Au fil du temps, les négociations précontractuelles ont pris une place centrale au regard de la complexité, des enjeux financiers ou même de la dimension internationale de certains contrats. En effet, la typologie des contrats varie en fonction d'innombrables variables qui peuvent aller des contraintes juridiques de l'opération envisagée, du poids économique des acteurs en cause, ou encore d'un "simple" facteur humain.

La responsabilité de l'auteur de la rupture des négociations est de plus en plus souvent recherchée par les acteurs du contrat qui ne s'est pas conclu, parce que ces différents facteurs augmentent les risques pour une partie de commettre une faute ou encore parce que les pourparlers obéissent à un  principe impératif de bonne foi qui n'est pas toujours respecté.

Je vous propose un éclairage.

 

Prolégomènes.

Le Code civil Napoléonien de 1804 ignorait totalement la phase précontractuelle. Cette question n'a finalement été codifiée que très tard, avec la réforme des contrats résultant de l’ordonnance du 10 février 2016. Cette réforme a permis de codifier les différentes solutions qui avaient établies au fil du temps par la jurisprudence.

Cette phase est appelée "pourparlers". Ils désignent le fait pour deux ou plusieurs personnes de se rapprocher en vue de préparer la conclusion d'un futur contrat dont elles envisagent ensemble le contenu et les modalités, par un mécanisme d’offres et de contre-offres successives, sans être pour autant certains d'aboutir à sa conclusion. Ils peuvent s'étendre sur une période allant de quelques jours à plusieurs années.

 La doctrine rappelle que la période de pourparlers est par essence une période de discussions imprécises :

« Les pourparlers correspondent à la phase préliminaire des négociations contractuelles : ils peuvent débuter par une offre imprécise émanant d'une partie qui formule alors une invitation aux pourparlers ; ils peuvent aussi naître d'une contre-proposition faite par le destinataire d'une offre. Les pourparlers sont un cadre de discussion et d'échanges de propositions qui aboutiront peut-être à un accord de volonté »

Les parties qui entrent en pourparlers doivent se soumettre à des règles et peuvent voir leur responsabilité engagée en cas de rupture, si elle est fautive.

Envisageons d'abord les règles gouvernant la conduite des pourparlers, avant d’envisager ensuite la question de leur rupture fautive.

1. Les règles applicables à la conduite des pourparlers : liberté et bonne foi.

1.1. Le principe de liberté.

La doctrine et la jurisprudence nous donnent une définition des pourparlers ; l'une d'elles est la suivante :

« Les pourparlers correspondent à la phase préliminaire des négociations contractuelles : ils peuvent débuter par une offre imprécise émanant d'une partie qui formule alors une invitation aux pourparlers ; ils peuvent aussi naître d'une contre-proposition faite par le destinataire d'une offre. Les pourparlers sont un cadre de discussion et d'échanges de propositions qui aboutiront peut-être à un accord de volonté »

L’article 1112 alinéa 1 du Code civil rappelle que « L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. ». Les parties sont donc libres de contracter ou non, de choisir leur cocontractant et de déterminer le contenu et la forme de leur contrat.

Durant les négociations, cela emporte deux conséquences :

D’une part, les parties sont libres de mener des négociations parallèles ; elles sont même libres de contracter avec un tiers. En effet, il n’existe aucun principe d'exclusivité des négociations comme le rappelle la jurisprudence. La seule limite est l'intention de nuire ou l'existence de manœuvres frauduleuses.

D’autre part, elles sont libres de rompre les pourparlers dès lors que la rupture a été "immédiatement et loyalement signifiée", ce qui renvoie au principe de bonne foi qui gouverne les actions des parties en pourparlers.

1.2. Le principe de bonne foi.

L’article 1112 alinéa 1 du Code civil rappelle que : « L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations (...) doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. » Pour la jurisprudence, ce principe est si évident qu'il est qualifié d'« élémentaire ».

