Le 3 novembre 2025, le tribunal administratif de Paris a rendu un jugement intéressant en matière de crédit d’impôt recherche (TA Paris, 3 nov. 2025, n° 2329465, SAS Lineup 7), à l’issue d’une procédure contentieuse engagée avec Me Frédéric Teper, pour le compte de l’un de nos clients.
Cette décision mérite à notre sens d’être signalée, en ce qu’elle apporte des éclaircissements utiles sur l’appréciation des dépenses de personnel éligibles au CIR, en particulier lorsque la participation aux opérations de recherche repose non pas sur une convention de mise à disposition de droit commun, mais sur les stipulations d’un pacte d’associés.
Dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’État, et notamment de l’arrêt Intuigo (CE, 25 janv. 2017, n° 390652), le tribunal réaffirme une lecture finaliste du texte fiscal : l’éligibilité de la dépense doit s’apprécier à l’aune de la réalité de la contribution aux travaux de recherche, indépendamment de la forme juridique de l’instrument qui organise cette contribution.
Rappel des faits :
La société LineUp 7 a sollicité, au titre de son exercice 2022, le bénéfice du CIR en intégrant, parmi les dépenses de personnel, une quote-part facturée par l’un de ses associés, la société Iprecise.
Cette dernière mettait à disposition de LineUp 7 son dirigeant, chargé d’assurer la direction du département R&D et d’intervenir sur des projets de recherche menés en interne, dans les locaux de LineUp 7 et avec les moyens de celle-ci. Seule la fraction correspondant au temps effectivement consacré à ces opérations de recherche a été valorisée dans la base du crédit d’impôt, pour un montant de 95 367 euros.
Estimant que ces dépenses correspondaient à des prestations de services facturées par une société tierce et non à des dépenses de personnel, l’administration a procédé à leur exclusion de l’assiette du CIR, ce qui a conduit à une demande de conciliation préalable à l’instance.
Arguments du conciliateur fiscal :
Saisi dans le cadre de la phase précontentieuse, le conciliateur fiscal n’a pas donné satisfaction à la société LineUp 7, estimant que les conditions d’éligibilité des dépenses invoquées n’étaient pas réunies.
Il a d’abord rappelé le cadre juridique applicable : bien que le bénéfice du CIR puisse être étendu à des personnels de recherche qui ne sont pas salariés de l’entreprise utilisatrice, à condition qu’ils soient mis à sa disposition par une autre entité, cette mise à disposition doit intervenir dans les conditions du prêt de main-d’œuvre à but non lucratif prévues aux articles L. 8241-1 et L. 8241-2 du Code du travail, et donner lieu à une facturation à prix coûtant. En d’autres termes, l’opération ne doit pas comporter de marge et doit refléter strictement le coût réel de la rémunération et des charges sociales.
Or, en l’espèce, plusieurs éléments ont conduit le conciliateur à se prononcer négativement. Il a en effet relevé que les factures produites par la société Iprecise mentionnaient des « honoraires de management » soumis à TVA, ce qui, selon lui, traduisait l’existence d’une valeur ajoutée et donc d’une activité à but lucratif incompatible avec un prêt de main-d’œuvre. Il a également souligné l’absence de tout contrat de mise à disposition formel entre LineUp 7 et Iprecise, ce qui empêchait, selon lui, de relier les facturations aux conditions d’une mise à disposition conforme au droit du travail.
En l’absence de ventilation précise des rémunérations ou d’un calcul au réel (« à l’euro, l’euro »), le conciliateur a considéré que les prestations facturées ne pouvaient être regardées comme des dépenses de personnel mais comme des prestations de services externes, inéligibles au crédit d’impôt recherche.
La société LineUp 7 se référait à ce stade, pour sa part, à l’arrêt de la CAA de Nantes du 5 novembre 2020, n°19NT00453, (SAS Kauffer-SMO International), dans lequel des dépenses similaires avaient été admises au bénéfice du CIR malgré l’absence de contrat de mise à disposition formelle et en présence d’une facturation forfaitaire. Le conciliateur a écarté cette référence, au motif que cette décision s’inscrivait dans un contexte de contrôle fiscal, et non dans celui d’une réclamation contentieuse postérieure à la liquidation de l’impôt, comme en l’espèce. Il a estimé qu’il s’agissait là de deux procédures distinctes, fondées sur des cadres factuels et juridiques difficilement transposables.
