« En moyenne un enfant apparaît, avant ses treize ans, sur 1 300 photos publiées sur les comptes de ses proches ou les siens »
Rapp. Ass. nat. 2023, n° 908, p. 35
Ce chiffre provient d’une étude réalisée par l’agence britannique Opinium pour la société britannique.
En janvier 2018, l'agence a fait un sondage auprès d'un panel représentatif de 2 001 parents habitants au Royaume-Uni ayant des enfants de 0 à 13 ans.
Elle a conclu que ces parents partageaient en moyenne 71 photos et 29 vidéos par an de leurs enfants à partir de leur naissance sur leurs réseaux sociaux personnels mais souvent accessibles au public.
Avec l'avènement des réseaux sociaux, la tentation de partager les moments précieux de notre vie, y compris ceux de nos enfants, est grande.
Cependant, cette pratique soulève des questions juridiques et éthiques importantes, particulièrement en matière de protection de la vie privée des enfants.
La récente loi française n°2024-120 du 19 février 2024, visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants, a mis en lumière les risques associés à la publication de photos de mineurs.
Faut-il donc arrêter de publier des photos de ses enfants sur les réseaux sociaux ? Je vous partage ici quelques éléments de réflexion.
Le contexte juridique
En France, la protection de la vie privée des enfants repose sur plusieurs piliers juridiques.
En effet, la législation française disposait déjà de différents outils pour garantir la protection de la vie privée des enfants, et plus spécifiquement de leur image.
- L’article 9 du Code Civil : cet article garantit le droit de chacun au respect de sa vie privée. Les enfants, en tant qu'individus et sujets de droits, bénéficient de cette protection. La diffusion non autorisée de leurs images peut constituer une atteinte à leur vie privée, justifiant des actions en justice pour faire cesser l'atteinte et obtenir des dommages et intérêts.
- Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) : en vigueur depuis mai 2018, le RGPD impose des règles strictes sur la collecte, le traitement et le stockage des données personnelles, y compris les photos. Les parents doivent s'assurer que la publication des photos de leurs enfants respecte ces règles, notamment en obtenant le consentement éclairé des enfants lorsqu'ils sont en âge de le donner.
- La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) : adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1989, la CIDE stipule que les enfants ont droit à la protection de leur vie privée (Article 16). Les États parties, dont la France, s'engagent à protéger les enfants contre les atteintes illégales à leur vie privée, leur famille, leur domicile ou leur correspondance.
- La loi n°2024-120 du 19 février 2024 : cette loi renforce spécifiquement la protection des enfants contre la diffusion non contrôlée de leurs images. Elle impose aux parents de réfléchir aux implications de la publication et de garantir que cela ne porte pas atteinte à la dignité ou à la sécurité de l'enfant. Les sanctions peuvent inclure des amendes et des peines de prison en cas de violations graves.
- La responsabilité civile des parents : les parents sont responsables des dommages causés par leurs enfants mineurs, mais aussi des dommages subis de leur fait par leurs enfants. La diffusion d'images pouvant porter atteinte à la vie privée ou à la sécurité de l'enfant peut engager la responsabilité civile des parents, entraînant des obligations de réparation financière.
Les risques pour la vie privée des enfants
On ne réalise pas toujours les risques et conséquences lorsque l’on publie une photo parfaitement anodine de nos enfants sur les réseaux sociaux.
Pourtant, cette simple action de notre part peut avoir des conséquences graves et parfois méconnues sur leur vie privée et leur sécurité.
Ayez toujours en tête que les images partagées en ligne peuvent être :
- Consultées par des inconnus : même avec des paramètres de confidentialité stricts, il est difficile de contrôler totalement l'accès à vos publications.
- Utilisées à des fins malveillantes : c’est malheureusement une triste réalité. Je ne vous donnerai qu’un seul chiffre : 50% des images pédopornographiques proviennent des réseaux sociaux. Aujourd’hui, il est extrêmement facile de détourner les photos les plus innocentes et de les utiliser dans des contextes inappropriés, voire illégaux.
