La loi française permet d’hospitaliser un individu sans son consentement, et ce notamment à la demande d’un représentant de l’Etat. Ainsi, le Préfet peut, sous certaines conditions, décider, de manière quasi préventive, de priver un individu d’une des libertés les plus fondamentales, la liberté d’aller et venir. La protection des droits et libertés de la personne faisant l’objet d’une telle mesure est-elle suffisante ? Doit-on se satisfaire des garanties existantes en matière de droits de la défense et de droit à une procédure équitable ?
L’hospitalisation sous contrainte, prévue par le Code de la santé publique, est une procédure particulièrement complexe dans les dimensions qu’elle regroupe : psychiatrie, mesure de privation de liberté, avis médicaux, droit pénal, contrôle judiciaire, décision administrative....
Pour des raisons médicales, un individu va être hospitalisé sous contrainte et ainsi, privé d’une partie de ses droits et libertés, et ce parfois au nom d’un quasi principe de précaution, éviter la réalisation d’un risque, protéger l’ordre public et la sûreté des personnes.
- L’hospitalisation d’office (ou « admissions en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État ») : quels critères ?
La loi française permet notamment à un représentant de l’État (Préfet) d’ordonner, par la voie de l’arrêté préfectoral, l’hospitalisation d’office (ou sous contrainte) d’un individu.
L’article L3213-3 du Code de la santé publique dispose que : « Le représentant de l’État dans le département prononce par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil, l’admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins nécessaire. Ils désignent l’établissement mentionné à l’article L. 3222-1 qui assure la prise en charge de la personne malade. »
Le Code de la santé publique prévoit ainsi que l’hospitalisation à la demande d’un représentant de l’État réponde à une double condition : la présence de troubles nécessitant des soins et que ces mêmes troubles compromettent l’ordre public ou la sûreté des personnes.
Une fois l’arrêté pris par le représentant de l’État, la personne concernée par la mesure fera l’objet d’une période d’observation et de soins initiale de 72 heures sous la forme d’une hospitalisation complète.
Le Code de la santé publique prévoit ensuite que deux certificats médicaux soient établis afin de confirmer l’éventuelle nécessité de la poursuite des soins et leur nature (un certificat dit de 24 heures et un dit de 72 heures).
La loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 a instauré un contrôle judiciaire de la mesure d’hospitalisation sous contrainte : au-delà de 12 jours, l’hospitalisation sous contrainte ne pourra se poursuivre que sur autorisation du juge des libertés et de la détention (si ce délai est passé en 2013 de 15 à 12 jours, il semble cependant toujours trop important, et devrait intervenir bien plus tôt après la prise de l’arrêté préfectoral...).
Aussi, à l’occasion d’une audience devant ce magistrat, la personne faisant l’objet de la mesure de soins psychiatriques sous contrainte pourra être assistée d’un avocat. Ce dernier sera amené notamment à vérifier la régularité de la procédure (motivation de l’arrêté préfectoral suffisante, régularité des certificats médicaux de 24 et 72 heures, notification de ses droits à l’intéressé…).
L’avocat se trouve alors dans un rôle de défenseur et d’assistance bien différent des contentieux habituels. D’aucuns peut-être considèrent à tort que le rôle de défenseur va se révéler peu utile, perdu entre les débats et pronostics médicaux qui dépassent ses domaines de compétences.
Pourtant, le rôle de l‘avocat va s’avérer nécessaire, fondamental même, car les risques graves d’atteintes aux libertés et droits fondamentaux sont loin d’être négligeables.
- Régularité et bien fondée de la mesure de soins psychiatriques sous contrainte : le rôle de l’avocat
L’avocat devra notamment vérifier que la double condition à l’hospitalisation sous contrainte est bien présente : la présence de troubles nécessitant des soins et le risque d’atteinte à l’ordre public et à la sûreté des personnes.
Les arrêtés préfectoraux sont en effet bien souvent mal motivés, et n’apportent parfois pas suffisamment la preuve de l’existence de ces deux conditions cumulatives.
Les certificats médicaux devront ainsi de même attester que le patient présente « actuellement » un danger pour autrui, et faire référence à un danger pour l’ordre public ou la sûreté des personnes.