Enfin, le conciliateur a insisté sur le fait que le pacte d’associés invoqué par la société mentionnait que les opérations de recherche étaient qualifiées de « services » assurés par Iprecise, sans précision sur le mode de calcul des coûts refacturés ni sur la part exacte correspondant aux rémunérations affectées aux travaux de recherche. Il en a conclu que les conditions d’éligibilité au titre des dépenses de personnel n’étaient pas remplies, renvoyant la société à l’appréciation du tribunal.
Arguments du contribuable :
Devant le tribunal administratif, la société LineUp 7 a soutenu que les dépenses litigieuses répondaient pleinement aux critères jurisprudentiels d’éligibilité au CIR, en se fondant sur une ligne constante de décisions, tant du Conseil d’État que des juridictions du fond.
Elle a d’abord rappelé que le b) du II de l’article 244 quater B du CGI, s’il vise les « dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations », ne limite pas pour autant ces dépenses aux seuls salariés de l’entreprise. Le Conseil d’État a, dès 2007 (CE, 25 mai 2007, Dani Alu, n°297280), admis l’éligibilité des rémunérations versées à des dirigeants participant directement aux travaux de recherche.
Ce raisonnement a été clarifié et élargi par l’arrêt Intuigo (CE, 25 janv. 2017, n° 390652), dans lequel la haute juridiction a reconnu que les dépenses engagées pour la mise à disposition de personnel par un tiers, à condition que les intéressés effectuent leurs travaux dans les locaux et avec les moyens de l’entreprise, peuvent être considérées comme des dépenses de personnel, indépendamment de la nature du lien juridique (il s’agissait en l’espèce d’une convention de mise à disposition de personnel).
S’appuyant sur cette lecture finaliste, la société a soutenu que la jurisprudence, mais également la doctrine[1], avait clairement abandonné la distinction strictement formelle entre salariés et non-salariés, au profit d’un critère opérationnel : celui de l’implication directe et effective dans des travaux de recherche internes.
Elle a également cité deux arrêts de CAA ayant prolongé cette logique :
- CAA Douai, 4 févr. 2020, n° 18DA00507 : reconnaissance de l’éligibilité d’un dirigeant de société tiers, malgré une convention visant la réalisation de « prestations de service de diverses natures », moyennant rémunération déterminée en fonction du volume des prestations fournies et majorées de 10%, en raison de sa participation effective à la R&D interne ;
- CAA Nantes, 5 nov. 2020, n° 19NT00453 (Kauffer-SMO) : validation d’une refacturation forfaitaire opérée dans le cadre d’une convention de management, là encore au motif que les opérations de recherche étaient réalisées en interne, avec les moyens de l’entreprise utilisatrice (citation in extenso de l’arrêt « Intuigo ». La cour a confirmé que « La circonstance qu’il s’agissait d'un contrat de mandat régi par les articles 1984 et suivants du code civil et non par le biais d'une convention de mise à disposition de personnel est à cet égard sans incidence sur l'éligibilité de ces dépenses au crédit d'impôt ».
Dans le prolongement de ces jurisprudences, LineUp 7 a démontré que la mise à disposition opérée par son associée Iprecise remplissait toutes les conditions exigées :
- l’intervenant exécutait ses missions au sein de LineUp 7, sur des projets de recherche collaboratifs avec les équipes internes,
- seule la quote-part de son activité consacrée à la R&D (77 jours sur l’année, soit 35% des jours travaillés, facturés au taux journalier de 1 238,53 € ) a été valorisée, pour un montant de 95 367 €,
- cette répartition figurait dans le tableau des frais de personnel de la société présent dans le dossier justificatif du CIR pour l’exercice,
- cette valorisation est adossée à une base cohérente avec la rémunération globale et les charges sociales supportées par Iprecise, telles que reflétées dans ses comptes annuels fournis en annexe.
Elle a également souligné que le support juridique, un pacte d’associés, ne faisait pas obstacle à l’éligibilité des dépenses, dès lors que les conditions matérielles d’une mise à disposition étaient remplies. Elle a contesté toute requalification en sous-traitance externe, en insistant sur le fait que les opérations de recherche étaient menées en interne, au sein et avec les moyens de l’entreprise, ce qui excluait toute application du régime des prestations sous-traitées (l’intervenant ne s’organisait pas comme un prestataire libre de ses choix techniques. Il n’intervenait pas dans le cadre d’une mission ponctuelle dans ses propres locaux et avec ses propres ressources).
