La prescription des créances entre concubins : la Cour de cassation réaffirme sa position

Sous-titre : Un arrêt du 10 septembre 2025 (Cass. Civ. 1re, n° 24-10.157, ECLI:FR:CCASS:2025:C100554) confirme que le concubinage ne suspend pas le délai de prescription

 

Introduction

Dans un arrêt du 10 septembre 2025 (Cass. Civ. 1re, n° 24-10.157), la Cour de cassation a réitéré sa position concernant la prescription des créances entre concubins.

Cette décision, qui rejette le pourvoi d’un concubin cherchant à faire valoir l’impossibilité d’agir pendant la durée de la vie commune, rappelle une règle jurisprudentielle bien établie : le concubinage ne suspend pas le délai de prescription.

Analysons cette décision et ses implications pour les concubins en matière de gestion des créances.

 

Contexte de l’affaire

M. [P] et Mme [B], concubins, avaient acquis un bien immobilier en indivision en 2002.

Après leur séparation en 2019, M. [P] a tenté de faire valoir des créances de conservation du bien, nées avant le 6 mai 2016, ainsi qu’une créance d’apport.

Il soutenait que le concubinage l’avait placé dans l’impossibilité d’agir pour réclamer ces créances, invoquant une situation assimilable à la force majeure.

La Cour d’appel de Colmar, dans un arrêt du 17 octobre 2023, avait déclaré ces créances prescrites.

M. [P] a alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation, arguant que sa situation pendant le concubinage l’empêchait d’agir sans mettre en péril sa vie privée et familiale.

 

La position de la Cour de cassation

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, confirmant que :

  1. Le concubinage ne constitue pas une impossibilité d’agir : Contrairement au divorce, où la prescription est suspendue légalement, rien de tel en matière de concubinage.

Mais, pour la Cour de cassation, le concubinage ne remplit pas les conditions d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité propres à la force majeure.

 

  1. Le point de départ du délai de prescription : Le délai de cinq ans pour réclamer une créance commence à courir dès la dépense, et non à la fin du concubinage.

 

  1. La réticence à agir ne suffit pas : Même si M. [P] reconnaissait que Mme [B] avait des revenus inférieurs aux siens, la Cour a estimé que cette situation ne justifiait pas une suspension du délai de prescription.

La Cour a rappelé que l’article 2234 du Code civil exige des conditions strictes pour suspendre la prescription, et que le concubinage, en tant que tel, ne les remplit pas.

 

Analyse juridique

1. La prescription en matière de créances entre concubins

La jurisprudence est claire : le délai de prescription de cinq ans pour les créances entre concubins commence à courir dès la réalisation de la dépense, et non à la fin du concubinage. Cette position est constante depuis plusieurs années.

2. L’argument de l’impossibilité d’agir

M. [P] avait tenté de faire valoir que sa situation pendant le concubinage l’empêchait d’agir, en invoquant une atteinte à sa vie privée et familiale.

La Cour a rejeté cet argument, soulignant que :

  • Le concubinage est une situation choisie et réversible, qui ne présente pas le caractère irrésistible ou imprévisible de la force majeure.

 

  • La simple réticence à réclamer une créance pendant la vie commune ne suffit pas à suspendre la prescription.

3. Comparaison avec le divorce

La Cour a rappelé que la suspension de la prescription pendant une procédure de divorce est une exception liée à la rupture contentieuse du lien matrimonial.

Le concubinage, en revanche, est une union sans cadre juridique contraignant, ce qui explique cette différence de traitement.

 

Implications pratiques

Pour les concubins, cet arrêt rappelle l’importance de :

  • Documenter les dépenses : Conserver des preuves des contributions financières pour éviter les litiges ultérieurs.

 

  • Agir dans les délais : Ne pas attendre la fin de la vie commune pour réclamer une créance, sous peine de se voir opposer la prescription.

 

  • Anticiper les déséquilibres financiers : En cas de disparité de revenus, il peut être judicieux de formaliser les accords (par exemple, via une convention d’indivision) pour sécuriser les droits de chacun.

 

Conclusion

Cet arrêt (Cass. Civ. 1re, 10 septembre 2025, n° 24-10.157) confirme que la jurisprudence reste ferme : le concubinage ne suspend pas le délai de prescription des créances.

La solution n’est pas nouvelle, mais l’argumentation du pourvoi, relative à l’impossibilité d’agir, était intéressante.

La Cour de cassation maintient sa rigueur : pas de faveur en l’absence de régime spécial.

Contrairement au mariage et au PACS, le concubinage ne comporte pas de statut particulier : c’est le droit commun qui s’applique et cette solution n’aurait pas déplu à MONTESQUIEU ;

Pour être protégé par la loi, il faut s’y soumettre et s’il l’on veut être libre, il faut en assumer les conséquences : on ne peut alors bénéficier des règles du mariage…

Les concubins doivent donc être vigilants et proactifs dans la gestion de leurs droits, notamment en matière immobilière.

Là encore, prévenir vaut mieux que guérir et il est toujours préférable de se renseigner préalablement, auprès d’un avocat compétent en matière de droit des successions ou en matière liquidative.