Bail commercial: en cas d’infiltrations, le locataire peut-il agir contre le bailleur alors même dans le bail , il a renoncé à tout recours contre le bailleur ?

 

Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3 1, 26 février 2025, n° 24/04747

 

Faits :

 

Un bail commercial portant sur des locaux à usage de pharmacie est consenti.

 

Le bail comporte une clause de renonciation à recours rédigée comme suit :

 

« Le Preneur renonce à tout recours en responsabilité ou réclamation contre le Bailleur, tous mandataires du Bailleur, et leurs assureurs et réciproquement pour le Bailleur à l’égard du Preneur :

[…]

 en cas de dégâts causés au local et/ou aux objets ou marchandises s’y trouvant, par suite de fuites, d’infiltrations, d’humidité ou autres circonstances, en cas d’agissements générateurs de dommages des autres occupants de l’immeuble, de leur personnel, fournisseurs ou clients, et de tous tiers en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, tous les droits du Preneur étant réservés contre la partie expropriante,

[…]

 en cas de vice ou défaut de la chose louée ; Toutefois, dans le cas où de tels vices ou défauts relèveraient de la responsabilité des constructeurs par application des articles 1792 et suivants du code civil, le Bailleur s’engage à faire ses meilleurs efforts pour mettre en 'uvre les procédures nécessaires y compris dans le cadre de l’assurance « dommages ouvrage» pour parvenir dans les meilleurs délais à la suppression de ces vices ou défauts».

 

La locataire subit de multiples dégâts des eaux depuis son entrée dans les lieux.

 

Elle délivre à son bailleur une sommation d’avoir à effectuer les travaux de reprise nécessaires.

 

En l’absence d’effet à la sommation, une expertise judiciaire est sollicitée par la locataire pour déterminer l’origine des infiltrations.

 

Le rapport de l’expert judiciaire conclut à l’entière responsabilité de la bailleresse, en raison notamment de l’existence d’un défaut de conception et de réalisation affectant le réseau d’eau chaude sanitaire et les réseaux d’évacuation des eaux pluviales et usées.

 

Procédure :

 

Sur la base de ce rapport, la locataire assigne la bailleresse devant le tribunal judiciaire de Versailles en indemnisation de ses différents préjudices.

 

La bailleresse forme un incident de procédure : selon elle, les demandes de la locataire sont irrecevables

 

Pourquoi une irrecevabilité des demandes du locataire ? en raison d’une clause de renonciation à recours stipulée au bail.

 

Statuant sur cet incident, le juge de la mise en état déclare irrecevable l’action engagée par la locataire et constate l’extinction de l’instance.

 

La locataire fait appel de l’ordonnance.

 

Arguments des parties :

 

Pour la locataire : 

  • la clause de renonciation à recours est réputée non-écrite dans la mesure où elle exonère la bailleresse de son obligation essentielle de lui délivrer un local permettant une jouissance paisible et donc une exploitation optimale de son activité commerciale.
  • la bailleresse a commis une faute lourde imputable s’opposant à ce que celle-ci bénéficie de la clause exonératoire de responsabilité, dès lors qu’elle a subi plus d’une quinzaine de dégâts des eaux depuis la prise de possession des lieux.

 

Pour la bailleresse :

  • les parties ont convenu d’une clause de non-recours aux termes de laquelle la locataire doit diriger ses demandes contre son assureur.
  • la clause a été librement consentie par les deux parties, auxquelles elle bénéficie réciproquement.
  • la locataire ne démontre pas en quoi la clause vide l’obligation de délivrance de sa substance, alors qu’elle est réciproque et limitée et qu’elle n’a jamais été empêchée d’exploiter les locaux.

 

Fondement juridique:

 

L’obligation de délivrance et de réparation résultant des articles 1719 et 1720 du Code civil.

 

  • article 1719 du code civil : le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée, de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
  • article 1720 du code civil :  le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce  et qu' il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autre que les locatives .

 

Analyse de la Cour d’appel :

 

La Cour d’appel relève que clause de renonciation à recours dans le bail n’est pas circonscrite aux seules conséquences des dégâts des eaux affectant les locaux loués.

 

Elle poursuit en indiquant que le domaine d’application de la clause est « particulièrement étendu » puisqu’il concerne tous les dégâts causés au local et/ou aux objets ou marchandises s’y trouvant par l’effet de l’eau, mais également ces mêmes dommages causés par d'autres circonstances  sans autre précision.

 

La rédaction de la clause induit que pour tous les dégâts causés au local et/ou aux objets ou marchandises s’y trouvant, la locataire est privée de tout recours contre la bailleresse, d’autant plus que la clause s’applique également à « tout vice ou défaut de la chose louée », sans restriction.

 

Conséquence : la clause de renonciation à recours est réputée non-écrite.

 

 

On retient :

 

Les parties peuvent inclure une clause de renonciation à recours. C’est d’ailleurs une clause type que l’on retrouve dans le bail commercial.

 

Mais, les parties doivent veiller au domaine d’application de la clause. Pourquoi ? parce que si le domaine d’application est trop large, cela peut conduire in fine à priver les parties de tout recours.

 

Ici, précisément, la rédaction de la clause de renonciation à recours aboutissait à décharger la bailleresse de ses obligations de délivrance et de réparation de la chose louée.

 

La rédaction du bail commercial encore et toujours un exercice périlleux !

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Nawal BELLATRECHE-TITOUCHE

Avocate spécialiste en droit immobilier

Formatrice en droit immobilier

contact@avocatnb.fr

 

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