Enfin, le libellé des factures (« honoraires de management »), le vocable « services », la forme de la refacturation ou encore l’absence d’un contrat au sens du Code du travail étaient, selon elle, indifférents dès lors que la réalité économique démontrait une affectation effective aux opérations de recherche.
Arguments de l’administration fiscale :
Devant le tribunal administratif, l’administration fiscale n’a pas répondu à l’ensemble des arguments de la société.
Elle a d’abord cherché à distinguer le cas d’espèce d’une des jurisprudences invoquées par la société, notamment l’arrêt de la CAA de Nantes du 5 novembre 2020 (SAS Kauffer-SMO International), en relevant que cet arrêt admettait l’application des règles de mise à disposition de personnel en présence d’une convention de management et d’une facturation forfaitaire, mais uniquement sous certaines conditions. Selon l’administration, ces conditions n’étaient pas réunies en l’espèce.
En particulier, elle a estimé que le pacte d’associés produit par LineUp 7 ne pouvait être assimilé ni à un contrat de mandat, ni à une convention de mise à disposition de personnel. Elle a insisté sur le fait que ce document mentionnait que la société Iprecise « s’engage à prendre en charge les opérations de recherche et développement », ces « services » étant assurés par son dirigeant, ce qui renverrait davantage, selon elle, à une prestation de services qu’à une mise à disposition stricto sensu de personnel.
S’appuyant sur le droit du travail, l’administration a rappelé qu’une convention de mise à disposition doit comporter a minima la durée de la mise à disposition, l’identité et la qualification du salarié, ainsi qu’un mode de calcul transparent permettant de refacturer le coût réel du travail (rémunérations, charges sociales, frais remboursés), à l’exclusion de toute marge. En d’autres termes, seule une facturation dite « à l’euro, l’euro » serait conforme à la légalité du prêt de main-d’œuvre à but non lucratif.
Or, selon elle, aucune pièce produite par la société ne permettait de démontrer une telle refacturation au coût réel. Le pacte d’associés ne comportait pas d’éléments permettant d’identifier clairement la rémunération du dirigeant, ni de lien direct entre les montants facturés et un calcul détaillé à partir de la base de rémunération brute et des charges sociales afférentes.
L’administration a également mis en avant le caractère forfaitaire des factures, leur libellé (« honoraires de management ») et la soumission à la TVA comme autant d’indices renforçant le caractère lucratif de l’opération. Elle a enfin souligné que des frais indirects, tels que des frais de structure ou de gestion, pouvaient être inclus dans les montants facturés, sans ventilation ni exclusion, ce qui serait également contraire à l’exigence de transparence du calcul.
Dans cette perspective, les dépenses en cause ne pouvaient, selon l’administration, être regardées comme des dépenses de personnel éligibles au sens du b) du II de l’article 244 quater B du CGI, mais relevaient au contraire de prestations de services, soumises aux règles applicables à la sous-traitance externe.
La décision du tribunal administratif : validation d’une approche finaliste de la notion de dépenses de personnel
- Sur les dépenses à prendre en compte :
Dans son considérant n°2, le tribunal reprend textuellement la formule consacrée par le Conseil d’État dans sa décision Intuigo (CE, 25 janv. 2017, n° 390652), également reprise dans l’arrêt de la CAA de Nantes du 5 novembre 2020 (n° 19NT00453, Kauffer-SMO) :
« Les dispositions du II de l’article 244 quater B du code général des impôts ne limitent pas les dépenses de personnel susceptibles d’ouvrir droit au crédit d’impôt aux seules rémunérations et charges sociales versées pour des personnes employées par l’entreprise et affectées à des opérations de recherche […], mais s’étendent aux rémunérations et aux charges sociales prises en charge par l’entreprise au titre de la mise à sa disposition par un tiers de personnes afin d’y effectuer dans ses locaux et avec ses moyens des opérations de recherche. »
Ce rappel jurisprudentiel constitue le socle du raisonnement du tribunal, qui privilégie une lecture économique et finaliste du dispositif, fondée sur la réalité de la participation aux opérations de recherche interne, indépendamment de la nature formelle du lien juridique.
