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Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du mercredi 19 février 2014

N° de pourvoi: 13-11.178

Non publié au bulletin Cassation

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés de placements immobiliers Cifocoma 3 et Ficoma ont souscrit, par l'intermédiaire de leur mandataire la société SERCC, devenue la société Uffi Real Estate Asset Management, un contrat de réservation avec la société Valorim Limited, portant sur des locaux à usage de crèche, rédigé par la SCP notariale Rochelois-Besins-Benoit-Gougueheim, ayant donné lieu au versement de deux acomptes d'un montant de 200 000 euros chacun, le premier le 16 janvier 2004, le second le 15 avril 2004, puis d'une somme de 300 000 euros, en vertu de deux avenants du 3 septembre 2004 ; que le projet d'acquisition n'a pas abouti, la société Valorim Limited ayant été placée en liquidation judiciaire le 16 novembre 2006 ; que les sociétés Cifocoma 3 et Ficoma ayant vainement tenté de recouvrer les acomptes versés, la société Uffi Real Estate Asset Management leur a remboursé ces sommes avant d'être indemnisée par la société Axa France IARD, son assureur de responsabilité professionnelle ; que reprochant au notaire d'avoir manqué à son obligation de conseil en s'abstenant d'attirer l'attention des sociétés Cifocoma 3 et Ficoma sur les risques qu'elles encouraient en versant des acomptes sans aucune garantie, la société Axa France IARD a recherché sa responsabilité professionnelle ;

Attendu que la cour d'appel, après avoir écarté toute faute du notaire au titre du premier acompte versé puis relevé que ce dernier avait failli à son obligation de conseil, lors du règlement du 15 avril 2004 et des versements ultérieurs, en n'attirant pas l'attention des sociétés Cifocoma 3 et Ficoma sur les risques qu'elles encouraient en l'absence de garantie prévue à leur profit, a rejeté les demandes de la société Axa France IARD au motif que l'existence de garanties n'aurait pas permis, en tout état de cause, d'éviter le préjudice, la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la société Valorim Limited ayant en effet été clôturée pour insuffisance d'actif, sans aucune répartition en faveur des créanciers ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, dûment informées des risques encourus, les sociétés Cifocoma 3 et Ficoma, ou la société SERCC pour leur compte, n'auraient pas renoncé au versement d'acomptes complémentaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 novembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la SCP Rochelois-Besins-Benoit-Gougueheim et la société MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCP Rochelois-Besins-Benoit-Gougueheim et la société MMA IARD assurances mutuelles ; les condamne à payer à la société Axa France IARD la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf février deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD.

IL EST REPROCHE à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté la société AXA FRANCE IARD de la totalité de ses prétentions :

AUX MOTIFS QUE «- la société SERCC a adressé à l'étude notariale Rochelois le 13 janvier 2004 la télécopie suivante : « La SCI CIFOCOMA 3 va acquérir à terme des locaux à usage de crèche. Le promoteur la sté VALORIM LIMITED souhaite le versement d'un acompte de réservation.

Vous trouverez ci joint copie des différents documents à l'effet de rédiger de toute urgence un document notarié prévoyant le versement de cet acompte qui sera assorti d'un intérêt en faveur de la SCPI (4 %). Le notaire de Valorim limited est l'étude de maître Y... (clerc Mlle X...). »

- le 15 janvier 2004, l'étude notariale Rochelois a pris contact avec son confère, Maître Y... à l'effet d'obtenir divers documents nécessaires à la rédaction du contrat de réservation qu'elle avait mission d'établir,

- le 16 janvier 2004, la société CICOFOMA 3 a émis un chèque d'un montant de 200 000 euros en faveur de la société VALORIM LIMITED,

- le 8 avril 2004, la société VALORIM LIMITED et la société CICOFOMA 3 ont signé un contrat de réservation, établi par l'étude notariale Rochelois, visant notamment le versement de la somme de 200 000 euros effectué le 16 janvier 2004

- le 15 avril 2004, les mêmes parties ont signé un second contrat de réservation, mentionnant également le règlement d'une seconde somme de 200 000, exécuté le 15 avril 2004,

- les mêmes sociétés ont directement signé le 3 septembre 2004 deux avenants, prévoyant chacun, notamment, le versement d'une somme de 150 000 euros à valoir sur le prix définitif et ayant donné lieu à l'établissement de deux chèques distincts ;

