La cérémonie dite de passation de pouvoirs de François Hollande à Emmanuel Macron, puis celle de Bernard Cazeneuve à Édouard Philippe, organisées en pompe monarchique, inspirèrent d’aucuns à s’écrier « le roi est mort, vive le roi ! », suggérant un exercice de l’État sans discontinuité. Pourtant, la France n’est à ce jour pas dotée d’un Gouvernement fonctionnel, et celui qui sera nommé le restera ainsi pendant un temps non négligeable. Car le pouvoir est bel et bien vacant.

 

 

Le Gouvernement Cazeneuve cantonné aux affaires courantes

 

Le 10 mai 2007, le Premier ministre Bernard Canzeneuve présenta auprès du Président de la République la démission de son Gouvernement. M. Hollande mit alors fin à ses fonctions. On peut néanmoins lire au Journal officiel plus d’une vingtaine de textes pris au nom de ministres du Gouvernement démissionnaires.


Rappelons le principe de base : la démocratie n’existe que lorsque le pouvoir émane du peuple. Une autorité démissionnaire ou non nommée ne bénéficie pas ou plus de cette délégation, de sorte qu’elle ne peut exercer de pouvoir. Tout examen de la légalité d’une décision de l’administration suppose ainsi, préalablement, la vérification que l’autorité a bien agi sur le fondement d’une délégation valable.


Pour contourner ce principe (au demeurant juste), le Conseil d’État a élaboré la théorie des affaires courantes, fondée sur l’impératif de continuité de l’État : une décision prise par une autorité démissionnaire demeure légale si l’autorité destinée à la remplacer n’aurait pas pris de décision divergente, ou si l’urgence la commande.


En l’occurrence, parmi les actes édictés, aucun ministre n’apposa sa signature : il s’agit des directeurs d’administration qui usèrent du pouvoir au nom d’un ministre n’existant plus. On peut ainsi constater que le directeur général du travail confia à lui-même le soin d’exécuter les arrêtés signés par lui-même !


Même jugée avec bienveillance, la désinvolture à s’abriter derrière la théorie des affaires courante n’est pas acceptable : seuls certains fonctionnaires d’administration sont habilités par délégation à prendre des décisions au nom du ministre, lui-même devant avoir reçu habilitation et devant encore être en fonction. Plus de ministre, plus de mandat.

 

 

Le Gouvernement Philippe paralysé dès sa naissance

 

Mais l’épreuve deviendra plus rude encore lorsque le Gouvernement sera composé. Si, jusqu’à la nomination des ministres, les directeurs d’administration peuvent (encore) prendre des décisions virtuellement au nom des ministres sortants au titre des affaires courantes ou de l’urgence (ex : décision du directeur des libertés publiques de limiter le déplacement des supporteurs du SC Bastia), il n’en sera plus de même une fois les nouveaux ministres nommés.


En effet, les fonctionnaires devront avoir reçu de nouveaux mandats signés par les successeurs. Or, avant qu’un ministre ne puisse prendre de décisions, il faut qu’il en ait lui-même reçu le pouvoir du Président de la République, dont l’acte est contresigné par le Premier ministre. Il est à ce propos fort à parier que la délimitation de ces pouvoirs feront l’objet d’âpres discussions et négociations entre les différentes lignes politiques. Dès lors, les actes déterminant ces pouvoirs – les décrets d’attribution – ne naitront certainement pas rapidement.


Aussi, avant la publication de ces décrets d’attribution, les ministres ne disposeront d’aucune compétence, de sorte qu’entre leur prise de fonction et l’édiction desdits décrets :

  • les ministres et leur administration seront paralysés ;

  • le Premier ministre n’édictera que des décrets ne réclamant aucune mesure d’exécution ; à défaut, ses actes seraient nuls pour défaut de contreseing des ministres ;

  • le Président de la République ne prendra de décrets en Conseil des ministres qu’à condition de soumettre des textes ne réclamant aucune participation de ministre.

 

 

Le bluff de « l’efficacité » dès les premiers jours

 

C’est donc avec la plus grande insouciance que M. Macron affirme souhaiter agir vite. Concrètement, il ne le peut pas. Et le retard à nommer les ministres en est la première preuve.


Certes, une méthode de contournement consisterait à faire signer chaque acte édicté par lui ou par le Premier ministre, par tous les ministres. Ce serait la meilleure voie à suivre mais les hommes de la Ve République s’accommodent mal avec la collégialité et le travail d’équipe. Il faudra donc compter avec une paralysie gouvernementale d’ici l’édiction des décrets.


En revanche, le Parlement est mobilisable. En effet, les pouvoirs des députés perdurent jusqu’au 20 juin prochain. Tant l’Assemblée nationale que le Sénat continuent constitutionnellement de siéger en session ordinaire. Rien n’interdit dès lors au nouveau Gouvernement de déposer un projet de loi sur le bureau de l’une des chambres. On doute cependant largement que le projet de loi sur la moralisation publique, promis par M. Macron comme son premier chantier, puisse sérieusement être préparé par des ministres n’ayant pas encore d’administration fonctionnelle (faute de décrets d’attribution). Mais on pourrait parfaitement imaginer que les députés sortants, de majorité PS, c’est-à-dire compatibles avec le nouveau chef de l’État, approuvent ledit projet. Il s’agit cependant de politique fiction, et il vaut raisonnablement mieux croire à une inactivité gouvernementale d’ici la convocation en session extraordinaire, fin juin ou début juillet, des députés nouvellement élus.