Introduction

La confrontation de la personne vulnérable, particulièrement le majeur faisant l'objet d'une mesure de protection juridique, à la procédure pénale coercitive de la garde à vue, constitue un point de tension fondamental entre les exigences de l'enquête et la protection des droits fondamentaux. 

Le législateur français a tenté d'apporter une réponse à cet enjeu par l'instauration d'un régime dérogatoire spécifique, codifié au Titre XXVII du code de procédure pénale (CPP).

C'est le contexte dans le cadre duquel est intervenue la décision n° 2025-1169 QPC, rendue le 3 octobre 2025 par le Conseil constitutionnel. 

Saisi le 9 juillet 2025 par la Cour de cassation (Chambre criminelle, arrêt n° 1069 du 25 juin 2025), le Conseil constitutionnel a été invité à se prononcer sur la conformité de certaines dispositions de l'article 706-112-1 du code de procédure pénale aux droits et libertés que la Constitution garantit. 

Le requérant, M. Éric G., soutenait que ces dispositions méconnaissent les droits de la défense et le droit à un procès équitable, garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Le cœur du grief reposait sur l'argument selon lequel le majeur protégé, présumé ne pas disposer du « discernement nécessaire à l'exercice de ses droits », ne pouvait voir la garantie de ces derniers assurée par la simple information de son tuteur ou curateur. Le requérant en déduisait que seule l'assistance obligatoire et systématique d'un avocat dès le début de la mesure pouvait constituer une garantie effective

La question prioritaire de constitutionnalité posait donc au Conseil le problème de droit suivant : le mécanisme de protection du majeur protégé en garde à vue, qui repose non pas sur l'assistance systématique d'un avocat, mais sur l'information de l'organe de protection (tuteur, curateur, mandataire spécial) et sur la faculté laissée à ce dernier de désigner un avocat, constitue-t-il une garantie suffisante et effective des droits de la défense ?

Par sa décision du 3 octobre 2025, le Conseil constitutionnel déclare les dispositions contestées conformes à la Constitution.  

I. La position du Conseil constitutionnel

L'argumentation du requérant reposait sur un syllogisme simple : la vulnérabilité intrinsèque du majeur protégé, caractérisée par un discernement altéré, rendait de facto inopérante la simple notification de ses droits. Il en déduisait la nécessité d'une protection maximale et automatique : l'assistance obligatoire d'un avocat, seule à même de pallier cette incapacité.

Or, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel n'évalue pas si le dispositif législatif est le meilleur possible, mais s'il est suffisant pour garantir les droits de la défense. 

En l’espèce, le dispositif de l’article 706-112-1 du Code de procédure pénale prévoit que : 

« Lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d'une personne font apparaître que celle-ci fait l'objet d'une mesure de protection juridique, l'officier ou l'agent de police judiciaire en avise le curateur ou le tuteur. S'il est établi que la personne bénéficie d'une mesure de sauvegarde de justice, l'officier ou l'agent de police judiciaire avise s'il y a lieu le mandataire spécial désigné par le juge des tutelles.

Si la personne n'est pas assistée d'un avocat ou n'a pas fait l'objet d'un examen médical, le curateur, le tuteur ou le mandataire spécial peuvent désigner un avocat ou demander qu'un avocat soit désigné par le bâtonnier, et ils peuvent demander que la personne soit examinée par un médecin.» 

Ainsi, l'article 706-112-1 du CPP impose aux enquêteurs d'aviser le curateur ou le tuteur dès que la mesure de protection est connue. Une fois avisé, cet organe de protection « peut » désigner un avocat ou demander qu'un avocat soit désigné par le bâtonnier, si la personne n'est pas déjà assistée.

Le Conseil constitutionnel a notamment indiqué dans sa décision que : 

« 4. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Sont garantis par ces dispositions les droits de la défense.

5. Il résulte du 3° de l’article 63-1 du code de procédure pénale que toute personne majeure placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de son droit d’être assistée par un avocat. 

6. L’article 706-112-1 du même code prévoit que, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue font apparaître que la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique, l’officier ou l’agent de police judiciaire en avise, selon les cas, le tuteur, le curateur ou le mandataire spécial désigné par le juge des tutelles.

 7. En application des dispositions contestées, si la personne protégée placée en garde à vue n’est pas assistée d’un avocat, son tuteur, son curateur et le mandataire spécial peut désigner ou demander la désignation d’un avocat. 

8. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu que le majeur protégé, qui peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles, soit assisté, au cours de la garde à vue, dans l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat. 

9. Ainsi, les dispositions contestées impliquent nécessairement que, lorsqu’il est avisé de la garde à vue d’un majeur protégé, le tuteur, le curateur ou le mandataire spécial doit être informé par les enquêteurs qu’il peut désigner ou faire désigner un avocat par le bâtonnier pour assister le majeur protégé pendant l’exécution de cette mesure » 

Ainsi, il estime que ces dispositions sont « de nature à assurer à la personne protégée l'exercice effectif de ses droits lors de la garde à vue ».

Il convient de souligner que selon le Conseil constitutionnel, l’avis au tuteur, curateur ou au mandataire spécial  implique nécessairement que, lorsqu'il est avisé de la garde à vue d'un majeur protégé, ce dernier soit informé par les enquêteurs qu'il peut désigner ou faire désigner un avocat.

