Le Conseil d'Etat a jugé que des contradictions dans la communication des autorités sont illégales lorsque l'exercice d'une liberté fondamentale est en cause. En d'autres termes, l'administration doit prendre garde à délivrer au public une information fidèle au droit en vigueur, faute de quoi elle pourrait porter atteinte à une liberté fondamentale et commettre une illégalité, en l'espèce, la liberté d'aller et venir.

" 6. Il résulte de l'instruction, notamment de l'information apportée, au cours de l'audience publique, par le représentant du ministre de l'intérieur, quant à l'existence et au contenu d'un relevé de décision du 24 avril 2020 de la cellule interministérielle de crise placée auprès du Premier ministre, que l'interprétation des dispositions de l'article 3 du décret du 23 mars 2020 retenue par le gouvernement et devant être diffusée à l'ensemble des agents chargés de leur application est, en premier lieu que " ne sont réglementés que les motifs de déplacement et non les moyens de ces déplacements qui restent libres. La bicyclette est donc autorisée à ce titre comme tout autre moyen de déplacement, et quel que soit le motif du déplacement ", en deuxième lieu que " les verbalisations résultant de la seule utilisation d'une bicyclette, à l'occasion d'un déplacement autorisé, sont injustifiées " et, en troisième lieu, que les restrictions de temps et de distance imposées par les dispositions du 5° de l'article 3 privent en principe d'intérêt l'usage de la bicyclette pour un déplacement exclusivement motivé par l'activité physique individuelle et que, dans un tel cas, le risque plus important de commission d'une infraction liée au dépassement de la distance autorisée doit conduire, tout en en rappelant la possibilité juridique d'utiliser la bicyclette pour tout motif de déplacement, à " en dissuader l'usage au titre de l'activité physique ". 7. Toutefois, il résulte également de l'instruction que, malgré l'existence de cette position de principe, dont la légalité n'est pas contestée par la fédération requérante, plusieurs autorités de l'Etat continuent de diffuser sur les réseaux sociaux ou dans des réponses à des " foires aux questions ", l'information selon laquelle la pratique de la bicyclette est interdite dans le cadre des loisirs et de l'activité physique individuelle " à l'exception des promenades pour aérer les enfants où il est toléré que ceux-ci se déplacent à vélo, si l'adulte accompagnant est à pied ", ainsi qu'un pictogramme exprimant cette même interdiction. 8. Or, d'une part, la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l'usage est autorisé constitue, au titre de la liberté d'aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. 9. D'autre part, si les cyclistes qui s'estiment verbalisés à tort peuvent, devant le juge judiciaire, contester l'infraction qui leur est reprochée, la faculté reconnue à l'administration, en vertu des dispositions rappelées au point 3, d'exécuter d'office les mesures prescrites en application du décret du 23 mars 2020 est de nature à conduire, en cas d'interdiction de déplacement opposée, à tort, à raison du seul usage d'une bicyclette, à ce que le cycliste contrôlé soit tenu de descendre de son véhicule et de poursuivre son trajet à pied. 10. Dans ces conditions, compte tenu de l'incertitude qui s'est installée, à raison des contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques, sur la portée des dispositions de l'article 3 du décret du 23 mars 2020, particulièrement en ce qui concerne l'activité physique, quant à l'usage de la bicyclette et des conséquences de cette incertitude pour les personnes qui utilisent la bicyclette pour leurs déplacements autorisés, l'absence de diffusion publique de la position gouvernementale mentionnée au point 6 doit être regardée, en l'espèce, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant que le juge du référé-liberté fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et enjoigne au Premier ministre de rendre publique, sous vingt-quatre heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position en question. "

Cette décision protectrice de la liberté d'aller et de venir est cohérente avec l'évolution du cadre législatif qui consacre dans le Code des transports depuis la Loi d'orientation sur les Mobilités le droit de choisir son moyen de déplacement, en ce compris les modes relevant de la mobilité active et donc le vélo :

" L'organisation des mobilités sur l'ensemble du territoire doit satisfaire les besoins des usagers et rendre effectifs le droit qu'a toute personne, y compris celle dont la mobilité est réduite ou souffrant d'un handicap, de se déplacer et la liberté d'en choisir les moyens, y compris ceux faisant appel à la mobilité active, ainsi que la faculté qui lui est reconnue d'exécuter elle-même le transport de ses biens ou de le confier à l'organisme ou à l'entreprise de son choix. " (Code des transports, article 1111-1). En outre, elle sécurise les usagers ayant été verbalisés alors qu'ils respectaient les motifs de déplacement fixés par le décret du 23 mars 2020.

Particuliers, associations d'usagers, le cabinet est à votre écoute pour vous assister dans toute situation dans laquelle il est porté atteinte une liberté fondamentale, notamment au moyen de la procédure de référé liberté devant le juge administratif. Administrations, le cabinet peut vous assister pour vérifier la conformité de vos pratiques et de vos communications avec les exigences jurisprudentielles.

Conseil d'État, Juge des référés, 30/04/2020, 440179

 

Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

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