Une décision sévère et révélatrice

Par sa décision du 2 mai 2025 (CE, 2 mai 2025, n° 495728, inédit au recueil Lebon), le Conseil d’État illustre avec rigueur l’application du régime de responsabilité administrative en matière de sites pollués relevant des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Il y annule une ordonnance de référé qui avait suspendu plusieurs arrêtés préfectoraux imposant à une héritière des obligations environnementales, et tranche définitivement le débat en retenant que cette dernière peut être considérée comme ayant droit au sens de l’article R. 512-66-2 du code de l’environnement.

Les faits : une pollution ancienne et des héritiers pris au piège

L’affaire concerne un terrain sur lequel avaient été exploitées, entre 1959 et 1980, des activités industrielles soumises à déclaration ICPE (dégraissage, blanchisserie, etc.). Après cessation d’activité, le terrain a changé d’affectation pour un usage d’habitation, puis a été cédé. Des pollutions des sols ont été découvertes en 2023, conduisant la préfète à imposer des travaux de remise en état à une descendante de l’exploitant initial, en sa qualité d’ayant droit.

La requérante, Mme C., avait pourtant refusé la succession de sa mère, à qui les actifs d’exploitation avaient été transférés, et contestait être juridiquement l’ayant droit de l’exploitant initial. Malgré cela, le préfet a pris à son encontre trois arrêtés lui imposant des mesures de diagnostic environnemental et la consignation de 107 000 €.

Quels enseignements pour les acquéreurs ou héritiers de terrains ?

Cette décision mérite une analyse approfondie, tant elle étend le champ des personnes susceptibles d’être tenues à la remise en état.

  1. Le risque de transmission passive des obligations environnementales Le Conseil d’État confirme qu’un héritier – y compris non exploitant et non titulaire d’un titre sur les biens de l’activité polluante – peut être tenu comme ayant droit, dès lors qu’il est en mesure d’exercer un contrôle ou une influence sur le bien, ou qu’il en a hérité les obligations environnementales, même en l’absence d’exploitation directe.

  2. La qualité d'ayant droit n'est pas subordonnée à la détention d’un titre de propriété La requérante arguait qu’elle n’avait jamais possédé ni exploité les installations en question. Le Conseil d’État balaie cet argument, refusant d’annuler les arrêtés préfectoraux au seul motif de l’absence de lien actuel avec l’exploitation.

  3. Le refus de succession ne suffit pas à faire obstacle à la présomption de responsabilité Mme C. affirmait avoir refusé la succession de la personne ayant récupéré les actifs de l’ancienne sociétéexploitante. Le Conseil d’État juge toutefois que cette circonstance ne suffit pas à écarter sa qualité d’ayant droit. Il importe de souligner ici que la notion d’« ayant droit » n’est pas entendue strictement au sens du droit civil, mais de façon finaliste et extensive, au regard des objectifs de protection de l’environnement.

Quels moyens de défense ont été rejetés ?

Le Conseil d’État rejette, comme ne créant pas de doute sérieux, plusieurs moyens de la requérante :

  • absence de motivation suffisante de l’arrêté ;

  • absence de qualité d’exploitant ou d’ayant droit ;

  • transmission des actifs à une autre société ;

  • refus de la succession.

De même, l’urgence liée à la situation financière de la requérante n’est pas retenue comme suffisante : le juge de cassation considère que le juge des référés a commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte l’intérêt public de la dépollution, et en ne procédant pas à une évaluation objective de l’urgence.

Quels conseils pour les acquéreurs ou héritiers de terrains anciennement industriels ?

  1. Mener une enquête approfondie en amont de toute acquisition ou acceptation d’héritage Il convient de consulter les bases de données BASOL et ICPE, de vérifier les antécédents industriels du site (via les archives communales ou les DREAL) et de réclamer les diagnostics environnementaux éventuellement existants.

  2. Insérer des clauses de garantie dans les actes notariés Lors d’une vente, exiger des garanties d’éviction environnementale, assorties de conditions suspensives (diagnostics, absence d’arrêté préfectoral en cours, etc.).

  3. Anticiper les conséquences d’une acceptation de succession L’héritier d’un bien situé sur un ancien site industriel peut se voir imposer des travaux de dépollution très coûteux. En cas de doute, la renonciation à la succession doit être envisagée avec attention, mais cette affaire montre qu’elle peut ne pas suffire à exclure toute mise en cause.

  4. Solliciter l’aide de l’État dans le cadre de la police des sites orphelins Dans certaines situations, les collectivités ou les services de l’État peuvent intervenir via le fonds pour la réhabilitation des sites pollués (FRSP), notamment si aucun responsable solvable n’est identifiable.

Conclusion

Cette décision est un signal fort adressé à tous les acteurs fonciers : le Conseil d’État confirme une lecture large et rigoureuse de la notion d’ayant droit, dans le seul but de garantir la remise en état des sites pollués, quitte à sacrifier les droits patrimoniaux d’individus parfois très éloignés de l’activité initiale. Elle appelle, en réponse, à une vigilance contractuelle et patrimoniale accrue, et à un accompagnement juridique systématique en matière de terrains à passif environnemental potentiel.