« La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties ». A force de le répéter, cela entre, parfois, dans l’oreille d’un magistrat attentif et audacieux.
Par un jugement du 26 février 2016, le tribunal correctionnel de Créteil a offert une belle victoire (mais non définitive, le parquet, mauvais joueur, ayant interjeté appel…) aux droits de la défense, et validé une percée du droit au procès équitable au sein de l’enquête préliminaire.
On pourrait même, pour les plus optimistes, y voir un rapprochement inévitable entre le régime procédural de l’instruction et celui de l’enquête préliminaire, concernant les garanties et droits qu’ils « offrent » à la personne poursuivie.
Dans cette affaire, un individu, Monsieur T., était poursuivi pour des faits d’homicide involontaire. Les faits étaient particulièrement sensibles, et dramatiques : Monsieur T. circulait en motocyclette, avec son beau-frère comme passager, un bus arrivant en sens opposé tourna devant lui. Le choc était inévitable. Monsieur T. se retrouva projeté sous les roues du bus, il subira par la suite plusieurs opérations chirurgicales (amputations). Son passager quant à lui décédait sur les lieux de l’accident.
Deux ans d’enquête s’en suivront, au cours desquels Monsieur T. sera entendu à deux reprises, et chaque fois, en qualité de victime. Le parquet décidera de ne pas ouvrir d’information judiciaire, et l’enquête sera menée sous le régime de l’enquête préliminaire.
L’enquête est ainsi restée des mois sous la maîtrise pleine et entière du procureur de la République, autorité de poursuite et future partie au procès.
Au cours de cette enquête, à plus de dix reprises le conseil de Monsieur T. a demandé au parquet copie de la procédure. En vain, et ce malgré les nombreuses relances.
Puis, plus de deux ans après les faits, Monsieur T. reçoit par voie d’huissier une citation directe pour comparaître pour des faits d’homicide involontaire. La défense accède enfin au dossier, et sait désormais que l’élément principal à charge contre Monsieur T. est une expertise sur sa moto, concluant que Monsieur T. devait « rouler vite ». Le ministère public décide donc de poursuivre Monsieur T., pour avoir involontairement causé la mort de son passager, en omettant de rester maître de sa vitesse…
Des conclusions de nullité sont rédigées et déposées à l’audience par le conseil de Monsieur T., et deux points principaux sont soulevés in limine litis :
- le choix du parquet de ne pas ouvrir d’information judiciaire, et de mener l’enquête sous la forme préliminaire pendant plus de deux ans, sans communication du dossier à la défense malgré les nombreuses demandes, ont privé Monsieur T. d’un droit au procès équitable. En effet, la moto, principal élément à charge, a été détruite avant que la défense n’ait accès au dossier, la privant ainsi solliciter une contre-expertise, ce qu’elle aurait pu faire dans le cadre d’une instruction…
- les droits de la défense n’ont pas été respectés, dans la mesure où Monsieur T. a, à chaque fois, été entendu en qualité de victime, jamais en qualité de suspect, et n’a ainsi donc pas pu bénéficier des droits attachés à ce statut : droit à un avocat, droit d’être informé des charges pesant contre lui, droit de ne pas s’autoincrimer…
C’est ainsi à l’aune des exigences de l’article préliminaire du Code de procédure pénale et des droits reconnus par la Convention européenne des Droits de l’Homme (son article 6 principalement : droit au procès équitable) qu’il était demandé au tribunal d’examiner la procédure qui lui était soumise.
Le tribunal de Créteil a répondu aux attentes de la défense, puisqu’il a en effet annulé l’intégralité de la procédure :
« En effet, s’agissant d’une enquête préliminaire le ministère public dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans le choix du cadre procédural, il appartient à l’autorité de poursuite et aux enquêteurs agissant sous sa direction de s’assurer que la protection des droits de la personne soupçonnée a été garantie, notamment par une information sur la possibilité de solliciter des investigations, de contester la régularité d’un acte ou bénéficier de l’assistance d’un conseil. […] Ainsi Monsieur T. a également été privé du droit de contester les résultats de l’examen technique de sa moto en sollicitant devant la juridiction un supplément d’information […]. Par suite non seulement l’enquête préliminaire n’a pas été conduite selon les modalités garantissant l’égalité des armes entre les autorités d’enquête, de poursuite et le prévenu, mais également les atteintes aux droits de la défense au cours de l’instruction à l’audience induisent des violations du principe du droit au procès équitable. En conséquence, il convient de prononcer la nullité de l’intégralité des actes et pièces de la procédure ainsi que la citation subséquente ».
Le parquet va-t-il désormais devoir communiquer à la demande de la défense les dossiers au cours de l’enquête préliminaire, sous peine de voir ses procédures sanctionnées pour non-respect du contradictoire et du droit au procès équitable ?
Il reste à espérer que la cour d’appel de Paris se montrera tout aussi audacieuse et pionnière dans l’avancée des droits de la défense à tous les stades de l’enquête, comme l’appelle de ses vœux la Cour Européenne.
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