Les règles en matière d’attribution préférentielle en droit des successions

Introduction En droit français, l’attribution préférentielle est un mécanisme juridique permettant à un copartageant, dans le cadre d’un partage judiciaire ou amiable, de se voir attribuer un bien spécifique de l’indivision, sous certaines conditions.

Ce dispositif, encadré par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à concilier les intérêts individuels des copartageants avec les principes d’équité et de préservation de l’indivision.

L’attribution préférentielle peut être de droit ou facultative.

 

1.Le cadre juridique des attributions préférentielles

1.1.Définition et principes généraux

L’attribution préférentielle permet à un copartageant de recevoir un bien précis de l’indivision, en priorité par rapport aux autres.

Ce mécanisme est régi par les articles 831 à 834 et 1476 du Code civil, et s’applique principalement dans les contextes de partage de communauté (notamment après divorce ou séparation) ou de succession.

L’objectif est d’éviter une licitation forcée, qui pourrait nuire à la cohérence économique ou affective d’un bien (par exemple, une exploitation agricole ou un local d’habitation).

 Cependant, cette attribution n’est pas automatique : elle est soumise à des conditions strictes et ne peut être accordée que si elle respecte les droits des autres copartageants.

1.2.Distinction entre attribution préférentielle de droit et facultative

  • Attribution préférentielle de droit : Elle s’impose au juge ou aux parties dans des cas précis, notamment pour les exploitations agricoles (art. 832 du Code civil) ou les locaux d’habitation (art. 831-2 du Code civil).

 

  • Attribution préférentielle facultative : Elle est laissée à l’appréciation du juge, qui évalue si les conditions légales et les intérêts en présence le justifient. Cela concerne notamment les entreprises (art. 831 du Code civil) ou les locaux professionnels.

 

2.Les conditions d’application

2.1.Conditions communes

Pour bénéficier d’une attribution préférentielle, le demandeur doit prouver :

  • Son intérêt légitime : Par exemple, participer effectivement à l’exploitation d’une entreprise ou résider dans le local concerné.

 

  • L’absence de préjudice pour les autres copartageants : Le bien attribué doit être compensé par une soulte (somme d’argent versée pour équilibrer les droits des autres parties).

2.2.Conditions spécifiques selon le type de bien

  • Exploitations agricoles (art. 832) : L’attribution est de droit si le conjoint exploitant remplit les conditions personnelles et que la superficie de l’exploitation est conforme aux limites légales.

 

  • Locaux d’habitation (art. 831-2) : Le demandeur doit y avoir sa résidence effective au moment du partage. La jurisprudence admet que cette condition peut être réputée remplie en cas de violences conjugales ayant forcé un conjoint à quitter le domicile (Cass. civ. 1, 15-05-2018, n° 17-16.858).

 

  • Locaux professionnels : L’époux doit prouver qu’il utilise effectivement le local pour son activité.

2.3.Exceptions et limites

  • Dissolution de la communauté par divorce : L’attribution préférentielle n’est jamais de droit (art. 1476, al. 2 du Code civil). Le juge peut la refuser s'il estime que les conditions ne sont pas réunies (Cass. civ. 1, 05-03-2014, n°12-26.514).

 

  • Augmentation de valeur du bien : Si la valeur du bien attribué augmente de plus du quart entre l’attribution et le partage définitif, le bénéficiaire ne peut y renoncer (art. 834 du Code civil).

 

3.La procédure d’attribution préférentielle

3.1.En phase amiable

Les copartageants peuvent convenir d’une attribution préférentielle sans intervention judiciaire. Cette solution est souvent privilégiée pour éviter les aléas d’un tirage au sort ou d’une licitation.

3.2.En phase contentieuse

Si aucun accord n’est trouvé, le juge tranche.

Il vérifie :

  • La recevabilité de la demande : Le demandeur doit justifier de son droit (ex. : participation à l’exploitation).

 

  • L’équilibre des droits : Le juge peut imposer une soulte pour compenser les autres copartageants.

Exemple jurisprudentiel : Dans un arrêt du 7 février 2018 (Cass. civ. 1, n° 16-26.892), la Cour de cassation a rappelé que le juge ne peut subordonner l’attribution préférentielle au paiement immédiat d’une soulte, sauf accord des parties.

 

4.Les effets de l’attribution préférentielle

4.1.Effets sur la propriété

Le bénéficiaire devient propriétaire exclusif du bien au jour du partage définitif (art. 834 du Code civil). Jusqu’à cette date, il ne peut y renoncer que sous conditions strictes.

4.2.Garanties et soultes

  • Soulte : Elle est due si la valeur du bien attribué dépasse les droits du bénéficiaire dans l’indivision.

 

  • Garantie des vices cachés : Le bénéficiaire est tenu de garantir les défauts du bien, comme dans tout partage (art. 884 du Code civil).

 

5.Articulation avec les règles de l’indivision

L’attribution préférentielle s’inscrit dans le cadre plus large des règles de l’indivision (art. 815 et suivants du Code civil).

Elle ne doit pas être confondue avec le partage en nature, qui implique un tirage au sort des lots (art. 826 du Code civil).

À noter : La jurisprudence rappelle que le juge ne peut attribuer un bien à un copartageant sans son accord (Cass. civ. 1, 15-09-2021, n° 19-24.014), sauf dans les cas d’attribution préférentielle expressément prévus par la loi.

 

6.Jurisprudence récente et évolutions

La Cour de cassation a récemment réaffirmé que :

  • L’attribution préférentielle ne fait pas l’objet d’une cause de déchéance et qu’en cas d’attribution, à défaut de paiement immédiat de la soulte, il n’y a pas lieu à licitation (Cass. civ. 1, 12-06-2014, n° 12-21.540).

 

  • En cas de divorce, le juge ne peut imposer une soulte immédiate (Cass. civ. 1, 20-01-2010, n° 09-65.317).

Ces décisions soulignent l’importance de respecter les droits des copartageants tout en permettant une sortie équitable de l’indivision.

 

Conclusion

Les héritiers, ou les couples séparés, pensent souvent qu’ils pourront obtenir une attribution préférentielle en argumentant auprès du juge, mais elle reste encadrée par des règles strictes.

Que ce soit pour une exploitation agricole, un local d’habitation ou professionnel, sa mise en œuvre exige une analyse rigoureuse des conditions légales et jurisprudentielles.

Les avocats compétents en matière de succession sont à même de conseiller la meilleure stratégie, notamment lorsque l’attribution préférentielle n’est pas de droit, afin que ce mécanisme soit utilisé à bon escient, pour parvenir à un partage équilibré.