Considérant qu'il résulte de la télécopie du 13 janvier 2004 que le document que le notaire avait pour mission de rédiger devait attester du versement par la société SERCC de l'acompte de 200 000 euros réclamé par la société VALORIM LIMITED ; que néanmoins, recevant la mission d'établir " un document notarié prévoyant le versement de cet acompte ", le notaire ne pouvait supposer que ce versement serait effectué avant même qu'il n'ait rédigé son acte et sans qu'il n'en soit préalablement informé par son client ; qu'au demeurant dans sa télécopie du 15 janvier 2004, adressée à son confrère Maître Y..., la SCP Rochelois Besins et associés écrivait : « La Société VALORIM LIMITED demande que ma cliente verse la somme de 200 000 euros lors de la signature du contrat » ; que dans ces conditions il ne peut être valablement reproché à l'étude notariale d'avoir manqué à son devoir d'information et de conseil en omettant d'attirer, dès la réception de la télécopie du 13 janvier 2004, l'attention de son client sur la nécessité, avant tout paiement de sa part, d'exiger une garantie de son co contractant ; Considérant en revanche, dès lors qu'elle a eu connaissance de ce règlement, constaté dans le contrat de réservation signé par la société VALORIM LIMITED et la société CIFOCOMA 3 le 8 avril 2004, la SCP Rochelois Besins et associés qui a établi un nouvel acte, signé par les deux sociétés le 15 avril suivant, à l'effet de constater un nouveau versement et qui n'a pas préalablement attiré l'attention de son client sur les risques qu'il encourait en l'absence de toute garantie prévue à son profit, tant lors de ce versement qu'a l'occasion de tout éventuel règlement ultérieur, a ainsi commis un manquement fautif à son devoir de conseil et d'information ; qu'il importe peu à cet effet que la SCP Rochelois Besins et associés ne soit pas intervenue directement dans les négociations menées par la SERCC et la société VALOREM LIMITED ; que le groupe UFFI SERCC soit un professionnel de l'immobilier et que les deux avenants du 3 septembre 2004 aient été signés directement entre les parties concernées, hors toute intervention de sa part et aient donné lieu à des paiements qu'elle a ignorés ; Considérant cependant qu'il ne peut pour autant être retenu que la faute de la SCP Rochelois Besins et associés est à l'origine directe d'un préjudice pour la société AXA FRANCE IARD, subrogée dans les droits de son assurée la société SERCC, d'avoir pu récupérer les sommes versées à la société VALORIM LIMITED ; qu'en effet, outre l'absence de toute déclaration de créance, tant par la société SERCC, que par la société AXA FRANCE IARD qui a indemnisé son assuré selon quittance subrogative des 25 mai 2007 et 18 avril 2008, il s'avère que la procédure de liquidation judiciaire directement ouverte le 16 novembre 2006 à l'encontre de la société VALORIM LIMITED a été, (courrier du 21 septembre 2012 émanant de Maître Belhassen, ès qualités de mandataire liquidateur), clôturée pour insuffisance d'actif sans aucune répartition aux créanciers, par un jugement rendu le 15 mai 2012 par le tribunal de commerce de Paris ; qu'il n'apparaît pas dans ces conditions que, même détentrice de garanties, la société SERCC aurait, à la suite des deux sommations adressées par voie d'huissier de justice le 14 juin 2006 par les sociétés CIFOCOMA 3 et FICOMA d'avoir à leur payer, respectivement les sommes de 379 802 euros et 378 531 euros, été en mesure de récupérer totalement, voire pour partie, le montant de sa créance et ceci avant même que la société VALORIM LIMITED ne soit mise en liquidation judiciaire ; que la société AXA France IARD reconnait au demeurant dans ces conclusions (page 22) que la société VALORIM LIMITED se trouvait en état d'insolvabilité dès lors que plusieurs des chèques qu'elle avait émis au cours du mois de septembre 2006 avaient été rejetés pour absence de provision » ;

ALORS QUE les notaires sont tenus d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur les conséquences et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique et de les mettre en garde concernant l'opportunité économique de l'opération ; que la Cour d'appel, qui a constaté que la SCP ROCHELOIS BESINS BENOIT GOUGUENHEIM avait manqué à son devoir de conseil et d'information à l'égard de la société SERCC, mandataire des sociétés CICOFOMA 3 et FICOMA et qui a écarté la responsabilité du notaire faute de lien de causalité avec le dommage sans rechercher, malgré les conclusions qui l'y invitaient (conclusions signifiées le 25 septembre 2012, p. 19, 20), si, dument averties dès le 13 janvier 2004 et à tout le moins entre le 13 janvier 2004 et le 15 janvier 2004 des risques évidents de non remboursement qu'elles encouraient en versant des acomptes à la société VALORIM sans garantie de remboursement, les sociétés CICOFOMA 3 et FICOMA n'auraient pas soit obtenu des garanties efficaces, soit renoncé aux opérations projetées, évitant tout préjudice ou le limitant à la perte de chance d'obtenir le remboursement de la somme de 200. 000 ¿ versée le 16 janvier 2004, a privé de base légale sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil.