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Vacances j’oublie tout

 

Sous l’Ancien régime, l’année judiciaire n’était pas l’année civile. Une ordonnance de 1405 avait instauré une chambre des vacations, composée de magistrats de permanence, où étaient fixées les seules affaires urgentes.

Un décret de 1974 a supprimé ces vacations judiciaires.

Désormais, selon l’article R. 121-1 du Code de l’organisation judiciaire (COJ), l’ordonnance de roulement fixant la répartition des juges dans les différents pôles, chambres et services, peut prévoir un service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats, fonctionnaires et auxiliaires de justice bénéficient de leurs congés. Ces périodes s’étendent sur 12 semaines : 8 l’été et 2 à Noël et à Pâques.

 

Quand j’étais jeune, les juridictions n’audiençaient pas, sauf procédures d’urgence, et ne notifiaient pas d’avis. L’été, les usages interdisaient aux avocats de signifier à un confrère un acte faisant courir un délai ou d’exécuter, sauf cas de force majeure. L’été permettait de faire la revue de cases ou pire, de prendre du repos.

Puis, pour combler les délais abyssaux de la Justice, les affaires non urgentes furent fixées pendant le service allégé tandis que les procédures d’urgence se démultipliaient (hospitalisation d’office, comparutions immédiates, enfance en danger, référés, requêtes, jours fixes, rétention des étrangers, demandes de mise en liberté) et les obligations procédurales s’alourdissaient.

Mais les juridictions interrogeaient encore préalablement les avocats dans les dossiers, pour savoir s’ils étaient présents. Les renvois pour cause de vacances étaient acceptables. Les consignes étaient données de ne pas délivrer d’avis faisant courir de délai.

 

Puis, la pression des stocks en attente s’aggravant, la disponibilité de l’avocat ne fut plus une condition.

Les affaires sont désormais fixées sur les seules conditions de service. Il est devenu courant que les avis de greffe soient notifiés l’été. Les confrères ont oublié les usages et traitent leurs actes sans s’interroger. Les renvois deviennent inacceptables. L’avocat ne peut plus partir en vacances sans gérer des urgences, voire sans être obligé de revenir. Les avocats eux-mêmes participent à la dégradation de leur quotidien, pressés par les desideratades clients et les considérations financières. N’a-t-on pas vu, à la sortie du confinement, le Barreau se plaindre de la période de vacation qui approchait pour les juridictions ? Le droit à la déconnexion, on le défend pour les autres.

 

L’article L. 111-4 du COJ édicte que la permanence et la continuité du service public de la justice demeurent toujours assurées. Bien sûr, ce principe doit s’appliquer mais à quel prix ?

Pas à celui de l’épuisement professionnel.

 

Il nous faut rétablir des usages de confraternité entre nous et dialoguer avec les juridictions pour envisager des conventions pour cette période particulière.

 

Sophie Challan-Belval, avocate au barreau de Rouen

Tribune 

  • Gaz. Pal. 18 juill. 2023, n° GPL452j6, p. 1