Commentaires à propos d’un jugement du tribunal d’instance de STRASBOURG du 13 janvier 2017, RG 16-752/3C, ayant tranché un litige opposant des locataires à leur bailleur.

 

Le litige concernaient des troubles de jouissance résultant de travaux, ayant démarré après l’entrée dans les lieux des locataires, mais dont la survenance et la nature étaient déjà connus par le bailleur avant la signature du bail d’habitation.

 

Le bailleur a été condamné sur deux fondements :

 

  • d’une part, pour ne pas avoir assuré à ses locataires la jouissance paisible du logement ;
  • d’autre part, pour s’être abstenu de les avoir informé, avant la signature du bail, des travaux auxquels ils seraient confrontés.

 

En l’espèce, il avait été constaté que l’immeuble collectif s’affaissait et le syndicat des copropriétaires avait décidé d’entreprendre des travaux de reprise du sol par l’implantation de pieux en béton.

 

Le bailleur avait aussi vendu certains de ses lots en sachant que l’acquéreur y construirait des appartements.

 

Le bailleur avait donc parfaitement connaissance, lorsqu’il a loué l’appartement à ses locataires, que les travaux programmés par la copropriété et ceux prévus par son acquéreur, entraineraient des troubles de jouissance.

 

Effectivement, deux mois après leur entrée dans les lieux, les travaux ont démarré occasionnant des troubles pour les locataires.

 

Le service d’hygiène de la ville est intervenu et des constats d’huissier ont été établis.

 

 

1°) L’obligation de garantir les troubles de jouissance :

 

Cette obligation résulte de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, sur les baux d’habitation, et de l’article 1721, qui traite du contrat de louage en général.

 

L’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que :

 

« Le bailleur est obligé d’assurer au locataire la jouissance paisible du logement et, sans préjudice des dispositions de l’article 1721 du code civil, de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle ».

 

L’article 1721, qui a donc également vocation à s’appliquer, précise :

 

« Il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail.

« S’il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l’indemniser. »

 

Le bailleur ne peut s’exonérer de son obligation d’assurer aux locataires la jouissance paisible du logement qu’en apportant la preuve, que soit les troubles résultent d’un cas de force majeure, soit qu’ils sont l’œuvre de voies de fait provenant de tiers.

 

La cour de cassation interpréte ces causes d’éxonération de façon stricte, et elle a ainsi estimé que le bailleur restait tenu par son obligation de garantie en cas de troubles survenus dans la copropriété, et qu’il ne pouvait s’exonérer en se contentant d’apporter la preuve qu’il avait accompli des diligences pour tenter de mettre un terme à la poursuite desdits troubles ( Cass. Civ.3 23 novembre 2011 pourvoi n° 10-25978 ).

 

Les travaux entrepris par le syndicat des copropriétaires, ainsi que ceux réalisés par un autre copropriétaire, lorsqu’ils sont autorisés et ne constituent donc pas des voies de fait, ne sont pas de nature à éxonérer le bailleur de son obligation à l’égard du preneur.

 

C’est ainsi que le tribunal a relevé dans son jugement du 13 janvier 2017 :

 

« Attendu que l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que le bailleur doit assurer à ses locataires la jouissance paisible du logement ; qu’il ne peut s’exonérer de son obligation qu’en cas de force majeure, ou, en application de l’article 1725 du code civil, en cas de troubles apportés par voies de fait par des tiers ;

 

« que tel n’est pas le cas de travaux réalisés par le syndicat des copropriétaires de l’immeuble, lesquels ne relèvent pas de la force majeure, ni des travaux réalisés par un autre copropriétaire régulièrement autorisés par le syndicat des copropriétaires ;

 

« qu’en conséquence c’est à bon droit que les preneurs peuvent invoquer à l’encontre du bailleur le défaut de jouissance paisible de leur logement.

 

 Sur le fondement du trouble de jouissance, le tribunal a indemnisé les preneurs en appliquant une remise partielle de leur loyer sur la période durant laquelle les travaux leur avaient causé des troubles, soit en l’occurrence sur douze mois.

 

 

2°) L’obligation de loyauté :

 

L’obligation de loyauté est un principe du droit des obligations, que tout contractant doit impérativement respecter.

 

Cette obligation est en effet inscrite en préliminaire du titre consacré par le code civil au contrat, plus précisément à l’article 1104, qui dispose : « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.»

 

Le bailleur n’est donc pas simplement tenu par les obligations prescrites par l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, mais il doit aussi négocier le bail avec le preneur en lui donnant des informations loyales sur l’état du logement.

 

Dans un arrêt du 2 juillet 2003, paru au bulletin III n°138, la 3éme chambre civile de la cour de cassation avait approuvé la cour d’appel qui avait sanctionné le bailleur, qui s’était abstenu d’informer le locataire, avant la signature du bail, sur l’état du bien.

 

Cette obligation d’information avait été toutefois appréciée uniquement au regard de l’article 1721 du code civil, qui oblige le bailleur à garantir les troubles de jouissance, et l’indemnisation du preneur avait donc été fondée essentiellement sur cet article.

 

Dans un arrêt du 17 janvier 2012, n°10/07589, la cour d’appel de VERSAILLES a, en revanche, dissocié l’obligation de bonne foi, qui doit être respectée lors de la signature du bail, de celle de garantir les troubles de jouissance qui surviennent en cours de bail.

 

Ainsi, dans l’affaire dont elle était saisie et qui concernait des troubles de jouissance provoqués par des travaux, dont la réalisation à venir était connue par le bailleur avant la signature du bail, la cour d’appel de VERSAILLES a indemnisé le preneur :

 

  • d’une part, pour les troubles de jouissance sur le fondement de l’article 1721,
  • d’autre part, pour manquement au devoir de loyauté.

 

La cour d’appel de VERSAILLES a justifié l’indemnisation distincte résultant du défaut de l’obligation de loyauté dans les termes suivants : « Distinct du préjudice de jouissance déjà réparé sur le fondement de l’article 1721, le préjudice moral résultant de ce défaut d’information et du sentiment d’avoir été induit en erreur justifie en l’espèce l’allocation à monsieur et madame S. de la somme de 5.000,00 € à titre de dommages-intérêts. »

 

Le tribunal d’instance de STRASBOURG dans son jugement du 13 janvier 2017 a aussi adopté une réparation distincte de l’obligation de loyauté.

 

Les preneurs ont donc été indemnisés, d’une part pour les troubles de jouissance sous forme d’une remise partielle des loyers, et d’autre part pour le défaut d’information préalable à la signature du bail par des dommages-intérêts.

 

Le tribunal a ainsi jugé : « Attendu, sur l’obligation de loyauté du bailleur, qu’il est établi que lors de la conclusion du bail, il n’ignorait pas que des travaux importants de consolidation de l’immeuble allaient être engagés, de même qu’il n’ignorait pas la restructuration du premier étage, … que toutefois, il s’est abstenu de donner la moindre information à ses futurs locataires alors qu’il ne s’agissait pas de chantiers anodins, mais de chantier d’ampleur ; que ce défaut de loyauté dans l’information donnée lors de la conclusion du bail sera sanctionné par des dommages et intérêts. »

 

En conclusion, ce jugement combine justement l’article 1104 du code civil, qui est un principe des obligations contractuelles, et les dispositions spécifiques du contrat de louage.