Ce principe s'invite donc essentiellement lors de la rupture des pourparlers : c'est là qu'il faut faire preuve de prudence car la Cour de cassation se contente d’une violation du principe de bonne foi lors d'opérations bien engagées pour engager la responsabilité de l’autre partie. Elle le qualifie de manquement "aux règles de bonne foi dans les relations commerciales".

2. Les règles applicables à la rupture des pourparlers.

Même si elle pense avoir agi convenablement, il se peut que le comportement d'une partie cause un dommage à son partenaire en arrêtant les négociations précontractuelles. Le régime juridique applicable diffère selon que des contrats jalonnent ou non les négociations : dans le premier cas, c’est la responsabilité dite "contractuelle" de l’auteur qui sera engagée ; dans le second, c'est sa responsabilité dite "délictuelle" qui le sera.

L'enjeu de qualification est réel pour l'avocat qui vous conseille, car ces responsabilités obéissent à des régimes différents et leurs conséquences sont différentes.

2.1. Le régime juridique de la responsabilité : contractuelle ou délictuelle.

Il faut distinguer deux situations : si des contrats ont été conclus durant les négociations et s'il n'y a pas eu de contrats.

Il faut distinguer les "engagements à négocier" des accords intermédiaires que vous pouvez être amené à prendre dans le cadre des négociations. Il y a une grande diversité d'avant-contrats qui incitent les parties à négocier.

Par exemple :

  • Les lettres d’intention, aux termes desquelles les parties manifestent leur intention d’entrer en pourparlers. En principe, elles ne créent pas d’obligations entre les parties ; il n'y a donc pas de contrat intermédiaire. La responsabilité délictuelle de son auteur pourra néanmoins être engagée s’il a fait miroiter la conclusion d’un contrat définitif à son partenaire.
  • Les accords de principe aux termes desquels les parties s’engagent à négocier dans le but de conclure le contrat définitif. La partie qui manque à son obligation de négocier engage sa responsabilité contractuelle. La victime pourra obtenir la résolution du contrat ainsi que des dommages et intérêts réparant le préjudice subi. En revanche, la partie qui respecte son obligation de négocier mais manque à son obligation de bonne foi engage sa responsabilité délictuelle.
  • Les contrats provisoires qui prévoient que les partenaires se soumettent à des obligations en plus de la négociation en rédigeant par exemple des clauses de confidentialité ou d’exclusivité, distinctes du contrat définitif. Les clauses de confidentialité imposent aux parties de ne pas dévoiler les éléments dont elles ont eu connaissance durant les négociations. Les clauses d’exclusivités imposent aux parties de ne négocier qu’entre elles, et leur interdit de négocier avec des tiers. La violation de l'obligation de confidentialité ou d'exclusivité engage la responsabilité contractuelle de l’auteur.
  • Les contrats partiels aux termes desquels les parties s’accordent seulement sur certains éléments du contrat définitif. Par exemple, sur la durée du contrat, le prix ou encore les garanties (cautionnement, etc.). Ici, on se situe sur la ligne de crête séparant les négociations du contrat final. Si les parties s’accordent sur des éléments seulement accessoires (durée, garanties, etc.), alors le contrat définitif n’est pas formé et la rupture des pourparlers engage la responsabilité délictuelle de son auteur. En revanche, si elles s’accordent sur les éléments essentiels (la chose et le prix dans une vente), alors le contrat définitif est formé et la rupture de la relation engage la responsabilité contractuelle de son auteur.

2.2. Dans tous les cas, une preuve s'impose.

Que la responsabilité de l'auteur soit de nature contractuelle ou délictuelle, la question de la preuve est un enjeu central. La partie flouée par la rupture doit démontrer la cumul de trois éléments : une faute, un préjudice et un lien de causalité, ce dernier élément étant le mécanisme selon lequel la faute a directement concouru au dommage subi par la victime.

