Comprendre la notion de valeur locative

En renouvellement de bail commercial, le juge fixe le loyer « à la valeur locative » lorsque les parties demeurent désaccordées (C. com., art. L 145-33). Cette valeur n’est pas abstraite : elle se détermine par corrélation entre les caractéristiques du local, l’activité exercée, les prix du voisinage et, surtout, « les obligations respectives des parties ».

 

L’énumération réglementaire (art. R 145-8) précise que toute obligation supplémentaire imposée au locataire, sans contrepartie, constitue un facteur de diminution. Encore faut-il qu’il s’agisse réellement d’une charge nette.

 

Dans le cadre d'un renouvellement ou d'une négociation de bail commercial, il est recommandé de faire appel à un avocat spécialisé en baux commerciaux à Versailles.

 

Les loyers d’avance dans le Code de commerce

Le législateur a encadré, depuis 1953, la pratique des paiements anticipés. Aux termes de l’article L 145-40 :

 

« Les loyers payés d’avance (…) portent intérêts au profit du locataire, au taux pratiqué par la Banque de France pour les avances sur titres, pour la portion excédant deux termes. »

 

Deux enseignements en découlent :

 

  • Jusqu’à deux termes d’avance (mois ou trimestre, selon la périodicité convenue), aucune rémunération n’est due ;

 

  • Au-delà, le bailleur devient débiteur d’intérêts légaux, versés soit périodiquement, soit lors de la restitution du dépôt.

 

En d’autres termes, la loi neutralise financièrement la partie excédentaire ; l’obligation pèse certes sur le locataire, mais elle est compensée.

 

L’arrêt du 7 mai 2025 : rappel ferme de la Cour de cassation

Dans l’affaire Nougat Chabert & Guillot, le preneur versait :

 

  • un loyer trimestriel payable d’avance ;

 

  • un dépôt de garantie équivalant à six mois de loyers TTC.

 

Soit l’équivalent de trois trimestres immobilisés. L’entreprise sollicitait une décote au motif que cette charge excédait « le montant usuel » et grévait sa trésorerie.

 

La troisième chambre civile n’a pas suivi :

 

  1. Trois trimestres correspondent à un terme payé d’avance + deux termes de caution, seuil admis par l’article L 145-40 ;

 

  1. Les intérêts dus par le bailleur constituent une contrepartie légale ;

 

  1. Cette contrepartie neutralise l’obligation, qui ne peut donc diminuer la valeur locative.

 

Le pourvoi est rejeté ; la valeur locative est maintenue.

 

Conséquences pratiques pour les bailleurs

Les propriétaires d’immobilier commercial tirent de cette décision une sécurité bienvenue :

 

  • Clause robuste : exiger jusqu’à deux termes d’avance + un terme de dépôt n’entraîne aucune sanction locative, à condition de verser les intérêts.

 

  • Taux indiscutable : le taux Banque de France, public et actualisé, évite les débats.

 

  • Gestion de trésorerie : le dépôt placé sur un compte séquestre rémunéré procure une trésorerie disponible sans risque de minoration judiciaire.

 

Bonnes pratiques contractuelles côté bailleur

  • Prévoir dans le bail un échéancier annuel de paiement des intérêts (ou leur imputation mensuelle sur le loyer).

 

  • Mentionner expressément le taux de référence et sa mise à jour automatique.

 

  • Prévoir la restitution du dépôt indexée sur la révision future du loyer pour préserver la parité des termes.

 

Stratégie du locataire : où se joue la négociation ?

L’arrêt ferme la porte à la contestation basée uniquement sur le quantum des loyers versés d’avance. Le preneur doit donc :

 

  • Vérifier la réalité du versement d’intérêts : la moindre défaillance ouvre droit à remboursement et, cette fois, pourrait caractériser une charge non compensée.

 

  • Cibler les charges non rémunérées : travaux de mise aux normes, taxes foncières contractuellement imputées, garanties bancaires hors solde…

 

  • Mettre en avant l’évolution économique du secteur : baisse du chiffre d’affaires local, vacance commerciale dans le voisinage, obsolescence du local.

 

Avec ces arguments, la demande de décote retrouve des fondements tangibles.

 

Checklist négociation pour le preneur

  • Relever la périodicité du loyer (mois ou trimestre).

 

  • Calculer précisément la portion excédant deux termes.

 

  • Réclamer les intérêts légaux par lettre RAR si le bailleur tarde à les créditer.

 

  • Documenter les postes de charges non compensés pour fonder la requête en baisse.

 

Vers un plafonnement législatif ?

Le projet de loi de simplification de la vie économique (déposé au Sénat sous n° 550) envisage de limiter « le montant global des sommes versées à titre de garantie ». Si le dispositif est voté :

 

  • Le plafond remplacera le mécanisme d’intérêts compensatoires ;

 

  • Les baux antérieurs devront être mis en conformité ;

 

  • Les contentieux se déplaceront du terrain de la valeur locative vers celui de la restitution de dépôt.

 

Les praticiens devront se tenir prêts à renégocier les clauses financières dès l’entrée en vigueur.

 

Incidence fiscale et comptable

  • Pour le bailleur : les intérêts versés constituent une charge déductible au titre de l’exercice ; l’avance de loyer reste enregistrée en produits constatés d’avance.

 

  • Pour le locataire : les intérêts perçus sont imposables, tandis que le dépôt figure en immobilisations financières.

 

Une clause claire évite les retraitements pénibles à la clôture.

 

Points de vigilance pour l’avenir

  • Taux en hausse : la remontée des taux directeurs renchérit le coût du dépôt pour le bailleur ; certains préféreront réduire l’avance plutôt que servir des intérêts élevés.

 

  • Baux « loyers mensuels » : la tentation pourrait être de conserver un dépôt trimestriel pour sécuriser deux loyers en cas d’impayé ; attention, la partie dépassant deux mois devra toujours être rémunérée.

 

  • Garanties croisées : caution bancaire ou garantie autonome ne tombent pas sous l’article L 145-40 ; si leur montant excède l’usage, elles redeviendront facteurs de diminution potentiels.

 

L’arrêt du 7 mai 2025 conforte une lecture économique du bail commercial : tant que la compensation financière prévue par la loi s’applique, les dépôts ou loyers d’avance n’affaiblissent pas la valeur locative.

 

Les bailleurs disposent ainsi d’un levier de sécurisation reconnu ; les locataires disposent d’un droit clair à rémunération. Pour l’un comme pour l’autre, la clé demeure la transparence contractuelle : un bail rédigé sans ambiguïté, assorti d’une comptabilité rigoureuse des intérêts, limite les risques contentieux et garantit un loyer équilibré sur la durée du nouveau bail.