie n'est acquise que si la prestation elle-même a été accomplie dans le respect de l'ensemble de la législation et la réglementation en vigueur à la date de son exécution ; qu'en estimant que l'architecte ne bénéficiait pas de la garantie à raison d'un manquement à son devoir d'indépendance à l'occasion de l'exécution de sa prestation, quand il restait exercer la profession d'architecte « telle que définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations », la cour, qui a fait une fausse application de l'article 1-1 de la police d'assurance, a ainsi violé l'article 1103 du code civil ;

2°/ qu'à supposer que l'article 1-1 de la police d'assurance puisse être lu comme subordonnant la garantie au respect par l'assuré de l'ensemble de la législation et la réglementation afférente à la profession d'architecte en vigueur à la date de l'exécution de sa prestation, il s'agirait alors d'une exclusion de garantie ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris qu'il n'y avait pas lieu de s'interroger sur le caractère formel et limité de la clause, quand il résultait de la lecture qu'elle en donnait qu'il s'agissait d'une exclusion de garantie, laquelle doit être formelle et limitée, la cour a violé l'article L.113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La MAF conteste la recevabilité du moyen à l'égard du syndicat des copropriétaires. Il soutient qu'en appel, celui-ci n'a pas contesté le refus de garantie opposé à la société Advento et discuté de la teneur des clauses du contrat d'assurance.

7. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt attaqué, est de pur droit.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1103 du code civil et L. 113-1 du code des assurances :

9. Aux termes du premier de ces textes, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

10. Il résulte du second que la clause qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque constitue une clause d'exclusion de garantie.

11. Pour rejeter les demandes formées contre la MAF, l'arrêt retient que la clause stipulant que le contrat avait pour objet de garantir l'adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations, ne crée pas un cas d'exclusion de garantie tenant aux circonstances particulières de réalisation du risque mais un cas de non-garantie.

12. Il relève, d'une part, que la société Advento n'avait pas exigé du maître de l'ouvrage qu'il souscrive une assurance dommages-ouvrage et dépose une demande de permis de construire, ne s'était pas inquiétée de l'état des existants, et se devait de mener à bien l'ensemble de ses missions, d'autre part, que ses défaillances et la convergence de sa position procédurale avec celle de la société Promobat caractérisaient une collusion entre le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre.

13. Il en déduit que les liens les unissant et leur recherche commune d'un intérêt financier immédiat n'avaient pas permis à la société Advento d'exercer son activité dans des circonstances normales, avec une indépendance suffisante vis-à-vis de sa cliente, telle que définie par le code de déontologie, ni de la conseiller ainsi qu'elle le devait, de sorte que le risque n'entrait pas dans les contours de la garantie d'assurance de la MAF.
14. En statuant ainsi, alors que les fautes retenues à la charge de la société Advento, peu important qu'elles caractérisent des manquements de l'architecte à ses obligations déontologiques, constituaient une circonstance particulière de la réalisation du risque, de sorte que l'assureur invoquait une exclusion de garantie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la Mutuelle des architectes français est fondée à opposer à la société Advento une clause de non-garantie, en ce qu'il déboute les parties de toutes leurs demandes ou recours à son encontre et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 2 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;

Condamne la Mutuelle des architectes français aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300690

Publié par ALBERT CASTON à 09:29  

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