Dans son considérant n°4, le tribunal prend acte de la ventilation opérée par la société LineUp 7 entre deux catégories de prestations facturées par Iprecise :
- une quote-part (95 367 €) correspondant à 77 jours de travail en 2022 (soit 35 % du temps travaillé), affectée à des activités de recherche,
- le solde (174 633 €) afférent à des prestations de direction, non valorisé au titre du CIR.
Il constate que :
- cette ventilation a été dûment présentée dans le dossier justificatif (notamment via le tableau des frais de personnel),
- l’administration n’a pas contesté cette répartition (« sans être utilement critiquée sur ce point par le service »).
Le tribunal ne formule aucune exigence de ventilation « à l’euro, l’euro », ni ne sanctionne l’absence d’un contrat de mise à disposition. Il relève simplement que la société a opéré une distinction cohérente entre les activités éligibles et non éligibles, et que les conditions matérielles d’une mise à disposition effective en interne étaient remplies.
Si certaines critiques formulées par le conciliateur et reprises par l’administration (absence de contrat, application de la TVA, absence de ventilation sociale détaillée) sont implicitement écartées, elles ne font l’objet d’aucun développement dans la motivation du jugement. Leur rejet est donc à interpréter comme la conséquence logique du raisonnement principal : dès lors que la personne est mise à disposition dans les locaux et avec les moyens de l’entreprise utilisatrice, la forme juridique de l’opération devient secondaire.
- Sur l’instrument juridique et le vocable « services »
Dans le même considérant, le tribunal rappelle que l’intervention du dirigeant de la société Iprecise était prévue par le pacte d’associés conclu entre LineUp 7 et Iprecise, et ne formule aucune critique quant à l’utilisation du terme « services » dans ce document. Ce point, pourtant fortement mis en avant par l’administration pour tenter de requalifier l’opération en prestation de sous-traitance, n’a pas retenu l’attention du juge.
Surtout, le tribunal affirme de manière claire que :
« La circonstance que M. B. soit intervenu dans la société LineUp 7 par le biais d’un pacte d’associés et non par le biais d’une convention de mise à disposition de personnel est à cet égard sans incidence sur l’éligibilité de ces dépenses au crédit d’impôt. »
Cette formulation consacre une lecture ouverte et non formaliste des instruments juridiques mobilisés pour organiser la mise à disposition, dès lors que la réalité opérationnelle d’une participation à des travaux de recherche en interne est établie. Elle conforte également l’idée, développée dans la jurisprudence Intuigo puis reprise par les CAA (Douai, 4 févr. 2020, et Nantes, 5 nov. 2020), selon laquelle la qualification d’une mise à disposition au sens fiscal ne suppose pas l’existence d’un contrat de droit du travail.
Le cœur du raisonnement reste donc centré sur un critère matériel : la réalisation effective, dans les locaux de LineUp 7 et avec ses moyens, d’activités de recherche relevant du CIR.
Le juge relève enfin que cette condition centrale n’a pas été contestée par l’administration : l’intervenant effectuait bien ses missions aux côtés des équipes internes, sur les projets R&D de l’entreprise. Cette absence de contestation, ajoutée à la ventilation claire des prestations, a conduit le tribunal à considérer que les sommes facturées pour la part de son temps affectée à la recherche devaient bien être retenues au titre du crédit d’impôt.
Ainsi, ce jugement du tribunal administratif de Paris s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle désormais claire : après avoir reconnu l’éligibilité au CIR des dépenses de personnel mises à disposition via (i) une convention de mise à disposition de personnel (CE, Intuigo), (ii) une convention de « prestations de service de diverses natures » (CAA Douai, 4 févr. 2020), puis (iii) un contrat de mandat régi par les articles 1984 et suivants du Code civil (CAA Nantes, 5 nov. 2020), la juridiction administrative valide aujourd’hui la mise à disposition opérée sur le fondement d’un pacte d’associés.
Cette décision participe donc à la consolidation d’une approche finaliste en matière de CIR : la nature de l’instrument juridique mobilisé importe peu, dès lors que les conditions matérielles de la mise à disposition sont réunies : exécution des travaux en interne, avec les moyens et dans les locaux de l’entreprise utilisatrice.
[1] Voir notamment le rescrit 2009/53 (FE) du 15-9-2009 reprise au BOI-BIC-RICI-10-10-20-20 n°330, ainsi que les conclusions du rapporteur public Romain Victor sous l’arrêt « Intuigo ».

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