L’Union européenne poursuit, avec une constance désormais notable, la construction d’un cadre normatif destiné à restaurer la confiance du consommateur et à assainir un marché saturé de labels hétérogènes, trop souvent invérifiables. La presse — et notamment Le Figaro dans son article du 7 novembre 2025 — met en lumière ce que Bruxelles qualifie désormais sans ambages de « jungle des labels ».

La nouvelle directive européenne sur les allégations environnementales (directive (UE) 2024/825) s’inscrit dans une dynamique globale : lutte contre le greenwashing, protection du consommateur, mais aussi garantie d’une concurrence loyale entre opérateurs. L’ambition est claire : faire passer les allégations environnementales d’un registre déclaratif à un système objectivé, vérifié et contrôlé.


I. Un cadre juridique rénové : certification obligatoire, référentiels scientifiques et disparition des labels auto-déclarés

1. La certification indépendante : socle du nouveau régime

La directive impose désormais que toute allégation environnementale — explicite ou implicite — soit contrôlée par un organisme tiers indépendant et accrédité. Ce contrôle ex ante rompt avec la pratique, longtemps tolérée, des labels autoproclamés qui reposaient davantage sur une stratégie marketing que sur une évaluation scientifique.

2. La normalisation des méthodologies

La directive impose que toute allégation soit fondée sur :

  • une méthodologie scientifique,

  • une analyse du cycle de vie,

  • ou un référentiel sectoriel validé.

Toute allégation non démontrable sera interdite.

Cette logique rejoint les exigences posées par la loi AGEC et ses décrets d’application, notamment le décret n° 2022-748 du 29 avril 2022 sur l’information environnementale, validé par le Conseil d’État (CE, 31 mai 2024, n° 464945), lequel a admis la légalité de l’interdiction de mentions telles que « biodégradable » ou « respectueux de l’environnement » lorsqu’elles ne peuvent être prouvées.

➡️ Cette décision confirme juridiquement que les allégations vagues ou invérifiables sont intrinsèquement trompeuses.

3. Disparition annoncée des labels improvisés

Sont désormais voués à disparaître :

  • les labels non certifiés,

  • les labels privés non adossés à un référentiel transparent et contrôlable,

  • les allégations globales dépourvues de preuves (ex. « éco-responsable », « neutre en carbone », « vert »).

Cette épuration du marché rejoint l’approche adoptée par la CJUE (C-296/23, 20 juin 2024, dm-drogerie markt). Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’une allégation du type « respectueux de la peau » apposée sur un biocide minimise indûment les risques et constitue une communication trompeuse.

➡️ Ce raisonnement préfigure l’interdiction prochaine, au niveau européen, de toute allégation minimisant l’impact environnemental sans fondement scientifique solide.


II. Le volet contentieux : un régime renforcé de sanctions administratives, civiles et pénales

1. Requalification automatique en pratique commerciale trompeuse

Toute allégation non conforme devient une pratique commerciale trompeuse, au sens des articles L. 121-2 et s. du Code de la consommation.
Les conséquences sont multiples :

  • sanctions administratives (amendes pouvant viser un pourcentage du chiffre d’affaires) ;

  • procédures pénales dans les cas les plus graves ;

  • actions civiles pour suppression des allégations et indemnisation.

Cette logique a été illustrée récemment par le Tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 23 octobre 2025, n° 22/02955), qui a condamné TotalEnergies pour avoir diffusé des messages de neutralité carbone considérés comme trompeurs au regard de la réalité de ses investissements fossiles.

➡️ Le juge français n’hésite plus à sanctionner la communication stratégique d’un groupe lorsqu’elle laisse croire à un alignement écologique non démontré.

2. Le pouvoir accru des autorités administratives

La directive confère aux autorités nationales un arsenal élargi :

  • injonction de retrait d’une publicité,

  • interdiction de diffusion,

  • rappel de produits,

  • publication judiciaire obligatoire.

Ces pouvoirs s’inscrivent dans le sillage du décret n° 2022-539 du 13 avril 2022 sur les allégations de neutralité carbone, déjà utilisé par la DGCCRF pour sanctionner des pratiques abusives.

3. La proportionnalité des sanctions au chiffre d’affaires

Comme pour le RGPD, les sanctions pourront être calculées sur la base du chiffre d’affaires global, augmentant considérablement l’effet dissuasif.


III. De l’environnement à la concurrence : l’émergence d’un nouveau contentieux entre entreprises

Pendant longtemps, la lutte contre le greenwashing a été pensée comme un contentieux de protection du consommateur. La directive 2024/825 opère un déplacement majeur : la régulation des allégations environnementales devient un instrument de police de la loyauté concurrentielle.

1. La violation d’une demande de certification comme faute civile

Dans le cadre de l’article 1240 du Code civil, la faute peut résulter :

  • du non-respect d’une obligation légale,

  • d’une communication trompeuse,

  • d’une distorsion du marché par l’affichage de qualités environnementales infondées.

La directive fournit un référentiel normatif parfaitement objectivable : toute allégation non certifiée devient automatiquement fautive.

2. Vers un contentieux inter-entreprises

Les entreprises vertueuses seront désormais incitées à agir pour :

  • faire cesser une communication trompeuse ;

  • obtenir réparation du préjudice économique (captation de clientèle, pertes de parts de marché) ;

  • invoquer des pratiques parasitaires lorsqu’un concurrent s’approprie indûment une image environnementale valorisante.

La décision TJ Paris, 23 octobre 2025 ouvre clairement cette voie : si une communication globale (« acteur de la transition », « neutralité carbone ») peut être sanctionnée, alors un concurrent pourrait demain faire valoir qu’un opérateur a indûment capté une clientèle en se dispensant des coûts de certification imposés par la directive.

3. Une confirmation doctrinale : la régulation environnementale devient un standard concurrentiel

La directive consacre, en pratique, une idée que la doctrine défend depuis plus de vingt ans : l’environnement n’est pas extérieur au marché ; il en devient une composante de loyauté.

L’exigence environnementale :

  • crée un coût fixe (audits, certifications, ACV),

  • garantit l’égalité des conditions de concurrence,

  • rend fautive toute stratégie consistant à s’en exonérer pour obtenir un avantage compétitif.


Conclusion : une réforme à la fois environnementale, économique et concurrentielle

En assainissant la « jungle des labels », l’Union européenne ne se contente pas de protéger le consommateur.
Elle :

  • structure un marché des allégations environnementales fondé sur la preuve,

  • responsabilise les opérateurs,

  • renforce la concurrence loyale,

  • et ouvre un nouveau champ contentieux, mobilisable par les autorités, les ONG, les consommateurs, mais aussi — et surtout — par les concurrents lésés.

Les arrêts de la CJUE (C-296/23), du Conseil d’État (31 mai 2024) et le jugement TJ Paris du 23 octobre 2025dessinent déjà l’ossature d’un droit des allégations environnementales durablement renforcé.

La transposition française, attendue pour 2026, sera décisive : son équilibre entre simplicité administrative et exigence scientifique conditionnera l’efficacité réelle de cette nouvelle architecture normative.

Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en Droit de l’environnement, Bureau de Grasse : 48 Avenue Pierre Sémard, 06130 GRASSE et bureau de Paris : 222 Bd Bd Saint Germain, 75007 PARIS. Tel :  01 42 60 04 31 (Paris) ou 04 93 69 36 85 - Le Cannet et Grasse.