Cette précision est fondamentale. En effet, un tuteur n'est pas présumé connaître les subtilités du code de procédure pénale. Sans cette information active de la part de l'OPJ, la faculté d'agir offerte par la loi resterait lettre morte. 

Le Conseil transforme donc ce qui était un simple « avis » de placement en garde à vue dans le texte en une « notification de droits » circonstanciée.

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel estime que le dispositif actuel de l'article 706-112-1 est de nature à assurer à la personne protégée l’exercice effectif de ses droits lors de la garde à vue, et ne méconnaît donc pas les droits de la défense.

II. Pour aller plus loin… 

En outre, il convient de souligner que l'alinéa 4 de l'article 706-112-1 du Code de procédure pénale dispose que les diligences de l'OPJ pour aviser le tuteur « doivent intervenir au plus tard dans un délai de six heures » à compter de la découverte de la mesure de protection.

L’on pourrait dès lors s’interroger sur la possibilité d’auditionner un majeur protégé qui n’a pas souhaité l’assistance d’un Conseil avant que son tuteur, curateur ou mandataire spécial en soit informé et avant l’expiration du délai précité. 

De plus, ce délai de six heures n'est lui-même pas absolu. 

En effet, il est possible de différer la délivrance de cet avis, voire de le supprimer en cas de circonstances insurmontables ou de décision du procureur de la République ou du juge d’instruction : 

« Sauf en cas de circonstance insurmontable, qui doit être mentionnée au procès-verbal, les diligences incombant aux enquêteurs en application du présent article doivent intervenir au plus tard dans un délai de six heures à compter du moment où est apparue l'existence d'une mesure de protection juridique.

Le procureur de la République ou le juge d'instruction peut, à la demande de l'officier de police judiciaire, décider que l'avis prévu au présent article sera différé ou ne sera pas délivré si cette décision est, au regard des circonstances, indispensable afin de permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne » (article 706-112-1 al 4 et 5). 

La décision du Conseil constitutionnel précitée n’analyse pas la conformité de ces dispositions à la constitution. 

Dans ces conditions, l’on pourrait craindre, dans certains cas d’espèce, l’anéantissement de la garantie que le Conseil vient de valider.

En effet, tout le raisonnement du Conseil constitutionnel précité repose sur l'idée que l'avis au tuteur, curateur ou au mandataire spécial assure l'exercice effectif des droits. 

Or, si cet avis peut être différé, voire ne pas être délivré sur décision du parquet ou du juge d’instruction, la garantie constitutionnelle s'effondre. 

Le majeur protégé se retrouve alors dans une situation plus défavorable que le majeur de droit commun : son discernement est présumé altéré (ce qui justifie le régime spécial), mais la protection spéciale elle-même est neutralisée pour les besoins de l'enquête. 

Les critères sont certes stricts, mais ils créent un conflit direct et non résolu entre les nécessités de l'enquête et la protection d'une personne en état de vulnérabilité avérée.

Néanmoins, dans un arrêt du 2 septembre 2025 (Cass. crim., n° 24-82.392), la Cour de cassation a rappelé que les dispositions de cet article « ont pour objet d’assurer l’assistance effective du majeur protégé dans l’exercice de la défense ou de la préservation de ses droits »  et que le non-respect de ces dispositions « fait nécessairement grief à l’intéressé ». 

La Cour de cassation n’a pas formellement indiqué que le majeur protégé pourrait être entendu, en dehors de la présence de son avocat, avant l’expiration de ce délai. 

Cependant, en indiquant que ces dispositions  « ont pour objet d’assurer l’assistance effective du majeur protégé dans l’exercice de la défense ou de la préservation de ses droits », il nous semble qu’il ne saurait être envisagé de mettre en place une telle mesure sous peine de nullité de la procédure. 

En l’absence de validation explicite de ce raisonnement un risque demeure dans l’atteinte potentielle aux droits des majeurs protégés lorsqu’ils font l’objet d’une mesure de garde à vue… 

Il convient à ce titre de souligner qu’en cas de poursuite du majeur protégé, l’assistance de l’avocat est obligatoire (article 706-116 du Code de procédure pénale). 

À ce titre, l’on peut s’interroger sur cette différence de traitement et de degré de protection entre la phase d’enquête et celle de poursuite. 

Cette dichotomie est d'autant plus critiquable que la phase de garde à vue est stratégiquement le moment le plus décisif de la procédure pénale. 

C'est lors des premières auditions que les “aveux” sont souvent recueillis et que le sort d'une affaire se joue. Il est paradoxal que le législateur ait rendu l'avocat obligatoire pour la phase de poursuite, où la procédure est plus formelle et contradictoire, tout en laissant une protection déléguée au tuteur pour la phase d'enquête initiale, la plus inquisitoire et la plus dangereuse pour une personne vulnérable. 

Ainsi, l’on pourrait légitimement souhaiter un changement législatif afin de simplifier le dispositif existant en mettant en place l’assistance obligatoire de l’avocat dès le début de la garde à vue pour tout majeur protégé.

Dans cette attente, il convient d’être vigilant en cas d’assistance d’un majeur protégé lorsqu’il fait l’objet d’une mesure de garde à vue…

Et en cas d’audition du majeur protégé en dehors de son Conseil, en l’absence d’avis de son tuteur, curateur ou mandataire spécial, il nous semble opportun de tenter de soulever la nullité des auditions, et le cas échéant d’envisager le dépôt d’une QPC concernant la conformité des alinéas 4 et 5 de l'article 706-112-1 à la Constitution.