Face aux conséquences dramatiques, pour certaines personnes accompagnées, des difficultés rencontrées par le secteur de l’aide à domicile, APF (Association des Paralysés de France ) et l’AFM (France handicap) - Téléthon ont sonné l'alarme et saisi, la Défenseure des droits pour « mise en danger de la vie d’autrui et non-assistance généralisée à personnes en danger ».[1]

En effet, ces deux associations ont constaté que « les situations de mise en danger de la vie des personnes aidées se multiplient et de plus en plus de personnes à très haut risque vital se trouvent abandonnées plusieurs heures par jour sans aucune assistance ».

Pourtant sur le terrain, dans les situations où la personne en situation de handicap fait l’objet d’une curatelle renforcée ou tutelle, la vie des aidants familiaux n’est pas simplifiée alors que l’intérêt du majeur protégé commanderait le contraire que leurs démarches soient simplifiées.

  1. Sur la violation de la Charte sociale européenne par la France

Le phénomène n’est pas nouveau et l’association APF France handicap a déjà plusieurs fois alerté sur cette situation.

Dans une motion adoptée lors de son assemblée générale de juin 2023, elle réclamait, une nouvelle fois, « un plan Marshall de l’aide à domicile » et « une réforme structurelle du secteur ».[2]

Le 6 septembre 2023, le CEDS Comité des Européen des Droits --Sociaux a reproché à la France plusieurs non-conformités à la Charte sociale européenne et qualifiant de "problème majeur".

En effet, la famille, en tant que cellule fondamentale de la société, a droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée pour assurer son plein développement.[3]

La mère et l'enfant, indépendamment de la situation matrimoniale et des rapports familiaux, ont droit à une protection sociale et économique appropriée. [4]

En effet, pour de nombreux membres de la famille, leur dévouement à l'égard d'un membre de la famille handicapé et leurs efforts pour lui apporter le soin dont il a besoin affectent leurs activités professionnelles. Il est notamment prouvé que les aidants doivent renoncer à leur emploi ou réduire leur temps de travail afin de pouvoir apporter le soutien nécessaire.

À cet égard, d’après une enquête de 2018, 88% des parents d'enfants handicapés en France sont impactés dans leur emploi faute de mesures/réponses adaptées aux besoins de leur enfant. Parmi ces parents, 81% des mères (contre 16% des pères) cessent toute activité professionnelle, réduisent leur temps de travail ou changent de métier.   

Les États parties doivent être particulièrement attentifs à l’impact des choix opérés par eux sur les groupes tels que les personnes handicapées, dont la vulnérabilité est la plus grande, ainsi que sur les autres personnes concernées, tout particulièrement les familles sur lesquelles, en cas de carence institutionnelle, pèse un écrasant fardeau. [5] 

Par conséquent, le Comité a dit que la pénurie de services de soutien et le manque d'accessibilité des bâtiments et des installations ainsi que des transports publics font que de nombreuses familles vivent dans des conditions précaires, et équivaut à un manque de protection de la famille, en violation de l'article 16 de la Charte. [6] (Recommandation CM/RecChS(2023)4)

2.           Sur la nécessaire prise en compte du rôle de l’aidant familial par les Juges des tutelles

Ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la loi pour l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) fin 2015 que le proche aidant bénéficie enfin d’un statut juridique : une définition légale et des droits.

La définition juridique de l’aidant

Selon le Code de l’action sociale et de la famille (CASF, art. R. 245-7) : "Est considéré comme un aidant familial, le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle le bénéficiaire a conclu un pacte civil de solidarité, l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré du bénéficiaire, ou l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de l’autre membre du couple qui apporte l’aide humaine et qui n’est pas salarié pour cette aide".

Concrètement, on considère comme proche aidant de la personne aidée :

  • son conjoint,
  • le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin,
  • un parent,
  • un allié ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables.

Le statut d’aidant familial est donc reconnu par la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (2005). Le Code de l’action sociale et des familles en donne d’ailleurs une définition précise, dans le cadre du chapitre portant sur la prestation de compensation du handicap (PCH) :

Est notamment considéré comme un aidant familial, l'ascendant qui apporte l'aide humaine définie en application des dispositions de l'article L. 245-3 du code de l’action sociale et des familles et qui n'est pas salarié pour cette aide.

Le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle la personne handicapée a conclu un pacte civil de solidarité, l'ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu'au 4ème degré de la personne handicapée, le descendant ou le collatéral jusqu'au 4ème degré de l'autre membre du couple peuvent aussi bénéficier du statut d’aidant familial.

Le droit à compensation et à dédommagement de l’aidant familial, permettant la prise en charge par la collectivité des dépenses liées au handicap (aide humaine et technique), est fondé sur les principes généraux de non-discrimination et vise à garantir l’égalité des droits et des chances pour les personnes handicapées.

À ce titre, le président du conseil départemental notifie les montants qui seront versés à la personne handicapée et, le cas échéant, au mandataire de cette personne pour l'élément « aides humaines » (CASF, art. R. 245-61).

Lorsqu'elle est affectée à une charge liée à un besoin d'aide humaine, la contrepartie monétaire attachée à la prestation bénéficie exclusivement à la tierce personne qu'elle dédommage ou rétribue et lui ouvrira également un droit à retraite.

Dès lors, la prestation de compensation du handicap doit être considérée comme une ressource de l'aidant, incluse dans le revenu de référence du foyer. [7] 

3.           Sur les pratiques divergentes préjudiciables aux majeurs protégés

En pratique certains organes de la tutelle refusent encore d’appliquer ces dispositions considérant à tort que la Prestation de Compensation du Handicap constituerait une ressource du majeur protégé.

Les aides sont alors perçues sur le compte bancaire de la personne protégée et ne sont pas reversées au parent aidant, le tuteur choisissant de les affecter à un autre usage, au mépris de la loi.

Dans une affaire récente, un Juge des tutelles – sans même avoir rencontré la personne protégée - a considéré que la mère aidante qui se dévoue auprès de sa fille souffrant d’un lourd handicap depuis la naissance, aurait fait « le choix de ne pas travailler » pour mieux s’occuper d’elle. Cette affirmation révèle un déni et une méconnaissance des contraintes permanentes liées à l’état de santé du majeur protégé et des préconisations médicales qui en découlent.

De telles pratiques génèrent des tensions entre l’aidant et le tuteur professionnel compromettant l’exercice serein de la tutelle ainsi que l’accompagnement de la personne protégée.

En effet, l’intérêt du majeur protégé est aussi commandé par la reconnaissance de l’aide apportée par le parent qui a cessé son activité professionnelle pour se dévouer auprès de son enfant devenu majeur.

Mépriser le rôle essentiel de l’aidant familial caractérise une violation de la Charte sociale européenne pour laquelle la France vient d’être condamnée.

Il m’a paru important de le rappeler.


Claudia CANINI

Avocat – Droit de la protection des majeurs

www.canini-avocat.com


[1] Le Média Social, 15 février 2024 -Aide à domicile auprès des personnes handicapées : une situation d'urgence

[2] Motion politique d'APF France handicap du 23.06.2023 - Aide humaine et soins à domicile :  non-assistance à personne en danger !

[3] Art. 16 Charte sociale européenne

[4] Art. 17 Charte sociale européenne

[5] Autisme-Europe c. France, réclamation n° 13/2002, op. cit., par. 53

[6] Forum européen des personnes handicapées (FEPH) et Inclusion Europe c. France, Réclamation n° 168/2018

[7] Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 16 juin 2022, 20-20.27