La récente décision de la CAA de Lyon du 18 septembre 2025 a rappelé, avec une clarté presque pédagogique, qu’une VEFA conclue par un acheteur public n’est jamais “à l’abri” d’une requalification en marché de travaux dès lors que le maître d’ouvrage public façonne l’opération immobilière au-delà d’un simple achat “sur plan”.

Mais que signifie, très concrètement, cette requalification ? Quels risques opérationnels, budgétaires, contentieux et procéduraux en découlent ?

Pour le comprendre, rien ne vaut une mise en situation inspirée des faits de l’affaire jugée, mais transposée dans un scénario fictif proche de la pratique quotidienne des collectivités.


I – Le scénario : quand une VEFA “confortable” devient un marché public… à l’insu de l’acheteur

Les protagonistes

  • Une commune de 25 000 habitants, “Ville-sur-Rivière”, souhaite regrouper son centre technique municipal dans un bâtiment moderne.

  • Elle repère un programme immobilier privé comprenant bureaux + locaux d’activité.

  • Le promoteur propose une VEFA clé en main pour livrer un bâtiment adapté aux besoins municipaux.

Le contrat signé

La commune signe une VEFA : prix ferme, livraison à 24 mois. Mais le programme technique de la commune est extrêmement précis :

  • surface divisible au m² près ;

  • hauteur sous plafond augmentée ;

  • modification de la structure porteuse pour accueillir un pont roulant ;

  • redéfinition intégrale de l’enveloppe du bâtiment pour des raisons acoustiques ;

  • suivi rapproché par son AMO et son service technique (réunions de chantier, arbitrages, recalages calendaires, comptes rendus).

L’incident

À la livraison, le promoteur n’a pas levé toutes les réserves. La commune applique une pénalité contractuelle importante. Le promoteur saisit le juge judiciaire pour contester. La commune forme une demande reconventionnelle.


II – Le grain de sable : le juge estime que… ce n’était pas une VEFA

En défense, le promoteur soutient que :

  • c’est une VEFA pure et simple ;

  • l’opération relève donc du juge judiciaire ;

  • les pénalités doivent être annulées.

La commune, elle, estime qu’il s’agit d’un contrat privé.

Mais, comme dans l’affaire de l’OPH Deux Fleuves Rhône Habitat, la juridiction saisie relève plusieurs éléments décisifs (tirés mot pour mot des critères retenus par la CAA de Lyon) :

L’acheteur a exercé « une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage », notamment sur : – l’architecture, – les dimensions, – les murs porteurs, – l’enveloppe extérieure, – et des aménagements intérieurs d’une ampleur inhabituelle.

Requalification d’une VEFA en marché public.

Le juge conclut donc que :

  • le contrat, même signé par acte notarié, est en réalité un marché public de travaux,

  • soumis aux articles L. 1111-1 et L. 1111-2 du code de la commande publique.

Résultat immédiat : ➡️ le juge judiciaire se déclare incompétent. ➡️ Le dossier repart devant le tribunal administratif.


III – Les conséquences juridiques très concrètes pour la commune (et les risques cachés)

1. Le contrat est irrégulier : absence de publicité et de mise en concurrence

La commune aurait dû lancer :

  • un appel d’offres,

  • avec mise en concurrence des promoteurs, architectes et entreprises.

La requalification produit un effet cinglant : ➡️ le contrat est entaché d’irrégularité grave.

Même si la requalification n’entraîne pas systématiquement la nullité, elle ouvre toute une panoplie de risques :

Risques possibles

  • action en référé contractuel ou précontractuel (si le délai est encore ouvert),

  • indemnisation d’entreprises évincées,

  • annulation pour manquement aux obligations de publicité,

  • requalification des pénalités ou du prix.


2. Les pénalités contractuelles deviennent… discutables

Le promoteur peut soutenir :

  • que les pénalités ne respectent pas les règles de la commande publique ;

  • qu’elles doivent être modulées ;

  • que la clause n’est pas compatible avec un marché public.

Cela oblige la collectivité à reprendre sa stratégie contentieuse.


3. Le juge administratif devient compétent… et la procédure recommence

Changement radical :

  • nouvelles écritures,

  • nouveau calendrier procédural,

  • potentielle expertise judiciaire,

  • allongement considérable de la durée du litige.


4. Le risque d’un “rééquilibrage” économique du contrat

Le promoteur peut demander :

  • indemnisation de travaux supplémentaires ;

  • révision du prix ;

  • compensation pour sujétions imprévues.

Là encore, un effet boomerang typique des requalifications.


IV – La morale de l'histoire : la frontière VEFA / marché de travaux est devenue extrêmement mince

Ce cas pratique montre bien que :

  • Une VEFA signée par un acheteur public n’est pas un abri juridique.

  • La moindre participation  de la collectivité à la conception peut renverser la qualification.

  • Le risque n’est plus théorique : la CAA de Lyon l’a confirmé avec force dans son arrêt du 18 septembre 2025, dont les enseignements sont limpides.

  • Dans la pratique, la surveillance de l’opération, le suivi de chantier, la modification des structures ou la définition très pointue des besoins peuvent suffire.


Conclusion : ce que doivent retenir les acheteurs publics

1. Une VEFA n’est juridiquement sûre que si la collectivité reste “spectatrice” de la conception.

Dès que l’acheteur veut façonner l’ouvrage, il doit basculer dans un marché public de travaux.

2. Il est essentiel de documenter (ou limiter) l’influence exercée.

3. Il faut anticiper les risques contentieux : compétence, nullité, prix, pénalités.

4. En cas de doute : sécuriser par une procédure de mise en concurrence.

Cet arrêt marque donc une nouvelle étape dans la jurisprudence : ➡️ la VEFA n’est pas un outil de contournement de la commande publique, même involontaire. ➡️ Le critère central devient la réalité de l’influence exercée, non la forme notariale du contrat.

Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en Droit de l’environnement, Bureau de Grasse : 48 Avenue Pierre Sémard, 06130 GRASSE et bureau de Paris : 222 Bd Bd Saint Germain, 75007 PARIS. Tel :  01 42 60 04 31 (Paris) ou 04 93 69 36 85 - Le Cannet et Grasse.