Pacte Dutreil et activité éligible

 

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 13 janvier 2025 n° 22/07624) relatif à un pacte Dutreil en matière d’ISF permet de souligner l’importance de la condition liée à l’activité de la société sur laquelle porte l’engagement de conservation.

Pour rappel, l’article 885 I bis du code général des impôts applicable avant 2018 exonérait d’impôt de solidarité sur la fortune, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou actions détenues par un redevable et faisant l’objet d’un engagement de conservation. L’engagement de conservation devait porter sur les parts ou les actions de sociétés ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

1. Rappel du contexte

La société [P] exerçait, conformément à son objet social, une activité commerciale de fourniture de prestations de services dans le domaine de la production audiovisuelle.

Le contribuable et sa fille avaient souscrit un pacte Dutreil-ISF sur les titres de la société [P].

2. Rectification fiscale et arrêt d’appel

L'administration fiscale a remis en cause, au titre des années 2015 et 2016, l'exonération partielle appliquée à la valeur de titres de la société [P] détenus par le contribuable au regard d'un engagement de conservation souscrit par lui et sa fille, au motif que cette société [P] exerçait une activité mixte, civile et commerciale, sans que son activité commerciale soit prépondérante.

Dans un premier temps, la cour d’appel rappelle que le régime de faveur peut également s'appliquer aux parts ou actions de sociétés qui, ayant pour partie une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ; cette prépondérance s'appréciant en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice.

Dans un deuxième temps, la cour d’appel se livre à une analyse approfondie des données financières de la société [P].

Ainsi, au titre des exercices 2015 et 2016, l’activité commerciale représentait une part très importante du chiffre d’affaires de la société [P], savoir plus de 93 % du CA pour 2015 et plus de 99 % du CA pour 2016.

Cependant, la société [P] disposait, au 31 décembre de chacune de ces deux années, d'actifs majoritairement constitués, d'une part, de participations et de créances sur ces participations, correspondant à des investissements effectués dans le domaine de la production d'énergie renouvelable et, d’autre part, de valeurs mobilières de placement et de disponibilités.

Ainsi, au titre des exercices 2015 et 2016, les participations, créances sur participation, disponibilités et valeurs mobilières de placement correspondaient à plus de 91 % de l’actif brut de la société [P].

En outre, la trésorerie représentait à elle seule :

  • 7,2 fois le chiffre d'affaires de l'exercice 2015 ;
  • 9,2 fois le chiffre d'affaires de l'exercice 2016 ;
  • plus de 15 fois le montant des dettes à court terme au titre des exercices 2015 et 2016 ;
  • 15 fois le bénéfice pour l’exercice 2015 ;
  • 27 fois le bénéfice de 2016.

La Cour d’appel relève que :

  • ces actifs découlent de l'activité commerciale de fourniture de prestations de services réalisée, au cours de ces exercices et des exercices précédents ;
  • en constituant progressivement et en conservant un patrimoine constitué de tels actifs, et bien que ces actifs découlent de son activité commerciale, la société [P] a exercé, outre cette activité, une activité civile de gestion patrimoniale, peu important que cette activité ne soit pas mentionnée dans son objet social ;
  • au regard du montant des actifs ainsi conservés par la société [P], et en dépit du faible rendement procuré par les investissements réalisés par cette société, dont témoigne le montant des produits financiers et de l'importance corrélative du chiffre d'affaires généré par son activité commerciale, cette activité de gestion patrimoniale revêtait un caractère prépondérant dans l'activité globale de la société.

La Cour d’appel confirme ainsi la rectification fiscale opérée par l’administration fiscale.

3. Enseignements

Bien que rendu en matière de pacte Dutreil-ISF, l’arrêt rappelle l’importance de la notion de prépondérance de l’activité opérationnelle en matière de pacte Dutreil, y compris de pacte Dutreil-transmission.

La prépondérance s’apprécie « en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice » (CE, 23 janvier 2020, n° 435562 et Cass. Com 25 janvier 2023, n° 20-23.137).

Même si l'arrêt se concentre essentiellement sur des aspects comptables et financiers et ne prend pas en considération l'origine de la trésorerie qui résultait clairement de l'activité éligible, il nous semble que bien d'autres éléments peuvent être mis en avant afin de démontrer que l'activité opérationnelle d'une société est prépondérante. A cet égard, il est parfois préférable de réaliser des opérations de restructurations assez simples afin de préserver la prépondérance de l'activité opérationnelle.

S’agissant du pacte Dutreil-transmission, la doctrine administrative indique qu’à titre de règle pratique, il est admis qu’une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque :

  • le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant de son chiffre d’affaires total ; et
  • que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total.

En définitive, transmettre une entreprise dans des conditions fiscales optimisées grâce au pacte Dutreil ne relève ni du hasard du loto, ni d’un simple coup de chance. La mise en place d’un tel dispositif exige une analyse stratégique et une parfaite maîtrise des règles juridiques et fiscales. Pour transformer ce mécanisme en véritable opportunité fiscale et patrimoniale, mieux vaut s’entourer des bons conseils plutôt que de compter sur un appel à un ami…

 

 

Yan Flauder

Avocat spécialisé en droit fiscal

Barreau de Toulouse

www.flauder-avocat-toulouse.fr