Mais attention, la jurisprudence est unanime : il n'est pas nécessaire que la faute soit intentionnelle. À la différence de beaucoup de systèmes juridiques, la jurisprudence française ne requiert ni l'intention de nuire, ni la mauvaise foi. Il suffit d’un simple manquement aux règles de la bonne foi dans les relations entre les parties, de sorte que chaque partie doit agir avec loyauté vis-à-vis de son partenaire. La Cour de cassation rappelle même que suffit une simple « légèreté blâmable ».

Bien-sûr, l’auteur est fautif lorsqu’il rompt les pourparlers avec mauvaise foi ou intention de nuire. Par exemple, s’il ne négocie avec son partenaire que dans le but de lui voler des informations confidentielles ou de lui prendre un savoir-faire dont il ne disposait pas.

Mais la réalité n'est jamais aussi simple et les juges doivent donc déterminer si l’auteur a agi comme l’aurait fait un cocontractant prudent et diligent, en utilisant des faisceaux d’indices.

Il faut donc produire les échanges de courriers, de mails, la justification du travail effectué pendant les pourparlers pour leur permettre d'aboutir, etc. Tout ce qui peut démontrer que votre partenaire est fautif et que sa faute a concouru à votre préjudice.

2.3. Les critères retenus en jurisprudence pour y parvenir.

• Le premier critère est celui de la croyance légitime du partenaire. Il s'agit de faire croire à son partenaire à la bonne fin de l’opération.

Les juges sanctionnent le fait d’entretenir « de manière illusoire » l'espoir de la conclusion du contrat, mais aussi le fait de susciter chez son partenaire « la confiance dans la conclusion du contrat envisagé, les pourparlers étant suffisamment avancés pour lui faire légitimement croire que ceux-ci allaient aboutir ». La Cour de cassation sanctionne aussi l'auteur de la rupture qui entretien son partenaire « dans l'espoir » d'un contrat auquel il avait finalement renoncé par « excès de prudence », la rupture se trouvant alors « dépourvue de motifs légitimes ». En effet, cette croyance peut inciter le négociateur à agir sans attendre la conclusion du contrat et à engager des frais : déplacements, dévoiler un secret ou bien produire des études complètes et coûteuses.

• Le deuxième critère est celui de la brutalité de la rupture.

La Cour de cassation sanctionne sévèrement la cessation des relations précontractuelles « sans aucun grief ni respect d'un préavis » ou la rupture « brutale et imprévisible » des pourparlers, car cette attitude est considérée comme déloyale en ce qu'elle surprend l'autre partie et la prive de toute solution de repli. Elle est donc incompatible avec l’exigence de bonne foi dans la mesure où un cocontractant prudent et diligent n’agirait pas de manière aussi cavalière.

• Le troisième critère est celui de l’absence de motif légitime dans la rupture.

La Cour de cassation condamne ainsi la partie qui rompt brutalement les pourparlers, « sans explication » et « sans motif légitime ». Une personne morale ne peut, par exemple, rompre les négociations sans motif légitime et se retrancher derrière des « considérations internes au groupe » et une personne physique ne peut pas plus se retrancher derrière des sentiments intérieurs ou de simples ressentis subjectifs. Il s'agit de prétextes fallacieux qui sont souvent destinés à masquer une rupture fautive.

3. Conclusion

Un avocat rompu au contentieux et à la négociation vous aidera à faire le tri des situations problématiques et saura vous accompagner lors de la négociation avec vos futurs partenaires. Il m'arrive bien souvent d'intervenir "en sous-marin", c'est-à-dire sans que le cocontractant en face sache que c'est un avocat qui conseille sur les étapes des négociations. C'est une sage précaution de procéder de cette manière, car vous ne pouvez pas être objectif face à des situations émotionnelles où vous avez envie de vous associer ou de contracter pour faire avancer votre affaire. Le conseil d'un tiers, votre avocat, est donc vraiment nécessaire.

Maître Frédéric CUIF, à la tête du bureau LX AVOCATS de Bordeaux, vous aide et vous conseille dans ces problématiques de négociations précontractuelles et contractuelles. N'hésitez pas à nous consulter.