La Cour de cassation a par ailleurs rappelé le caractère indispensable de cette double condition, estimant que « en se déterminant ainsi, par référence à un risque de rechute médicale, sans constater que les troubles mentaux compromettaient la sûreté des personnes ou portaient gravement atteinte à l’ordre public, le premier président n’a pas donné de base légale à sa décision » [1]
Aussi, lorsque la preuve de l’existence de ces deux critères dans une procédure n’est pas apportée, la mesure d’hospitalisation sous contrainte doit être levée. De la même manière, si l’un de ses critères devait ne plus perdurer au cours de la mesure, il appartient alors à l’avocat de saisir à nouveau ce magistrat afin de solliciter une mainlevée de la mesure.
- Respect des droits et des libertés de la personne concernée et hospitalisation d’office : des garanties satisfaisantes ?
Le domaine de l’hospitalisation d’office n’est surement pas plus épargné que les autres pans de notre société par le développement d’une logique sécuritaire, la volonté de supprimer « le risque », d’agir à titre préventif.
L’installation d’une logique sécuritaire dans le domaine de l’hospitalisation sous contrainte, particulièrement lorsqu’elle est décidée par un représentant de l’État, nécessite alors une vigilance particulière dans le respect des libertés des personnes qui en sont l’objet.
A cet égard, il ne fait nul doute que les mesures d’hospitalisation sous contrainte prévue par l’article L.3213-3 du Code de la santé publique portent atteinte à la liberté d’aller et venir, liberté garantie à chaque individu.
L’article L3211-3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens : « Lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée. »
Dans la mesure où l’hospitalisation sous contrainte vient restreindre les libertés constitutionnellement protégées, il sera donc indispensable de s’assurer que l’atteinte portée est proportionnelle au risque causé à l’ordre public ou à la sûreté des personnes.
Aussi, la levée de la mesure devra être sollicitée lorsqu’il existera une disproportion entre les restrictions à l’exercice des libertés individuelles de la personne faisant l’objet de la mesure de contrainte et le maintien de la mesure d’hospitalisation complète. Il sera alors intéressant pour les avocats de ressaisir le juge des libertés et de la détention au cours de la mesure sur ce fondement afin de solliciter une mainlevée de la mesure de contrainte.
Quant aux droits des personnes au cours de la mesure de contrainte, il ne peut qu’être constaté que de nombreuses évolutions dans l’amélioration des garanties des droits des personnes hospitalisées sous contrainte sont nécessaires.
A titre d’exemple, les garanties existantes en matière de droit à l’information sont bien insuffisantes.
L’article L.3211-3 du Code de la santé publique prévoit le droit à l’information de la personne concernée par la mesure :
« En outre, toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l’article 706-135 du Code de procédure pénale est informée : a) Le plus rapidement possible et d’une manière appropriée à son état, de la décision d’admission et de chacune des décisions mentionnées au deuxième alinéa du présent article, ainsi que des raisons qui les motivent ; b) Dès l’admission ou aussitôt que son état le permet et, par la suite, à sa demande et après chacune des décisions mentionnées au même deuxième alinéa, de sa situation juridique, de ses droits, des voies de recours qui lui sont ouvertes et des garanties qui lui sont offertes en application de l’article L. 3211-12-1. »
Cependant, dans un arrêt du 15 janvier 2015, la Cour de cassation a estimé que le défaut d’information sur ses droits du patient qui subit une mesure de soins psychiatriques sans consentement, affecte d’illégalité l’exécution de la mesure, et non la mesure elle-même au niveau du processus de prise de décision de cette mesure.
Ainsi, le défaut d’information du patient sur ses droits n’est donc pas une illégalité externe susceptible de provoquer l’annulation de cette mesure elle-même, mais une illégalité interne affectant uniquement l’exécution de cette mesure.
La décision de la Cour de cassation est critiquable, dans la mesure où, comme il est désormais établi en matière de garde à vue par exemple, la notification des droits aux personnes concernées par les mesures de contrainte doit être absolue.
Il va ainsi falloir, avec le même acharnement que pour le contentieux de la garde à vue notamment, qu’avocats et magistrats œuvrent à multiplier les décisions, afin de faire évoluer le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte vers une garantie plus forte des droits et libertés des personnes concernées.
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