Article publié par Me Jérémie AHARFI, Avocat au barreau de Toulouse dans La Dépêche du Midi, Annonces légales du 5 Novembre 2023 pour l'Ordre des avocats toulousains.
Dans une série d’arrêts rendus le 13 septembre dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation a souhaité s’aligner sur la réglementation européenne en matière d’acquisition de droits aux congés payés par le salarié en arrêt de travail.
Depuis c’est la stupeur voire l’incompréhension qui fait place désormais à l’inquiétude au sein des organisations patronales et des services de ressources humaines.
Les dirigeants de nos petites et moyennes entreprises alertés par leur conseil (du Barreau de Toulouse) ou leur cabinet comptable ne sont pas en reste : vais-je désormais devoir payer des congés payés à mon salarié dès lors qu’il me fournit un arrêt de travail ?
Pour rappel, avant le réveil soudain de la Cour de cassation, un salarié en situation d’arrêt de travail « classique » dit non-professionnel, – nous excluons donc le cas de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle reconnue – n’étant plus dans une période de travail effectif, ne pouvait dans le même temps continuer à acquérir des droits à congés payés. Cette règle semblait pour le moins acceptable et acceptée par les employeurs et les salariés.
Cette règle générale était admise alors qu’il était su, par ailleurs, à tout le moins par nos représentants et quelques juristes initiés, que celle-ci contrevenait au droit européen.
La Cour siffle donc purement et simplement la fin de la distinction française entre arrêt professionnel et non-professionnel qui n’est pas prévue par les textes européens.
Devant l’absence totale d’ambiguïté de la Cour, le site en ligne du service public n’a pas attendu bien longtemps pour confirmer ce nouveau cadre.
Etonnant qu’à moitié lorsque l’on sait que dans un rapport annuel vieux de 10 ans, la Cour de cassation alertait déjà l’Etat sur la non-conformité de sa législation et de la possibilité d’action en responsabilité devant les juridictions administratives.
De responsabilité, il en sera certainement question prochainement puisque ce revirement pose finalement plus de questions qu’il n’apporte de réponse, le gouvernement ayant indiqué de son côté « qu’il étudiait les options possibles ».
Le Ministère du Travail devra rapidement rassurer et assurer une sécurité juridique aux entreprises tout en assumant l’inertie de ses prédécesseurs.
A défaut, nos entreprises seraient inévitablement exposées à deux types de risques : un risque économique du fait des rappels de droits à congé mais aussi un risque judiciaire lié à la responsabilité de l’employeur devant le Conseil de prud’hommes s’il ne satisfaisait pas la demande du salarié de surcroît lorsque l’on sait que ces risques concernent les arrêts en cours mais également les arrêts passés !
En effet, la prescription du droit à congé payé (triennale comme pour toute demande afférente à un élément de salaire devant la justice) ne débute que si l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer ce droit précise l’arrêt de la Cour de cassation.
Dès lors, la quasi-totalité des observateurs s’accordent à dire, qu’en l’état, des demandes rétroactives de congés payés pourraient éventuellement être présentées par des salariés sans limitation de durée à partir du moment où ces derniers n’y auraient pas renoncé volontairement (signature d’un solde de tout compte ou régularisation d’un protocole transactionnel par exemple).
Plusieurs pistes pourraient être à l’étude pour contrecarrer de telles demandes : par exemple la possibilité de plafonner à 15 mois, en vertu du droit européen (tant qu’à y faire), le délai de report des congés payés en cas d’arrêt maladie ou bien encore le plafonnement de jours de congés payés en cas d’arrêt longue maladie couvrant la totalité de la période de référence.
L’employeur aura sans doute tout intérêt à s’emparer de ces leviers liés à la période de référence pour la prise de congé payés, dans le cadre de la négociation collective par exemple.
Conclusion : si le législateur de tout bord a souhaité apporter ces dernières années une sécurité juridique aux employeurs, dernièrement encore par l’application d’un barème (Macron) sur le sujet des indemnités de rupture, son inertie rend illisible son devoir impératif de responsabilité et de sécurité juridique vis-à-vis des entreprises et des usagers de la justice.
Pas de contribution, soyez le premier