- Disponibles indéfiniment : c’est un aspect qui nous échappe trop souvent mais une fois en ligne, il est quasiment impossible de supprimer définitivement une image. Elle peut être copiée et repostée par d'autres utilisateurs, même lorsqu’il s’agit d’une story.
Le consentement des enfants
Un aspect crucial de la loi n°2024-120 et du RGPD est la nécessité de recueillir le consentement des enfants avant de partager leurs images.
Aussi, en tant que parent, il est important de :
- Respecter leur volonté : les enfants, selon leur âge et leur maturité, doivent avoir leur mot à dire sur la publication de leurs photos.
- Les éduquer sur les risques : expliquer aux enfants les implications de la diffusion de leurs images peut les aider à comprendre pourquoi il est important de protéger leur vie privée.
L'utilisation commerciale des images
La loi encadre strictement l'utilisation commerciale des images d'enfants. Il est désormais illégal de monétiser les photos de vos enfants sans autorisation spécifique. Cela inclut les situations où des influenceurs ou des blogueurs utilisent les images de leurs enfants pour des collaborations ou des partenariats rémunérés.
Mais alors, faut-il arrêter de publier des photos de nos enfants sur les réseaux sociaux ?
De manière optimale, je ne vais pas vous mentir : oui, il le faudrait.
Cependant, pour les parents qui y tiennent, il existe un « vadémécum » de la publication ainsi que des alternatives à la publication.
Pour ceux qui souhaitent partager des moments familiaux tout en protégeant la vie privée de leurs enfants, voici quelques recommandations :
- Restreindre la diffusion :
- Ne pas ouvrir ses réseaux sociaux personnels à des inconnus et vérifier ses préférences de confidentialité: moins votre compte est accessible publiquement, moins vous prenez de risque ;
- Les groupes privés : utiliser des groupes restreints sur les réseaux sociaux où seuls des proches de confiance peuvent voir les publications.
- Les applications sécurisées : opter pour des applications de partage de photos sécurisées qui offrent un meilleur contrôle sur la confidentialité.
- Et pourquoi ne pas revenir au bon vieil albums photo, dans sa version papier pour les plus nostalgiques, ou numérique ?
- Être d’accord sur ce que vous publiez avec l’autre parent, surtout en cas de séparation : vous pourriez d’ailleurs mettre cet accord par écrit, par exemple au sein d’une charte. Cela fera également une bonne occasion d’évoquer le sujet avec vos enfants et de rediscuter avec eux de leur consentement.
- Éviter les situations embarrassantes ou tout simplement trop personnelles : état de santé, capacité ou incapacité de l’enfant, état émotionnel, condition physique, etc.
- Associer vos enfants à la diffusion de leur image : c’est désormais votre obligation en tant que parent. Cela vous permet de respecter leur vie privée, leur droit à l’image et leur consentement.
- Faire en sorte que vos enfants ne soient pas identifiables et ne pas divulguer d’informations personnelles : il s’agit de cacher leur visage (photographie de dos ou de profil, en mouvement, avec des lunettes de soleil, avec l’ajout d’un smiley ou flouter le visage, etc.), mais également de s’abstenir de divulguer des détails permettant leur identification, même de manière indirecte (nom, prénom, filiation, habitude de vie, localisation, etc.).
Conclusion
La question de savoir s'il faut arrêter de publier des photos de ses enfants sur les réseaux sociaux est complexe.
Si la loi n°2024-120 impose des restrictions et des responsabilités accrues, elle n'interdit pas totalement cette pratique.
Cependant, il est essentiel de prendre conscience des risques et de respecter les droits de ses enfants.
Je ne peux que vous recommander de faire preuve de prudence, de tempérance et de privilégier des alternatives plus sécurisées pour partager vos moments familiaux.
La protection de la vie privée de vos enfants doit toujours être votre priorité.
Et vous qu’en pensez-vous ? Venez me le dire en commentaire !
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